jeudi 29 novembre 2007

Pagny chante Brel


Ma note : 8/10

Enorme ! Quelle réalisation ! J'ai d'abord écouté cet album dans des conditions normales, puis je me le suis offert au casque afin de mieux m'imprégner encore de toute sa richesse instrumentale, de sa densité, de son émotion, de ses ponctuations magistrales. On sent que sur chaque titre il y a eu un gros travail de fond, une transposition intelligente des textes pour les napper d'un climat personnalisé. Du grand art. Et là il faut encenser le trio de réalisateurs qui ont bossé comme des artisans à qui on aurait donné d'énormes moyens et un confort total pour exprimer leur sensibilité. Yvan Cassar - encore lui, ils doivent être plusieurs - en a arrangé sept à lui seul. Les quatre autres ayant été habillés par un tandem de couturiers habités, Daran et Erik Fostinelli. Chaque chanson a donc sa couleur, son ambiance, son traitement de faveur. C'est un véritable travail d'orfèvres. Un travail qu'aurait assurément approuvé et apprécié François Rauber, grand arrangeur aujord'hui devant l'Eternel.
Ce préambule peut peut-être sembler par trop emphatique et pourtant, il n'est pas facile de traduire en mots les sensations que l'on éprouve à l'écoute de ce pari gonflé qu'est Pagny chante Brel. Il est fou le Bourguignon-Patagon ! Depuis qu'il a renoué avec le succès il y a dix ans (1997) avec l'album Savoir aimer, Florent Pagny est (re)devenu un homme libre. Un homme et un artiste libres. Alors il s'amuse. Il adore surprendre, apparaître là où on ne l'attend pas. Il se fait plaisir. Il s'offre un album de reprises (RéCréation), un autre de duos (2), s'autorise un détour du côté de l'opéra (Baryton). Il se permet même de se planter avec un opus médiocre (Abracadabra), un album sauvé toutefois par un seul et unique titre tubesque, Là où je t'emménerai. C'est son luxe. Et maintenant, il s'éclate en reprenant une onzaine des plus grandes chansons de maître Jacques Brel. Gonflé le mec ! Mais c'est tout lui. Il n'a pas de complexes ; et il a bien raison puisque le résultat est là. Et quel résultat !
Cette fois, je ne m'amuse même pas à établir mon petit hit parade personnel. Chaque titre m'a enchanté pour des raisons propres. Si on insiste, je reconnais avoir peut-être pris un peu plus de plaisir encore à l'écoute de Au suivant et des Bourgeois.
La chanson de Jacky est toute en énergie avec une formation pléthorique (banjo, accordéon, cuivres, cordes...). Orly joue plus sur l'émotion avec des cordes somptueuses et le London Session Orchestra, le tout flirtant avec le symphonique sans jamais y basculer. Ne me quitte pas, une chanson à laquelle peu ont eu l'outrecuidance de se frotter, jouit d'une interprétation toute en retenue et sensibilité, Yvan Cassar avec un piano fin, léger, discret, se contentant de souligner la supplique. Mathilde - il fallait oser - est quasiment métamorphosée en rock qui avance tout le temps avec une guitare monstrueuse et une interprétation graillonneuse. La Fanette repose totalement sur une atmosphère ample et majestueuse avec une dominante de piano et de cordes qui respectent tout à fait le climat lourd et dramatique de la chanson. La chanson des vieux amants se distingue par un jeu de réponses entre les percussions et un bandonéon qui lui donnent l'aspect d'un tango argentin. En s'appuyant sur d'omniprésents piano, contrebasse et percussions, Au suivant s'offre des allures de rumba. Dans Le dernier repas, la magnifique trouvaille est la présence d'un sifflet qui se glisse entre les cordes et qui apporte une sonorité vraiment originale qui fait un peu penser à la fameuse flûte de Il est cinq heures, Paris s'éveille de Dutronc. Les Bourgeois, eux, défilent en fanfare, on dirait une musique de film, c'est épatant. Sans surprise, Vesoul est débitée en valse à un train d'enfer ; il faut noter le clin d'oeil à la version originale avec la présence à l'accordéon de Marcel Azzola, immortalisé par le célèbre "Chauffe, Marcel !". Quant à Ces gens-là, c'est un morceau de bravoure au niveau de l'interprétation, un grand numéro de comédien.

En conclusion, Florent Pagny a parfaitement respecté l'atmosphère des chansons de Brel. Il ne les a pas dénaturées vocalement. En revanche, les arrangements les ont réellement magnifiées. De la bien belle ouvrage.
Et maintenant, on va se demander ce que ce diable de Florent va nous sortir de son sac à malices la prochaine fois. Il a tellement de cordes (vocales) à son arc ! Mais il n'y a pas urgence. On va d'abord se régaler avec cet album-ci avant de penser "au suivant"...

Dernière minute : Samedi soir, à l'Olympia, j'ai eu la chance et le privilège d'assister à l'enregistrement pour France 2 du concert "Florent Pagny chante Brel". Il était 23 h 10 (!) et la salle était pleine, quand Florent s'est présenté, fort élégamment vêtu (pantalon gris anthracite, veste sombre col officier) devant un grand orchestre dirigé par Yvan Cassar. En apparence décontracté, il va enchaîner dans l'ordre les onze titres de l'album. Il plie La chanson de Jacky avec une formidable énergie. Encore essouflé par le rythme infernal imprimé par l'arrangement, Florent avoue son appréhension en confiant qu'il n'a eu que très peu de temps pour répéter et qu'il se prépare à un grand numéro de voltige sans filet. La salle, totalement acquise, l'encourage en lui criant son admiration et son soutien.
Florent est un artiste d'une énorme générosité. Il s'est coltiné ce tour de chant à haut risque avec la fougue d'un petit coq de combat et l'humilité d'un sherpa au pied de l'Himalaya. C'est ce en quoi il est si attachant. Bien sûr nous eûmes des orages (retard à l'allumage sur une chanson, oubli des paroles dans une autre) mais nous vécûmes un amour fort. A chaque fois, Yavan Cassar, l'indulgense souriante, remettait en marche le puissant moteur de l'orchestre symphonique et, à chaque fois, Florent nous resservait la magie et l'émotion... A la fin, l'enregistrement de quatre chansons n'ayant pas paru tout à fait convenable, il a fallu les réinterpréter ; pour le plus grand bonheur du public, invité ainsi à un bonus inattendu. Mais que la communion était belle.
Dans une loge du balcon surplombant le côté jardin de la scène, Pascal Nègre et Santi se régalaient visiblement. A leurs côté, Marc Lavoine vibrait, vivant chaque titre comme s'il était branché avec Florent. Nikos Aliagas, subjugué, préférait suivre tout le concert debout. Philippe Douste-Blazy ne tarissait pas d'éloges auprès de Pascal Nègre sur la performance à laquelle il venait d'assister. Chacun, de la star à l'anonyme, était convaincu d'avoir vécu un grand moment de music-hall. Ce grand moment, vous pourrez à votre tour y assister puisque ce concert sera diffusé vers la mi-décembre sur l'antenne de France 2 (Patrick de Carolis, le patron de la chaîne, était d'ailleurs lui aussi présent dans la salle).

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