mercredi 30 septembre 2009

Boire, fumer et conduire vite


La Grande Comédie
40, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 01 48 74 03 65
Métro : Trinité / Place de Clichy

Une pièce de Philippe Lellouche
Mise en scène par Marion Sarraut
Avec Vanessa Demouy (l’avocate), David Brécourt (Marc), Philippe Lellouche (Simon), Christian Vadim (Greg)

Ma note : 8/10

L’histoire : Le soir du réveillon de Nouvel An, trois individus se retrouvent, bien malgré eux, en salle de garde à vue dans un commissariat parisien : l’un parce qu’il a trop bu, l’autre parce qu’il a fumé dans un lieu strictement interdit, et le troisième parce qu’il a fait un excès de vitesse. Une avocate, commise d’office en ce soir du 31 décembre, va tenter de défendre leur cause…

Mon avis : Ne croyez surtout pas que je sois un bon client, un gentil garçon enclin à la complaisance, voire au copinage… Quand j’ai entrepris de tenir ce Blog, je me suis engagé à être le plus objectif possible, à être honnête et à TOUJOURS essayer de retranscrire mon ressenti à la découverte d’un spectacle… Même si cela me vaut parfois quelques reproches véhéments de la part de producteurs ou d’attachés de presse qui, je le comprends, défendent âprement leur œuvre (Rabbi Jacob m’ayant valu entre autres les plus violentes récriminations).
Ce court préambule pour vous expliquer que je ne vais tout de même pas me plaindre parce que j’ai la chance d’assister à d’excellentes pièces. Et Boire, fumer et conduire vite est, ô combien, de celles-là !
Respectant la formule qui dit que l’on ne change pas une équipe qui gagne, c’est avec le plus grand bonheur que l’on retrouve le quatuor du Jeu de la vérité : Vanessa Demouy, David Brécourt, Philippe Lellouche et Christian Vadim dans cette nouvelle pièce écrite par Philippe Lellouche… On peut affirmer haut et fort que la génération des personnes nées au milieu des années 60 et début 70 possède désormais son auteur. Philippe Lellouche est leur « quadramaturge ». Il n’a pas son pareil pour dresser l’état des lieux de ces rejetons dont les parents ont fait 1968. Mais revenons à la pièce…

Dans le décor ultra minimaliste d’une salle de garde à vue – des murs insipides et trois bancs – avec comme seule communication vers l’extérieur un petit guichet commandé par un cerbère à l’accent rocailleux, est propulsé un homme élégamment vêtu (costume sombre et chemise blanche). On s’aperçoit tout de suite qu’il est passablement aviné. Il a à peine le temps de prendre ses repères qu’un deuxième « invité », très bien sapé lui aussi, vient tout aussi brutalement lui tenir compagnie. Ils commencent à faire connaissance quand un troisième « criminel », porteur de la même panoplie endimanchée, les rejoint de force… S’ils sont ainsi sur le trente-et-un, c’est parce que nous sommes justement le 31… décembre, à quelques heures du réveillon. Evidemment, solidarité d’emprisonnés oblige, ils ne tardent pas à se confier les uns aux autres. Le premier locataire, Greg, s’est fait arrêter en raison de son état d’ébriété très avancé ; le deuxième, Marc, pour avoir fumé dans un endroit public ; et le troisième, Simon, pour avoir roulé à 58 km/h au lieu de 50 sur le boulevard des Maréchaux… Des délits somme toute assez bénins, mais qu’ils ont tous trois considérablement aggravé en se rebellant très vertement face aux forces de l’ordre. D’où leur mise en garde à vue.

Nos trois détenus, qui se considèrent comme des victimes, se mettent à déblatérer le système, puis à élargir leur analyse sur l’état actuel de notre monde. Et là tout y passe, principalement la pensée universelle, la frilosité ambiante, la recrudescence des interdits, la suprématie du politiquement correct, bref, ils déplorent, chacun à sa façon et avec son tempérament, les dérives d’une société de plus en plus liberticide. Au milieu de quelques poncifs et de constatations imparables, leurs propos reviennent régulièrement sur les relations hommes/femmes avec, bien sûr, une misogynie de bon aloi…
Ils en sont là quand leur garde-chiourme leur annonce l’arrivée d’une avocate commise d’office. Lorsque celle-ci fait son entrée, superbement vêtue d’une robe de soirée soulignant ses formes généreuses de façon fort seyante, c’est la métamorphose immédiate. Le cochon qui sommeille se réveille, fouetté dans sa libido et on assiste au spectacle comico-pathétique de trois bourdons voletant et vrombissant autour de la même fleur. C’est le premier rebond de la pièce (et il y en aura d’autres). Tout en cherchant à les rassurer, elle leur explique pourquoi ils se sont mis bêtement hors la loi. Plus elle prône le droit, plus ils se complaisent dans leur révolte. Si bien qu’elle les traite carrément de « rebellocrates », un trait de caractère plutôt récurrent dans cette génération marquée par la perte des idéaux. Mais en fait, elle a affaire à trois enfants, à trois sales gosses, trois garnements candides, fragiles et attachants, à la mauvaise foi chroniquement systématique. Des mecs, quoi !
Je ne vous en raconterai pas plus parce que, à l’instar de nos trois repris de justice, vous n’êtes pas au bout de vos peines…

Après deux Jeu de la vérité interprétés ensemble, la complicité entre les quatre comédiens n’est plus à vanter. C’est un vrai délice de voir jouer les trois garçons. Chacun a un personnage bien tranché, au profil psychologique parfaitement établi. La pièce a été écrite d’une telle manière que, question de distribution, celui qui tire le plus son épingle du jeu, c’est Christian Vadim avec le rôle de Greg. Le fait qu’il interprète un mec bourré le rend sympathique. Il est dénué de toute agressivité, ses réflexions pleines de bon sens font mouche à tout coup, il est débordant de tendresse et de drôlerie, tout en ayant quelques éclairs de lucidité lorsqu’il s’agit de faire le point sur sa propre existence… David Brécourt, en séducteur invétéré, narcissique et égocentrique, paraît évidemment de prime abord moins sympa. Mais quand il laisse apparaître lui aussi ses failles, il gagne toute notre bienveillance… Quant à Philippe Lellouche, il excelle dans ces rôles de bon nounours un peu paumé, de rebelle à la petite semaine, ce qui ne l’empêche nullement d’avoir quelques éclairs particulièrement confondants de justesse et de pratiquer de temps à autre un cynisme absolument réjouissant.
Et Vanessa, c’est Vanessa. Philippe Lellouche lui concocte à chaque fois de superbes compositions, bien positives, généreuses, tolérantes, attentionnées. Avec lui, la femme a toujours le beau rôle ! Comme dans Le jeu de la vérité, elle est le personnage qui fait exploser la pièce, qui l’emporte ailleurs, dans des contrées surprenantes et mystérieuses, qui lui donne une dimension quasi métaphysique et terriblement plus humaine.

