vendredi 15 mai 2009

A la vie !


Théâtre Mouffetard
73, rue Mouffetard
75005 Paris
Tel : 01 43 31 11 99
Métro : Place Monge

Une pièce de Jean-Louis Milesi
Adaptée du scénario du film A la vie, à la mort, écrit par Robert Guédiguian et Jean-Louis Milesi
Mise en scène par Pierre-Loup Rajot
Décor d’Anne Wannier
A2vec Jean-Jérôme Esposito (Jacquot), Laurent Fernandez (José), Lara Guirao (Marie-Sol), Julie Lucazeau (Vénus, secrétaire, femme de Jacquot, la patronne), Ged Marlon (Patrick), Georges Néri (Papa Carlossa), Richard Sammel (Otto), Mireille Vitti (Joséfa)

Ma note : 8,5/10

L’histoire : Chassés par sa patronne qui veut creuser une piscine à l’emplacement de la petite maison qu’elle leur prêtait, Marie-Sol, son mari et son père se retrouvent à la rue. Joséfa, stripteaseuse plus très jeune qui ne veut plus s’effeuiller, les accueille généreusement dans son cabaret en mal de clients. Dans ce refuge du bout du monde, la tribu se recompose. Le père, le frère, la sœur, le beau-frère, la belle-sœur, le frère adoptif, le client et la jeune droguée organisent la résistance ; la résistance au chômage, à la détresse, à la vieillesse, à la stérilité… Chacun va chercher sa réponse et comprendre, à l’instar de Marie-Sol, qu’il ne suffit plus de prier, de supplier ou de se contenter d’attendre, mais qu’il faut agir et se battre.

Mon avis : Il y a des soirs où ce métier, déjà bien agréable, se révèle absolument épatant. C’est lorsqu’on vient assister à une pièce sans aucun a priori, sans idée préconçue, en s’étant, comme à chaque fois, interdit de lire la moindre ligne du dossier de presse hormis la distribution et que, lorsqu’on sort de la salle, on en a pris plein la tête et plein le cœur. Que du bonheur, quoi ! Le plaisir, au théâtre, est très souvent au rendez-vous, mais les moments de grâce pure sont exceptionnels. Et bien, c’est le cas avec A la vie !.
Pas de star au générique, un théâtre un peu excentré dans lequel on est peu accoutumé à venir, bien que situé dans un quartier vivant, pittoresque et sympa, celui de la Contrescarpe et de Mouffetard… On y vient l’esprit badin, il fait doux dehors, on ne pense à rien de particulier. La salle est accueillante. Pas de rideau. On est tout de suite en présence du décor, l’arrière-cour d’un cabaret avec son comptoir, sa remise, ses filets de pêche qui pendent du plafond. On est dans le Midi. Marseille est tout proche.

Il ne faut pas la raconter cette pièce, il faut laisser au spectateur le loisir de s’installer tranquillement et de se laisser emporter par cette histoire, par les destins croisés de cette petite bande de laissés pour compte qui essaient tant bien que mal, en fonction de leur tempérament, de subsister. Ce sont Ken Loach et Marcel Pagnol qui seraient associés pour écrire à quatre mains cette tragicomédie sociale du 21è siècle. La crise est là, palpable. Mais, crise ou pas, ces gens-là ne sont-ils pas des êtres éternellement voués à la misère ? C’est leur condition. Ils ont la culture de l’humilité, une forme de résignation chronique que tente de contrebalancer parfois une réelle aptitude à la survie…

Mais, d’abord et avant tout, ce sont des gens qui ont du cœur. Ils savent viscéralement que le peu de bonheur qu’ils peuvent offrir ou recevoir, réside dans le partage, dans la générosité, dans l’entraide. Et dans ce domaine, ils sont bien plus riches que la majorité des nantis.

Dans cette pièce, il n’y a que de l’humain. On rit, on pleure, on s’apitoie, on s’indigne, on se solidarise, on se révolte, on s’émeut… On passe par tout un éventail de sentiments, de ces sentiments basiques et forts qui constituent la chair de la vie.
On les aime tous ces personnages à la dérive, simples et fiers, pathétiques et sympathiques. On a de l’empathie pour chacun d’eux car on les comprend, on se met à leur place. L’humour et l’amour réussissent sans cesse à prendre le dessus sur la vraie détresse. Et pourtant, il y aurait de quoi baisser les bras et abandonner. Mais pas eux. Ils se chicanent, s’affrontent, mais face à l’adversité ou au malheur qui frappe n’importe lequel d’entre eux, ils se serrent les coudes.
Tous les comédiens sont formidables. On n’a pas l’impression qu’ils sont au service d’un texte tant ils sont en phase avec leur personnage. Et puis il y a des dialogues, de en tout point remarquables. Comme je l’indique plus haut, c’est du Pagnol, mais un Pagnol qui aurait gagné une vraie liberté de langage qui n’avait pas cours à l’époque où il écrivait ses livres et ses pièces. Le langage est réaliste, cru quand nécessaire. On a affaire à de petites gens qui pratiquent le langage imagé du peuple. Et puis l’accent marseillais, omniprésent, est là pour lui donner une savoureuse couleur. Quelques formules jaillissent parfois, encore plus fortes que les autres, qui nous enchantent ou nous donnent à réfléchir : « Elle pue la mort, cette vie », « On a tous en nous un bout de la honte universelle », et celle-ci, sublime, prononcée par le grand-père : « Ça me plaît de vous entendre rire. Ça me donne envie de vivre encore un peu… »

A la vie ! est une pièce qui ne peut laisser indifférent. Elle nous happe par ce que l’on a de meilleur en nous, elle éveille des sentiments nobles, de la compassion aussi, et tellement de tendresse pour ces pauvres hères que la société a marginalisés. Malgré les rêves anéantis, malgré la perte de la dignité inhérente au chômage, il leur reste cette immense richesse qu’est l’amour de l’autre. Et le désir aussi. Car le désir est là, en permanence, exacerbé par l’oisiveté et la promiscuité.
Comment ressortir un personnage particulier du lot ? C’est impossible et ce serait incongru tant ils sont grands, tous et toutes.
Il FAUT voir A la vie ! Elle ne peut que nous rendre meilleurs et attentifs aux autres. Magnifique !

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