dimanche 13 janvier 2008

Sophia Aram "Du plomb dans la tête"


Théâtre de Dix Heures
26, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

Ma note : 8/10

Le sujet : Une institutrice de maternelle a mis fin à ses jours. Chacun s'étonne de cette brutale disparition, cherche plus ou moins à comprendre les raisons de ce geste et, surtout, y va de son commentaire. Tour à tour, la directrice de l'école, la psy, ses collègues, le gardien, les parents d'élève, les élèves eux-mêmes vont tenter de dresser le portrait de feue mademoiselle Gibbon...

Mon avis : Absolument admirable ! Avec un sujet dramatique et scabreux, Sophia Aram réalise la prouesse de nous faire rire ; et pas qu'un peu. Mais elle nous donne également à réfléchir tant son analyse relate une cruelle vérité. Si on n'est pas soi-même enseignant, on réalise soudain l'ampleur de la tâche que ce métier (sacerdoce ?) implique. Et je suis persuadé que le regard du spectateur lambda sur l'institutrice qui a en charge son rejeton va être totalement différent au lendemain du spectacle...

Avant que son show ne commence, à 22 heures, Sophia Aram est déjà dans la salle. En pantalon et "marcel" noirs, elle accueille gentiment le public, s'informe, papote, fait ses commentaires. Et même lorsqu'elle se retrouve sur la scène, elle s'interrompt pour accueillir aimablement les retardataires. Sophia Aram est une humoriste de proximité, chaleureuse, complice avec les gens parce qu'elle-même impliquée dans un quotidien identique au leur.

Allons droit au but : "Du plomb dans la tête" est un spectacle intelligent, très fin. Il repose sur une trame très originale qu'il ne m'avait été donné de voir qu'une seule fois jusqu'à présent. C'était le premier show en solo de l'excellent Dieudonné (je parle du comique) quand il faisait raconter un événement dramatique par ses témoins et protagonistes. Et bien Sophia Aram applique exactement le même procédé : le suicide de mademoiselle Gibbon, la maîtresse de maternelle, est commenté par une poignée de personnes qui l'ont connue.
Hiérarchie oblige, c'est la directrice de l'école du Petit Prince qui nous accueille. En effet, tout au long du spectacle, nous sommes considérés, non pas en tant que spectateurs, mais comme des parents d'élève. Le visage austère, chaussé d'une grosse paire de lunettes, la directrice donne le ton du propos. Humour (très) noir, hypocrisie, irresponsabilité, égoïsme avec, parfois, quelques geysers de tendresse et de beaux sentiments, voici les éléments sur lesquels va reposer le discours des personnages "araméens".
La jeune femme ne fait pas appel à des accessoires. Il lui suffit d'enlever ses lunettes, d'ordonnancer différemment sa magnifique chevelure brune ou d'enfiler un bonnet et de prendre un accent pour camper un nouveau personnage. C'est étourdissant de justesse. Une jeune psychologue québécoise, spécialiste émérite du suicide, va tenter d'expliquer aux parents comment aider leur progéniture à surmonter cette tragédie... Puis survient la version du premier témoin du drame, le gardien, l'homme à tout faire, le "Mac Gyver" de l'établissement, un personnage simple et haut en couleurs... Ensuite, c'est mademoiselle Gibbon elle-même qui revit un instant devant nous, ce qui nous apporte un éclairage très différent sur la personnalité de la jeune enseignante... On retrouve le gardien et la psy quelques secondes avant de faire la connaissance de Sandrine Henry, la collègue néophyte, soi-disant amie, de la défunte. Un grand moment d'inconscience et d'égocentrisme. A noter cette confidence confondante de réalisme : "avant, je n'avais jamais vu d'enfants en 3D !"... Lui succède une mère (la maman à Dylan), insupportable de vulgarité... Tout aussi lamentable dans le fond se présente à son tour la déléguée des parents d'élèves, une Tarbaise pur jus, mère abusive et castratrice d'une innocente petite Caméliane... Un petit détour du côté de la psy (un peu le fil rouge de l'histoire) précède une évocation de mademoiselle Gibbon au purgatoire... C'est alors que Mounir se décide à prendre la parole. Ce jeune Beur d'une dizaine d'années, ancien élève de feue la maîtresse, a d'elle une vision très personnelle. Avec son vocabulaire imagé, il nous décrit un univers impitoyable. Et puis... mais vous le verrez par vous-même... Mounir cède alors sa place à Farida-la-mytho, une dépressive complètement givrée qui se prend pour un agent secret. Elle est très grave... Le ban sera définitivement fermé sur un terrible constat de la directrice, suivi d'une tentative maladroite d'édulcoration de la psy qui, fidèle aux rituels québécois, tient à ce que tout se termine en chanson...

Remarquable comédienne, Sophia Aram se livre avec une folle virtuosité à une douzaine de portraits. Son expérience des matchs d'improvisation lui permet à tout moment de rebondir sur un incident venu de la salle : une quinte de toux, un portable qui sonne malencontreusement ; elle implique aussi des personnes assises au premier rang. Elle possède une vivacité d'esprit et une présence incroyables.
Mais au-delà de la simple performance de comédienne, il y a un vrai message qui passe. En fait, ce ne sont pas les élèves qui sont les plus difficiles à gérer, ce sont leurs parents ! Quel sens de l'observation, quelle justesse dans les propos ! C'est sa manière à elle de nous rappeler quelques préceptes fondamentaux et de nous mettre un peu de "plomb dans la tête". Mais, attention aux éclaboussures !!!!

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