Cette pièce, qui abonde en vérités en tous genres et qui, derrière un humour tendre et ravageur, véhicule une vraie morale, nous interpelle très souvent parce qu’elle nous confronte à notre propre réalité. Incroyable le nombre de choses qui sont dites qui nous font réfléchir. C’est là toute la réussite de cette pièce : on n’arrête pas de rire et, insidieusement, au fur et à mesure de son déroulement, on découvre qu’il y a vachement de fond. C’est le prototype de la comédie intelligente. Rien ne nous est imposé car chacun peut garder son libre arbitre. Il n’y a aucun parti pris, les deux plateaux de la balance du pour et du contre restent parfaitement équilibrés. Sauf dans un seul domaine… Mais je vous laisse l’opportunité de le découvrir et d’adhérer. Ou pas… La seule conclusion c’est que la vie est belle, qu’il faut s’efforcer de ne pas trop nous la pourrir et de jouir au maximum du (peu de) temps qui nous est imparti. Chapeau Monsieur Lellouche !

mardi 29 septembre 2009

Le Petit Nicolas


Un film de Laurent Tirard
D’après l’œuvre de René Goscinny et Jean-Jacques Sempé
Avec : Valérie Lemercier (la maman), Kad Merad (le papa), Sandrine Kiberlain (la maîtresse), François-Xavier Demaison (Le Bouillon), Michel Duchaussoy (le Directeur), Daniel Prévost (M. Moucheboume), Michel Galabru (le Ministre), Anémone (Mlle Navarrin)… et les enfants : Maxime Godart (Nicolas), Vincent Claude (Alceste), Charles Vaillant (Geoffroy), Victor Carles (Clotaire), Benjamin Averty (Eudes), Germain Petit Damico (Rufus), Damien Ferdel (Agnan), Virgile Tirard (Joachim)

Ma note : 8,5/10

L’histoire : Nicolas mène une existence paisible. Il a des parents qui l’aiment, une bande de chouettes copains avec lesquels il s’amuse bien, et il n’a pas du tout envie que ça change…
Mais un jour, Nicolas surprend une conversation entre ses parents qui lui laisse penser que sa mère est enceinte. Il panique alors, et imagine le pire : bientôt le petit frère sera là, qui prendra tellement de place que ses parents ne s’occuperont plus de lui, et qu’ils finiront même par l’abandonner dans la forêt comme le Petit Poucet…

Mon avis : Pour moi, ce film est une totale réussite, un bonheur intégral. J’ai lu et entendu ça et là quelques réserves, dont une des plus émises était que ce film ressemblait trop à l’œuvre originale, la chroniqueuse de la Matinale de Canal+ employant même le terme de « copié-collé »…
Et bien, moi, c’est ce qui m’a plu, justement, cette fidélité assumée avec le modèle.

D’abord, il ne faut pas manquer le début. C’est un bonheur de pré-générique avec de savoureux commentaires en voix off… Puis vient le générique lui-même, animé par des dessins signés Sempé. Il est important ce générique car on y retrouve avec délices tout les personnages des ouvrages. Déjà, on a envie de les relire…
Et puis vient le film lui-même. Et là, chapeau aux trois personnes en charge du casting qui ont réalisé là ce que l’on pouvait taxer de mission impossible : dénicher des gamins qui correspondent aussi parfaitement à ceux nés sous le crayon de Sempé. Agnan, le fayot qui zozote, Clotaire, le cancre, et tous les copains formant la garde rapprochée du Petit Nicolas sont absolument conformes. Leurs conversations, aussi, et le rendu de leur imaginaire sont particulièrement drôles ; et là, on sent la patte d’Alain Chabat et son imparable savoir faire dans ce domaine.
Le film est truffé de gags et agrémenté de clins d’œil espiègles du côté des Choristes ou d’Astérix.
Valérie Lemercier et Kad Merad forment un couple qui fonctionne formidablement. A noter le grand numéro de Valérie lors de la réception du patron de son mari (Daniel Prévost) et de son épouse. Anémone se livre également à une prestation complètement hilarante.
Quant au gamin qui joue Nicolas, il est dedans du début à la fin. Avec son regard bleu tour à tour candide, coquin ou éploré, son petit sourire en coin, il est profondément attachant.

Inutile de s’appesantir plus sur ce film. Il nous permet de passer un moment très doux et très plaisant au cœur de ces années 60, pleines de légèreté et d’insouciance agréablement reconstituées. On aimerait que ça ne s’arrête pas tant on est sous le charme. N’en déplaise à quelques atrabilaires un tantinet spécieux qui ont perdu leur âme d’enfant, ce film familial et intergénérationnel va faire un véritable carton.

Valérie Lemercier à l'Olympia


L’Olympia
28, boulevard des Capucines
75009 Paris
Tel : 08 92 68 33 68
Métro : Madeleine / Opéra / Auber

Ma note : 7,5/10

Mon avis : Honnêtement, les échos que j’avais eus du spectacle de Valérie Lemercier au Palace étaient plutôt mitigés. J’étais donc très curieux de la découvrir à l’Olympia et désireux de me faire mon propre jugement. Et bien, je me suis régalé… Et de bout en bout !
Intelligente et fine mouche, Valérie Lemercier a dû écouter et prendre en compte les quelques critiques négatives pour resserrer les boulons de son spectacle. N’ayant pas vu celui du Palace, je ne sais pas où elle a plus particulièrement porté son effort. En tout cas, j’ai assisté à une heure trois-quarts d’un show d’une grande qualité.
De toute façon, Valérie Lemercier évolue dans un univers et avec un ton qui n’appartiennent qu’à elle. Elle fait du Lemercier. Point. C’est pour ça qu’on est venu, parce qu’elle est unique en son genre, unique dans ce registre, unique dans sa façon de parler et de se mouvoir.

Décor minimaliste, le plus souvent absent. Il lui suffit d’un cube, d’un pouf, d’une posture pour installer un sketch. Son astuce à elle, c’est ce bout de chiffon rouge qu’elle met à toutes les sauces en fonction du sujet : ceinture de femme enceinte, foulard, écharpe, chiffon de ménage, musette, collerette, pagne… Sur sa très élégante et seyante tenue anthracite, ça ressort on ne peut mieux. Le rouge et le noir ont toujours fait bon ménage…
Pour moi, le spectacle ne cesse d’aller crescendo, un peu comme un coureur de fond qui s’échauffe progressivement pour prendre son rythme de croisière et pour terminer au sprint. Et du rythme, on peut dire qu’il y en a ! Elle enchaîne les sketches les uns après les autres, sans aucun temps mort. Mais, en même temps, elle les a entrecoupés d’une astucieuse série de traversées de scène – dans un sens ou dans l’autre – au cours desquelles elle se livre à une réflexion ou à une cogitation qui la tracassent ; des petits boulets mentaux qu’elle appelle ses « hontes ». C’est une excellente idée, et on se surprend petit à petit à attendre ces sortes de « brèves de comptoir » chères à Jean Carmet dans la série Palace qui nous a permis de la découvrir.
Fidèle à son habitude, Valérie Lemercier, nous propose toute une galerie de personnages, personnages qui lui sont directement inspirés par des gens de son entourage ou qu’elle a croqués au cours de rencontre ou de reportages (la fille adoptive de Jacques Chirac, par exemple)… Hommes, femmes, ados, elle se glisse avec un mimétisme confondant dans la peau de n’importe qui. Pour les rendre encore plus crédibles, plus consistants, elle n’hésite pas à les affubler d’accents (baba cool, marseillais, campagnard, fille éméchée, asiatique, geignarde, snobinarde, belge, suisse, russe). Un festival !
Sans avoir l’air d’y toucher, tout en campant ces personnages pour la plupart très hauts en couleurs, elle distille ça et là quelques messages et assène quelques vérités qui donnent à réfléchir : « Toute religion bonne à condition pas excès », « Tu ne risques pas de retrouver ta tête sur un billet de 50 francs (comme Saint-Exupéry) ». « Voilà une femme qui n’a jamais eu mal au crâne ! »… Elle parsème également ses sketches de « running » phrases qui, à l’instar des running gags, sonnet à la manière de gimmicks, un procédé particulièrement efficace en humour : « C’est que de l’humain ! », « Elle – ou il – est très sensible de la pointe », Cinéma ! », « Porcherie 5 étoiles ! »…

Valérie Lemercier, au sommet de son art, à l’aise avec son corps, doit s’amuser intérieurement comme une petite folle sans rien en laisser paraître sur scène, cachée derrière le masque de ses personnages. Et pourtant, elle va parfois très loin. Très loin dans la méchanceté avec cette femme de la campagne absolument odieuse ; très loin dans le comportement abusif d’une mère hyper possessive ; très loin dans l’affectation maniérée d’une bourgeoise catho, mère de famille nombreuse (pléonasme) plutôt déconnectée avec la réalité ; très loin dans les états d’âme de cette jeune épousée qui ne supporte plus son mari au bout d’un an d’exercice ; Très, très loin dans les propos tenus par cet qui vient de perdre sa femme et qui en brosse le portrait à son fils (pisse-froid s’abstenir !)…
Humoriste à part, Valérie Lemercier s’inscrit donc dans un registre qui n’appartient qu’à elle. Si on adhère, on prend un bon grand pied. Si on n’est pas client, la cause est perdue d’avance. Elle ne fait que ce qu’elle sait faire – du Lemercier - et elle le fait vachement bien.

vendredi 25 septembre 2009

Grasse matinée


Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre-Caumartin / Auber

Une comédie de René de Obaldia
Mise en scène par Thomas Le Douarec
Décor de Claude Piet
Costumes de Magali Ségouin
Avec Cyrielle Clair (Artémise) et Marie Le Cam (Babeth).

Ma note : 7/10

L’histoire : Artémise et Babeth, deux voisines de cercueil, prennent le frais et se racontent des histoires croustillantes de leurs vies passées, en attendant le train qui emportera leurs âmes pour le voyage final…

Mon avis : On ne peut imaginer d’entrée en matière plus originale : deux cercueils dressés sur la scène, l’un en sapin, l’autre en chêne. Sur les notes de la Danse macabre de Saint-Saëns, un couvercle chute bruyamment sur le sol pendant que l’autre tourne sur ses gonds. Apparaissent alors… deux squelettes qui se mettent à, s’agiter au rythme de la musique. Absolument « des os pilant » ! Un humour noir du meilleur effet. Et puis les deux occupantes se matérialisent… Jolie trouvaille de ma mise en chêne, pardon, de la mise en scène, les deux défuntes arborent les mêmes tenues que leur squelette respectif, mais dans un meilleur état de fraîcheur. Les maquillages, également savamment étudiés, sont idoines : teint de craie et yeux affreusement cernés. Et les deux trépassées se mettent alors à babiller.
Immédiatement, on décèle deux caractères et deux conditions sociales diamétralement opposées. L’une – Artémise (Cyrielle Clair) –, l’occupante de la bière en chêne, vêtue d’une robe pourpre de grand couturier, est une grande bourgeoise enjouée, franchement zen et quelque peu docte. L’autre – Babeth (Marie Le Cam) –, la locataire de la bière en sapin, tout juste affublée d’une nuisette rosâtre, est une prolo, geignarde, craintive et revendicatrice.
Sur une bande-son judicieusement adaptée, nos deux macchabées devisent plus ou moins aimablement, chacune confiant à l’autre ses mémoires d’outre-tombe (leur fosse devenant alors un trou de mémoire)… Leurs conversations, qui abordent différents thèmes, est truffée de subtils jeux de mot, genre « Vous n’y allez pas de main morte ». Elles parlent de tout de rien, échangent des banalités, des réflexions philosophiques, des analyses sociétales. Elles évoquent évidemment leurs amours, plutôt baroques pour l’une et plus basiques pour l’autre. Elles vont même jusqu’à aborder la théorie de la réincarnation, ce qui, dans leur situation, prend un aspect tout-à-fait intéressant… Leurs journées sont ponctuées par les passages des trains sur la voie ferrée voisine du cimetière et par les vols des longs courriers. Nous sommes à fond dans l’irrationnel, et c’est ma foi bien plaisant à suivre. Même si, une ou deux digressions nous paraissent parfois un peu longuettes et surtout légèrement décalées.

Les deux comédiennes, formidablement complémentaires, s’en donnent à corps joie. Chacune dans son registre est absolument épatante. Marie Le Cam est convaincante en femme d’extraction modeste, terre-à-terre (c’est le cas de le dire), bourrée d’une énergie désordonnée, bougonne, un peu complexée par l’attitude très aristocratique de sa voisine de tombe. A celle-ci, Cyrielle Clair apporte une élégance racée, un ton quelque peu affecté et puis, soudain il lui arrive de péter un câble, de faire la fofolle… C’est une jolie découverte que de la voir ainsi aussi farfelue et pleine d’autodérision. Vers la fin, elle va même très loin dans une audacieuse excentricité lors d’un tableau dont je vous laisse l’heureuse surprise. On n’est pas mort de rire, mais presque.
C’est donc avec beaucoup de plaisir que nous partageons la Grasse matinée de ces deux mort-vivantes. Pour qui aime l’humour noir, pour qui frissonne de plaisir à bord d’un train-fantôme, pour qui est friand de grand guignol soft et malicieux, c’est vraiment réussi.

jeudi 24 septembre 2009

Mozart, l'opéra rock


Palais des Sports
Porte de Versailles
75015 Paris
Tel : 08 25 03 80 39
Métro ou tramway : Porte de Versailles

Livret écrit par Dove Attia et François Chouquet
Mis en scène par Olivier Dahan
Chorégraphies de Dan Stewart
Décors d’Alain Lagarde
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Costumes de Gigi Lepage
Avec Mikelangelo Loconte (Mozart), Claire Pérot (Constance Weber), Florent Mothe (Antonio Salieri), Mélissa Mars (Aloysia Weber), Solal (Léopold Mozart), Maeva Méline (Nannerl Mozart), Marie Lenoir (Anna Maria Mozart), Yamin Dib (Rosenberg), Nuno Resende (Gottlieb Stéphanie), Patrice Maktav (Da Ponte), Merwan Rim (l’aubergiste)…

Ma note : 7,5/10

L’histoire : Mozart, l’éternel adolescent à l’insouciance arrogante, artiste sensible et profond, est en quête d’un absolu musical et de la reconnaissance d’un père dont il ne pourra jamais s’affranchir. Il est également le premier artiste libre de tous les temps, un génie révolutionnaire et précurseur.
Le spectacle commence au moment où son destin bascule : Colloredo devient le nouveau prince-archevêque de Salzbourg. C’est un homme austère et autoritaire qui s’avère totalement hermétique à la musique de Mozart et allergique à la fougue et à l’impertinence du personnage… Mozart a 20 ans. La vie à Salzbourg devient vite intenable. Il décide alors de quitter sa ville en compagnie de sa mère en quête d’un avenir meilleur dans une capitale européenne… Le périple du compositeur va être jalonné d’échecs et de cruelles déconvenues. Aucune cour européenne ne l’engage. Il connaît sa première déception amoureuse avec Aloysia Weber… Sa mère meurt à paris, une ville qui le rejette et l’humilie. Quand il rentre à Salzbourg, c’est pour y apprendre le décès de l’impératrice d’Autriche…

Mon avis : Déjà, sur le plan du visuel et de l’esthétique, ce spectacle nous en met plein les mirettes. Nous sommes carrément dans un film en technicolor à la Barry Lyndon. Tout y est somptueux : les décors, les costumes, les lumières. Quelques tableaux sont dignes de véritables toiles de maîtres. Il faut saluer le travail effectué par Olivier Dahan qui nous a concocté quelques scènes réeellement cinématographiques dans lesquelles on retrouve sa patte "petit-poucetesque". Une seule, à mon goût, me semble superflue : celle où les muses apparaissent à Mozart. Elle ralentit l'action et détourne le propos.

Autre plan hyper positif, la distribution. Mikelangelo Loconte, quasiment omniprésent, apporte au personnage de Mozart toute sa fougue, sa folie, son insouciance. Il saute partout, embrasse à bouche-que-veux-tu tout ce qui porte jupons, s’amuse et rit comme un petit fou ; et, parfois, il laisse filtrer son extrême sensibilité, exprime sa révolte contre les injustices, s’insurge contre ceux qui veulent brider sa liberté d’artiste… Un très beau rôle dans lequel Mikele démontre d’indéniables qualités de comédien.
A ses côtés, les cinq autres rôles principaux, assurent eux aussi ; tant par leur qualité vocale (un minimum tout de même pour un spectacle musical), que dans leur présence scénique et dans leur jeu. Casting sans faute. La partie de cache-cache sentimental entre les deux sœurs devenues rivales est particulièrement bien dessinée et interprétée par Claire Perrot et Mélissa Mars. Maeva Méline, toute en douceur et légèreté, apporte au personnage de la sœur de Mozart une formidable tendresse qui passe la rampe. Elle n’est, vis-à-vis de son frère et de son père qu’amour et tolérance… Florent Mothe, dans le rôle de Salieri, a choisi d’en faire un homme très réservé, limite psychorigide, au maintien hiératique, mais brûlant d’un feu intérieur ; Mozart lui fait certes de l’ombre, mais il en reconnaît son génie avec une honnêteté qui l’honore. Lui, il n’a que du talent… Quant à Solal, dans le rôle du père de Mozart, il fait parfaitement passer la souffrance qui habite cet homme autoritaire, écartelé entre son désir de réussite professionnelle pour son rejeton et l’amour qui lui porte. Mais il est bien forcé de faire passer la raison avant les sentiments.
Rayon comédiens, j’ai noté qu’il se passait quelque chose à chacune des apparitions de Yamin Dib, qui incarne le comte Rosenberg. Un rôle en or pour cet artiste protéiforme car il est le seul dont l’attitude caricaturale, l’acharnement contre Mozart et la mauvaise foi amènent une franche note d’humour. Dès qu’il apparaît, la salle est en joie. C’est donc un élément on ne peut plus positif pour l’équilibre de ce spectacle. Très importants, les seconds rôles. Il en est d’ailleurs un peu de même pour ce qui concerne la comédienne qui joue madame Weber, calculatrice, opportuniste et truculente à souhait.

Côté chansons, deux tubes enfièvrent la salle, Tatoue-moi et L’assassymphonie. Personnellement, j’ai aussi beaucoup apprécié les interprétations de Six pieds sous terre et de Si je défaille. Quant au tableau illustrant Bim bam boum, c’est un petit bijou d’esthétique.
Musicalement, le cocktail musique classique/rock’n’roll est tout-à-fait réussi. D’autant qu’il est servi en live, chose qui apporte une réelle énergie et une belle dynamique. Et il est bon de repérer ça et là une de ces mélodies mozartiennes qui sont quasiment des standards. Une seule critique, pour l’amoureux des mots que je suis, la musique est parfois un tantinet trop forte, ce qui peut nuire à la compréhension des paroles (sauf, bien sûr, celles des différents tubes que la salle connaît déjà par cœur).
Enfin, il y a le déroulement de l’histoire. Le challenge n’était pas aisé à relever tant la vie de Mozart, pour brève qu’elle fut, a été agitée. C’est qu’il a énormément voyagé le bougre. La difficulté était donc de synthétiser toutes les étapes de sa vie depuis ses 20 ans jusqu’à sa mort, à 35 ans. Là aussi, le pari est réussi, car on comprend toujours parfaitement la situation dans laquelle notre petit génie se trouve ainsi que tous les problèmes auxquels il est confronté. Ces éléments, indispensables, amènent une alternance entre scènes intimistes parlées et les scènes mettant en présence de nombreux personnages (cour, salons, taverne, échoppe de la famille Weber…). Ce qui fait que le premier acte comporte deux-trois petites plages un peu plus lentes et statiques qui s’avèrent toutefois nécessaires pour une bonne lecture de l’action. Quant au deuxième acte, placé entre émotion(s) et folie, il est impeccable.
Esthétiquement, musicalement, artistiquement, Mozart, l’opéra rock, est donc à la hauteur de ses promesses et on quitte le palais des Sports enchanté (comme la flûte du même nom).

mardi 22 septembre 2009

Le chalet de l'horreur de la trouille qui fait peur


Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche / Pigalle

Une comédie policière de Patricia Levrey
Mise en scène par Michel Crémadès
Avec : Isabelle Parsy (Christine), Cristelle Ledroit (Sophia), Bertrand Fournel (Julien), Pascal Parmentier (José), Jean-David Stepler (Philippe de Valandry).

Ma note : 7/10

L’histoire : Cinq personnages ayant tous répondu à une mystérieuse invitation se retrouvent en pleine montagne, prisonniers dans un chalet isolé… Pourquoi les a-t-on attirés ici ? Que leur veut-on ? Qui est véritablement qui ?... Bientôt, ils vont tous se suspecter les unes les autres.

Mon avis : En fait, à lui tout seul, le titre de cette pièce en annonce le ton. Le chalet de l’horreur de la trouille qui fait peur… ça ne file pas vraiment les chocottes. Ça prête même gentiment à sourire. On dirait une phrase prononcée par un gamin d’une dizaine d’années qui joue à se faire peur après avoir lu un bouquin de la collection « Chair de poule »…
Avant même que la scène s’éclaire, une musique d’ambiance bien appuyée nous installe dans une parodie du film d’horreur. Ça y est, on est conditionné. Que va-t-il se passer de si épouvantable dans ce chalet ?
Le premier contact que l’on a avec ce spectacle - si important pout donner le la - est sincèrement plutôt réussie. Tout de suite, on est plus dans le cartoon que dans le grand guignol. Le duo fonctionne immédiatement. Entre le costaud menaçant et le petit péteux, il y a un vrai contentieux à régler. Leur antagonisme physique et mental donne lieu à quelques scènes cocasses avec gags à répétition dignes d’un (bon) dessin animé. C’est très plaisant et on se dit que tout cela semble bien parti.
L’irruption d’un troisième personnage, la très caricaturale Sophia dans sa tenue de skaï blanc, nous met dans l’expectative. Comme elle a un peu tendance à surjouer, elle se met illico en décalage avec les deux énergumènes. Et puis arrive Philippe, l’homme politique. Physiquement, plus on le regarde, plus il nous fait penser à un hybride entre Jean-François Copé et Eric Woerth ; chose qui le rend bien sûr très crédible. Lui aussi, au début, a tendance à en rajouter dans les gestes et dans le ton. Mais, je vous rassure tout de suite, Sophia et Philippe vont se ressaisir très vite et trouver heureusement le bon ton et se révéler tout-à-fait impeccables.
Et puis arrive le cinquième élément : LA Christine… Simultanément avec l’ouverture de la porte du chalet, c’est une bourrasque qui entre. Accoutrée de façon ridicule d’un compromis entre l’uniforme de la Jeannette et celui de l’Armée du salut, coiffée d’un béret ridicule, elle apporte immédiatement un surcroît de folie à une situation qui était déjà pas mal engagée côté dinguerie. Et dès qu’elle se met à parler, on sait illico à qui on a affaire ; à une vieille fille, bigote, illuminée, droite dans ses moonboots, et en prise directe avec son saint Patron. Dès lors la pièce entre tout schuss sur la piste noire du délire. La pression monte, chacun cherche à embrouiller l’autre, et les caractères, jusque là esquissés, s’affirment.
Julien, le petit bonhomme lâche, veule et trouillard, est excellent dans ce registre… José, le journaliste baraqué et déterminé, sûr de son bon droit, c’est la force tranquille… Sophia, touchante et ambiguë, enjôleuse et maligne, a l’art de faire passer le chaud et le froid et d’entretenir le mystère… Philippe, plus vrai que nature en politicien véreux, grandiloquent, autoritaire, puant de prétention et velléitaire, est détestable à souhait… Et Christine, qui peu à peu laisse apparaître certaines faiblesses en contradiction à son état de grenouille de bénitier (elle préfère donner la priorité à son foie plutôt qu’à sa foi), révèle un tempérament comique des plus pointus.

Or donc, Le chalet de l’horreur de la trouille qui fait peur s’avère être une sympathique comédie servie par de bons dialogues et parsemée de jeux de mots de bon aloi. On se demande jusqu’à la fin où Patricia Levrey (à qui ont doit entre autre La peur n’évite pas de manger et le drôlissime Quand la Chine s’éveillera) veut nous emmener. En plus, grâce à des situations et à des dialogues pas si anodins que ça, la pièce comporte un aspect satirique particulièrement bien observé sur le monde politique et certaines mentalités… Voici donc un chalet où vous pouvez réfugier pour les longues soirées d’hiver…

lundi 21 septembre 2009

Vie privée


Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce inspirée de The Philadelphia Story de Philip Barry
Adaptée et mise en scène par Pierre Laville
Décors de Thierry Flamand
Costumes d’Emmanuel Peduzzi
Musique d’Hervé Devolder
Avec Anne Brochet (Tracy), Julien Boisselier (Macauley, le journaliste), François Vincentelli (Dexter), Samuel Jouy (George), Claire Vernet (Margaret, la mère), Yves Gasc (Oncle Willy), Nathalie Boutefeu (Elisabeth, la photographe), Alexandra Gentil (Dinah), Yves Beneyton, Laurent Meda.

Ma note : 6,5/10

L’histoire : La fille d’une grande famille de Philadelphie s’apprête à se remarier. Des journalistes indiscrets décident de faire un reportage chez elle, accompagnés de son ex-mari, qui veut la reconquérir…

Mon avis : Eh bien, voici une pièce qui m’a laissé perplexe… les comédiens (tous) sont absolument excellents, les décors sont superbes, les costumes – surtout les robes que porte Anne Brochet – somptueux. Et pourtant, hormis à quelques moments de grâce pure, la sauce n’arrive pas à prendre. Même, si elle est beaucoup plus digeste dans une deuxième partie qui sauve véritablement la pièce de son babillage ronronnant.
Alors que tous les éléments sont véritablement réunis, quels sont donc les raisons qui font que cette mayonnaise n’ait pas tout-à-fait pris ?
Beaucoup trop d’huile(s) ? Pas assez de vinaigre ?...
D’abord peut-être parce que cette pièce est terriblement américaine. Elle aurait dû exhaler un charme délicieusement exotique pour nous, Européens, confrontés à cette image glamour de la haute société philadelphienne. Mais elle nous fait l’effet « Canada Dry ». C’est tout près, c’est bien imité, mais ce n’est pas vraiment ça… Tout en lorgnant vers Gatsby le Magnifique sans en avoir la véritable légèreté et l’aspect subversif, elle souffre aussi de la comparaison avec le film The Philadelphia Story, emmené par un trio de légende, Katherine Hepburn (Tracy), Cary Grant (Dexter), James Stewart (Macauley). Et pourtant, je tiens à le répéter, Brochet, Vincentelli et Boisselier sont tous trois réellement épatants… Force est alors de se tourner vers l’adaptation. C’est vrai qu’en dépit des efforts et du plaisir –évident – que montrent les comédiens, on a tendance à s’ennuyer un tantinet tout au long de la première partie. Le rythme est lent et c’est très bavard. Heureusement, comme je le précisais plus haut, le deuxième acte est d’une facture nettement supérieure. Si bien que l’on termine sur une plutôt bonne impression car on a assisté à de fort jolis moments de théâtre : scène cocasse de danse sur une musique soûle (à noter à ce propos la qualité des intermèdes musicaux), opposition prolo-aristos plus vive, piques perfides à fleurets mouchetés et – véritable trouvaille hyper réjouissante, parodie de Ségolène au Zénith. Cette scène est tellement inattendue, tellement décalée, qu’après un moment de flottement, la salle réalise soudain l’intention et se met à jouer le jeu avec une Anne Brochet espiègle et magnifique.

Soyons objectif. Tout n’est pas négatif, loin de là, et il reste en partant le souvenir d’une comédie charmante quant elle aurait dû être exaltante. La distribution, Anne Brochet et Julien Boisselier en tête, en est en tout point inattaquable. Anne démontre une fois de plus toute l’étendue de son talent. Elle est parfaite en aristocrate hautaine (pléonasme ?). Dans le premier acte, dans lequel Dexter, son ex, la définit en ces termes : « Elle est belle, autoritaire et riche ! », elle apparaît comme un animal à sang froid, snob, psychorigide, capricieuse et tyrannique, nonchalante et désabusée. Dans le deuxième, elle entre de plain-pied dans la comédie « à l’américaine », faisant preuve d’une formidable drôlerie, d’une pétillante autodérision. En plus, elle a une façon de se mouvoir et de danser qui lui donnent un charme fou. Grande, grande comédienne…
En journaliste idéaliste et engagé dans la lutte des classes, Julien Boisselier, on le voit tout au long de la pièce, s’amuse comme un petit fou. Même s’il est un peu moins convaincant dans le premier acte quand on lui donne à servir un dialogue revendicatif, quelque peu amer et vindicatif, dès qu’il s’agit de « lâcher les chiens », il est esbroufant…
A leurs côté, chacun tire son épingle du jeu… François Vincentelli (Dexter), c’est confondant, possède une présence et un pouvoir de séduction à la George Clooney. Il est hyper élégant, facile, plein d’humour et de recul… Samuel Jouy (George), est physiquement parfait lui aussi. Il joue à ravir au parvenu primaire et obtus, égocentrique et jaloux… Claire Vernet (la maman), souvent dépassée par les événements, met surtout en avant sa grande émotivité et sa simplicité. Elle amène une jolie note de fantaisie… Comme d’ailleurs Yves Gasc (oncle Willy), particulièrement amusant avec son personnage de vieil aristo libidineux et dragueur, épicurien farceur. Mais il le fait avec tant de rondeur et de bonhommie qu’il nous est d’emblée très sympathique… Alexandra gentil, la petite sœur, Dinah, qui apporte la fraîcheur, la naïveté et la joie de vivre de l’adolescence…

Finalement, quand on dresse le bilan de cette Vie privée, on note qu’il y a plus de points positifs que négatifs. Rien que pour le jeu des comédiens, ça vaut tout de même la peine de se rendre au théâtre Antoine.

vendredi 18 septembre 2009

Les hommes préfèrent mentir


Théâtre Saint-Georges
51, rue Saint-Georges
75009 Paris
Tel : 01 48 78 63 47
Métro : Saint-Georges

Une comédie d’Eric Assous
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décor de Stéphanie Jarre
Avec François-Eric Gendron (Simon), Véronique Boulanger (Olivia), Cyrille Eldin (Sam), Juliette Meyniac (Aurélie), Manuel Gélin (Richard), Murielle Huet des Aunay (Madison), Mathilde Pénin (Anne-Catherine)

Ma note : 8/10

L’histoire : Cinq à dîner : un couple et trois célibataires, tous quadras. On est a priori entre bons amis et la soirée promet d’être joyeuse et détendue. Pourtant, l’arrivée d’un personnage imprévu va tout dérégler et faire apparaître des vérités qui dérangent et des personnages à la moralité boiteuse, pratiquant mensonges, coups bas et trahisons. Dès lors, le grand déballage est inévitable…

Mon avis : Cette pièce traite avec un humour teinté (très fortement teinté même) de férocité des quadras aux prises soit avec la vie de couple, soit avec leur solitude.
L’action se déroule dans un joli décor cossu comme sait si bien les transposer Stéphanie Jarre. Un décor, qui dans la deuxième partie de la pièce, va totalement se métamorphoser par la grâce d’un jeu de panneaux coulissants ou pivotants. Ce changement à vue s’intègre habilement dans l’action via un sympathique clin d’œil à Mary Poppins.
Dès le début, on sait où on en est : Simon, marié depuis huit ans avec Olivia, la trompe avec une certaine Anne-Catherine. Le grand soir est arrivé, poussé par sa maîtresse qui lui adresse une forme d’ultimatum, Simon va devoir annoncer à sa femme qu’il a décidé de la quitter. La démarche, déjà pas aisée pour un homme aussi courageux que lui, va être passablement compliquée par l’arrivée inopinée de trois convives à un dîner dont il avait oublié l’existence…
Et là on va assister à une succession de portraits tous plus acides les uns que les autres… mais tellement vrais ! Arrive Sam, homo refoulé, qui croit que son orientation sexuelle n’est connue que de ses deux amis mâles, Simon et Richard… Surgit Aurélie, une sorte de bimbo nunuche et évaporée qui noie sa solitude dans l’alcool… Et survient le troisième invité, Richard, play-boy m’as-tu-vu tendance macho… Mais, à la surprise générale, il n’est pas venu seul. Il est accompagné de Madison, une apprentie comédienne qu’il vient tout juste d’épouser à Las Vegas…
Pour Olivia, qui rêvait secrètement que son amie Aurélie reparte avec un des deux prétendants qu’elle voulait lui présenter, c’est la tuile ! L’un est gay, l’autre est un jeune marié…

Dans cette pièce dont l’action ne cesse d’aller crescendo une fois que les caractères de chacun des personnages aient été suffisamment dessinés, on rit du début à la fin. Certes, on rit aux dépens des sept protagonistes qui en prennent tous à un moment ou à un autre pour leur grade et pour leur dignité, mais au fond, on rit aussi de nous. Immanquablement, on se retrouve plus ou moins dans certaines attitudes. Cette pièce est un condensé de vie… C’est là qu’il faut encenser le casting car chaque comédien est si parfaitement en phase avec son personnage qu’on en arrive à oublier qu’ils jouent la comédie.
François-Eric Gendron, en champion toutes catégories de la mauvaise foi, est le pivot de l’histoire. Il faut voir avec quel cynisme il ne cesse de saisir la moindre opportunité pour dénigrer la vie de couple. C’est lui qui personnifie le titre de la pièce : Les hommes préfèrent mentir. Pourtant, pour ce qui le concerne, cette assertion n’est pas tout-à-fait exacte. Il ne « préfère » pas mentir, il ment parce qu’il ne sait pas faire autrement. C’est chronique chez lui. C’est le champion de l’esquive, un parangon de lâcheté masculine… La seule fois où il énonce une vérité, quand il s’écrie : « S’engager ! Il n’y a rien de pire pour un homme que de s’engager. » Avec une telle déclaration, la messe est dite. C’est tout le sujet de la pièce. Malgré tout, à la fin de la pièce, en dépit de ses nombreuses turpitudes, on en viendrait presque à le prendre pitié.
La mécanique est tellement bien huilée et les rôles si bien distribués, que l’on dirait avoir affaire à une troupe. Véronique Boulanger, pour ceux qui la découvriraient, possède une façon d’être et un ton impayables. Elle joue à la femme trompée avec un pragmatisme déroutant. Elle ne perd jamais le contrôle d’elle-même. Et sa métamorphose en d’épouse aimable et compréhensive, en adversaire impitoyable sans jamais se départir de son calme, y compris dans les affrontements directs avec sa rivale, est un modèle du genre. Elle est tout simplement remarquable dans ce registre…
Cyrille Eldin joue son rôle de Sam, l’homo, avec beaucoup de délicatesse. Il ne force jamais le trait. Gauche et maladroit à son entrée en scène, il révèle au fur et à mesure de l’intrigue un véritable tempérament. Subtil dans la moindre mimique et la moindre posture, il déploie sans en avoir l’air un éventail de jeu très étendu.
Quant à Juliette Meyniac, on peut dire qu’à son arrivée, le rythme de la pièce monte d’un cran. D’une formidable drôlerie, elle apporte un véritable vent de folie. Elle est la reine de la gaffe, des gaffes qui, l’alcool aidant, deviennent d’autant plus fréquente. C’est une vraie nature et, en marge de sa puissance comique, sa disette amoureuse nous la rend bien attachante.
Manuel Gélin, dans le rôle de Richard, c’est l’anti-Sam. Totalement extraverti, sûr le lui et de son pouvoir de séduction, il n’a aucune complaisance. C’est le roi de la mise en boîte et de la phrase équivoque pour déstabiliser titiller sa cible, surtout lorsqu’il s’agit de Sam. Son assurance, son agressivité et son sans-gêne ne le rendent pas des plus sympathiques. Mais comme c’est joué sans aucune exagération, on ne peut pas le détester. D’autant qu’à la fin…
Murielle Huet des Aunay, l’adolescente de Chat et souris, a bien grandi. Elle est devenue une charmante jeune femme terriblement sexy. Parfaite pour le rôle de Madison, une fille à papa à la beauté froide, peu pourvue d’aménité, snob et superficielle. Elle est l’antithèse d’Aurélie.
Et enfin, Mathilde Pénin, qui hérite là d’un de ses meilleurs rôles. Elle est Anne-Catherine, le détonateur, celle par qui la tempête arrive. C’est la femme-femme. Elle sait ce qu’elle veut, elle l’exprime avec un franc-parler qui décoiffe. Les quelques scènes qu’elle a avec sa rivale, Olivia, sont particulièrement juteuses.

Les hommes préfèrent mentir est une comédie totalement réussie, tant dans son intrigue que dans ses dialogues, particulièrement vifs et délicieusement vachards, servie par une brochette de comédiens impeccables. Donc, mention particulière à son auteur, Eric Assous, qui nous a concocté une histoire très actuelle, riche en rebondissements et en phrases percutantes, jamais vulgaire et qui se permet au contraire, de nous glisser au passage quelques vérités qui donnent à réfléchir sur des thèmes essentiels à notre société : le couple, la solitude, l’homosexualité, l’adoption, l’alcool, le poids des médias (télévision, littérature). Les hommes préfèrent mentir est appelée à être un des grands succès théâtraux de cette fin d’année. Personnellement, je ne vous mentirai point en affirmant que, tout au long, j’ai bu du petit lait (avec un peu de vitriol dedans !)

Parole & guérison


Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Christopher Hampton
Adaptée et mise en scène par Didier Long
Avec Barbara Schulz (Sabina Spielrein), Samuel Le Bihan (Carl-Gustav Jung), Bruno Abraham-Kremer (Sigmund Freud), Léna Bréban (Emma Jung), Alexandre Zambeaux (Otto Gross), Candice Crosmary (l’infirmière)

Ma note : 8/10

L’histoire : En 1904, Sabrina Spielrein devient à la fois la patiente et l’élève du docteur Jung qui expérimente avec elle une toute nouvelle méthode thérapeutique révolutionnaire, inventée par Freud : la psychanalyse.
D’abord dans un rapport de filiation intellectuelle, Jung se détache peu à peu de son mentor… La scission entre les deux hommes est consommée malgré l’intercession de Sabrina devenue à son tour médecin.

Mon avis : « Tout ce qui est prononcé dans cette pièce, tout ce qui y est mentionné – y compris les rêves prémonitoires – est absolument véridique » confirme Barbara Schulz dans sa loge à l’issue du spectacle. Une Barbara Schulz étonnamment « normale » et toujours aussi simple. Et pourtant, pendant près de deux heures elle vient de nous livrer une prestation de haut vol, surtout dans le premier tiers où elle interprète une Sabrina habitée par ses névroses et hantée par ses souvenirs de jeunesse. Sa performance est aussi hallucinée qu’hallucinante. Elle va chercher aux tréfonds d’elle-même des attitudes, des postures, une gestuelle, un débit haché et hésitant, des regards, qui sont proprement impressionnants. Elle passe sans transition de la prostration à la violence la plus brutale. Elle accomplit là une performance que l’on peut qualifier sans grand risque de « moliérisable »…

L’action se déroule au début dans le décor on ne peut plus austère d’un asile public zurichois. Mais ce décor se module ingénieusement par la suite grâce au glissement de structures qui symbolisent alors soit un lit, un bureau, une loge d’opéra, un divan. Vraiment efficace comme procédé.
Très élégant dans son costume trois-pièces, petites lunettes d’intellectuel, le docteur Jung (Samuel Le Bihan) devise avec son épouse. Il se prépare à accueillir une jeune patiente de 19 ans dont la pathologie semble bien compliquée cernée. Il envisage de l’utiliser comme cobaye pour tester une nouvelle méthode thérapeutique qu’il nomme « la cure par la parole », directement inspirée par les pratiques d’un certain docteur Sigmund Freud qu’il présente lui sous le nom de psychanalyse.
C’est dans cet univers de blouses blanches, froid et aseptisé, que débarque Sabrina Spielrein, une jeune Russe, annoncée comme étant passablement agitée, instable et hystérique. C’est là que le jeu très physique de Barbara Schulz est véritablement saisissant. En tant que spectateur, on ne peut que se focaliser sur un tas de petits détails comportementaux : crispations des mains, gestes désordonnés, regard éteint, débit saccadé… Mais il ne faut pas trop en dire pour vous laisser juger vous-même le niveau fascinant de jeu de la jeune femme avec des réactions imprévisibles qui conduisent à de grands moments de tension … Quant à Samuel Le Bihan, apaisant, rassurant, il s’efforce d’être le catalyseur tout en se régalant intérieurement en tant que médecin d’avoir à sa disposition un sujet aussi passionnant. Puis, petit à petit, quand il est amené à lutter contre ses contradictions, ses doutes, son attirance pour sa patiente, il se révèle moins serein, moins sûr dans ses convictions et, surtout, dans sa déontologie.

Cette pièce, qui nous montre les balbutiements de la psychanalyse à travers les travaux et les rencontres de deux des plus grandes sommités de la discipline, Freud et Jung, n’est jamais ennuyeuse. Au contraire, elle se révèle tout-à-fait captivante de par sa construction, alternant les séances de soins (avec Barbara, puis avec Otto Gross), les confrontations entre les deux médecins, esprits brillants, et les simples scènes de vie conjugale du couple Jung.
A ce propos, il faut mettre en avant une distribution impeccable… Bruno Abraham-Kremer, qui incarne Freud, c’est la force tranquille d’un homme sûr de son fait. Ses idées sont bien arrêtées. Pour lui, tout tourne autour de la sexualité et il ne veut surtout pas entendre parler d’un possible impact de la religion. Il apporte en outre à son personnage beaucoup de malice… Alexandre Zambeaux, qui campe Otto Gross, nous offre deux scènes réellement réjouissantes. Lui, c’est le parfait épicurien, le jouisseur absolu ; et, ma foi, il ne profère pas que des bêtises à propos de certains comportements si typiquement masculins… Et puis il y a Léna Bréban, qui joue Emma, l’épouse de Karl-Gustav Jung. Avec sa blonde douceur, elle apporte d’authentiques valeurs de tolérance, d’humanité. C’est une femme « aimable » dans le sens littéral du terme.
Enfin, même si le sujet traité est sérieux, on sourit souvent au cours de cette pièce, en raison de certaines situations, de certains affrontements d’égos, et de certaines réflexions du genre « Les médecins sains d’esprit sont terriblement limités »…

Parole & guérison s’avère donc être une pièce véritablement prenante, intelligente sans être jamais hermétique, remarquablement écrite, et parsemée de dialogues de haute volée. Un joli moment de théâtre, je vous en donne ma « parole »…

lundi 14 septembre 2009

Le Neveu de Rameau


Théâtre le Ranelagh
5, rue des Vignes
7016 Paris
Tel : 01 42 88 64 44
Métro : La Muette / Passy

Une pièce de Diderot
Mise en scène par Jean-Pierre Rumeau
Avec Nicolas Vaude (le neveu), Nicolas Marié (le philosophe), Olivier Beaumont (le musicien)

Ma note : 7/10

L’histoire : Un philosophe revient sur sa rencontre au café de la Régence avec un personnage singulier, le neveu de Rameau, jeune homme marginal accablé par la réussite musicale de son oncle, le célèbre Jean-Philippe Rameau. Il s’ensuit une joute extraordinairement vivante entre les deux hommes…

Mon avis : La première chose qui nous happe, c’est la qualité de la langue. Une langue riche, foisonnante, précise, parfois lyrique, mais le plus souvent caustique et acide. Un véritable torrent impétueux de mots qui nous emporte, nous renverse et nous émerveille. Après cela, il n’y a plus qu’à se laisser porter par le jeu des comédiens ponctué par les notes claires et mélodieuses du clavecin.
« Il n’y a pas de grand esprit sans grain de folie » ! Cette pièce pourrait se résumer à travers cette affirmation. Or là, nous avons ces deux éléments - le grand esprit et le grain de folie – réunis dans cette superbe salle qu’est le théâtre du Ranelagh. Le grand esprit, il est personnifié par Nicolas Marié, qui joue le philosophe avec énormément de distance, de finesse et de sagesse, parfait contrepoint à l’exubérance affichée par son partenaire et interlocuteur, Nicolas Vaude, le fameux « Neveu ».
Nicolas Vaude… C’est un phénomène ! Le « grain de folie », c’est lui… Il possède (ou il est possédé) le théâtre jusqu’aux tréfonds de son âme. Il endosse la personnalité du neveu avec une incroyable débauche d’énergie. Il emplit l’espace, il court dans la travée, monte dans les loges… Il fait totalement exister ce personnage hypersensible, susceptible, vindicatif, amer, grandiloquent, mais aussi terriblement lucide et doté d’une autodérision inoxydable. Et si incomparablement brillant…
Grâce à ces deux comédiens, on réalise combien Denis Diderot pouvait se montrer virulent, iconoclaste, transgressif, n’hésitant pas même à utiliser des métaphores crues pour mieux appuyer ses propos d’homme blessé. Cet état d’esprit hargneux et plein de rancœur amène aux dialogues et aux tirades enflammées du Neveu une vie formidable à cette œuvre âgée de presque 250 ans. Finalement, la satire, ça vieillit bien et c’est tellement dans la tradition française !
Lorsque, dans son emportement, le Neveu vomit « les gens de génie sont détestables », impossible de croire une seconde qu’il le pense. Certes, il est affreusement jaloux de la notoriété de son célèbre compositeur de tonton et c’est en cela qu’il abhorre son génie (Outre Rameau, ce cher Racine en prend d’ailleurs lui aussi plein la tête), mais je suis convaincu qu’il y a chez lui beaucoup de fausse modestie. Il s’affiche médiocre mais se sait très supérieur. C’est justement cet antagonisme qui a séduit le Philosophe. Il a tout de suite décelé chez le Neveu une intelligence vive, aigüe, exceptionnelle. Et il s’amuse de l’entendre ainsi vitupérer sur la société de l’époque et ses injustices.

Pour apporter un peu de tempérance et de douceur à ce déferlement emporté de charges verbales, rien n’était plus judicieux que de l’entrecouper de quelques plages musicales, aimablement distillées au clavecin par ce digne champion de la musique baroque qu’est Olivier Baumont. Lequel ne dédaigne pas, au passage, de se mêler à l’action par quelques réactions et commentaires glissés à bon escient.

En conclusion ce Neveu de Rameau repose essentiellement sur un texte d’une richesse rare et sur la prestation effervescente d’un Nicolas Vaude exalté. Ça reste bien sûr une pièce éminemment intellectuelle où il faut savoir rester en permanence en éveil et attentif, pour jouir comme elle le mérite de ses nombreuses perles d’écriture. Et le Ranelagh est un si bel écrin…

La Nuit des Rois


Théâtre Comédia
4, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 38 22 22
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une comédie de William Shakespeare
Texte français de Jean-Michel Déprats
Mise en scène par Nicolas Briançon
Avec Sara Giraudeau (Viola/Césario), Arié Elmaleh (Feste, le bouffon), Chloé Lambert (Olivia), Henri Courseaux (Malvolio), Yannis Baraban (Orsino), Yves Pignot (Sir Toby), Jean-Paul Bordes (Sir Andrew), Emilie Cazenave (Maria), François Siener (Antonio), Thibaud Lacour (Sébastien), Pierre-Alain Leleu (Le Capitaine), Aurore Stauder (Valentin), Sophie Mercier (Curio)

Ma note : 8,5/10

L’histoire : En Illyrie, où règne le duc Orsino, amoureux de la belle et riche comtesse Olivia, une tempête provoque le naufrage d’un navire venant de Messine. Viola et son jumeau Sébastien survivent au naufrage, mais échouent à deux endroits différents de la côte, chacun croyant qu’il a perdu l’autre…

Mon avis : Une merveille ! Une pure merveille. Finalement, Molière et Shakespeare ont tout inventé. Tous les ressorts de la comédie illuminent cette « Nuit » de folie et de délire(s). Une profusion de quiproquos, une pinte de mystification, quelques envolées d’un romantisme adolescent, une grosse louche de non sens so british, c’est un véritable foisonnement. C’est simple, on a même droit à une fort gracieuse gigue irlandaise… Très peu de décors dans le but de libérer de l’espace (ils sont tout de même treize sur scène, et ça bouge !), mais suffisamment explicites pour faciliter la compréhension du spectateur en fonction de l’endroit où l’action se déroule, comme par exemple, ces sept massifs rectangulaires savamment disposés en quinconce…
La mise en scène, particulièrement inventive et alerte, sert parfaitement cette jolie péripétie amoureuse dont on ne cesse, en plus, de (re)découvrir l’écriture ; une écriture d’une richesse incomparable et, finalement, très moderne. Un véritable délice pour les oreilles !
Récapitulons : une mise en scènes efficace, des dialogues et des monologues à la fois subtils et plantureux, des costumes, élégants pour certains, bigarrés pour d’autres (Ah, ces superbes tenues écossaises qu’arborent nos deux sirs !), des intermèdes musicaux réjouissants permettant de mettre en valeur la fort jolie voix d’Arié Elmaleh, une gigue irlandaise exécutée d’une manière fort aérienne par trois aimables et primesautières bacchantes… Voilà déjà de quoi hisser cette Nuit des Rois à un niveau spectaculairement très élevé… Et puis il y a la distribution. Un pur joyau. C’est simple, on a l’impression d’avoir affaire à une troupe tant chacun est parfaitement à sa place et tant la complicité est manifeste. Jusqu’au plus petit rôle, tout le monde est juste, tout le monde est bon.
Mais, tout en saluant cette remarquable homogénéité, on ne peut toutefois s’empêcher de placer quatre comédiens au-dessus du lot, deux pour leur présence décapante et leur virtuosité dans quelques morceaux de bravoure, et une pour sa performance dans un jeu plein de sensibilité et de légèreté… Il y a évidemment Sir Toby (Yves Pignot), dont chacune des apparitions, aussi truculentes que tonitruantes, apporte un grand moment de drôlerie. Il est parfaitement épaulé en cela par son complice de comédie, lui aussi farceur à souhait, Sir Andrew (Jean-Paul Bordes), qui ne recule devant aucune facétie. Il y a aussi Malvolio (Henri Courseaux) ; tout simplement parce qu’il a le rôle sans doute le plus évolutif du spectacle, un rôle qui le voit passer de l’attitude affectée et méprisante de l’intendant imbu de ses prérogatives à celle d’un soupirant énamouré se comportant soudain comme un jouvenceau absolument ridicule (Ah, ce monologue gentiment déjanté et grotesque !)… Enfin, il y a Sara Giraudeau. De pièce en pièce, de prise de risque en prise de risque dans des registres totalement différents, la gracile jeune fille est en train de se tailler une place prépondérante dans notre théâtre. C’est qu’il n’est pas évident à tenir le double rôle de Viola et de Césario, fille ET garçon. Or, elle est carrément magistrale. Légère, douce, pleine de fraîcheur et de fragilité, elle est tout le temps dedans. Et quand elle sourit, elle est terriblement craquante (incroyable d’ailleurs comme elle ressemble à son père quand un sourire illumine son visage).

Cette Nuit des Rois est un spectacle… royal ! Le théâtre à l’état pur, dans toute sa noblesse, sa grandeur et sa folie. On sort profondément heureux du théâtre Comédia.

mercredi 9 septembre 2009

Le Coach


Un film d’Olivier Doran
Avec Jean-Paul Rouve (Patrick Marmignon), Richard Berry (Maximilien Chêne), Anne Marivin (Vanessa Letissier), Mélanie Bernier (Cécile Marmignon), Didier Bezace (Hubert Dampierre), Jean-Noël Brouté (Bertrand Lécuyer), Florence Pernel (La jeune femme du parc), Jean-Philippe Ecoffey (le directeur du casino), Laure Manaudou (elle-même)…
Sortie le 9 septembre

Ma note : 7/10

L’histoire : Chêne est un coach renommé qui accumule les succès professionnels. Mais c’est aussi un joueur invétéré qui a des dettes colossales. A bout de patience, sa femme le quitte. Pris à la gorge par ses créanciers, Chêne accepte un contrat qui peut lui sauver la mise : coacher à son insu Marmignon, un directeur très singulier qui semble être le pire « coaché » imaginable…

Mon avis : Le Coach est une gentille comédie sympathique dont le ressort sur la composition d’un tandem tout-à-fait improbable dans la lignée des films de Francis Veber. C’est certain, l’essentiel du film repose sur le binôme Berry-Rouve avec, pour chacun, des profils psychologiques et comportementaux plutôt bien dessinés.
Ainsi, dès le début, on découvre un Chêne (Richard Berry) en homme pressé, surbooké, à la vie intense et trépidante, et couronnée d’une succession de succès. Bref, Chêne est un cador dans son job. Il est le meilleur pour booster un sportif, une personnalité du monde politique, ou une sommité de la finance. Rien ne l’effraie, il est sûr de lui, sûr de son talent. Mais, comme quasiment tout le monde, il a un talon d’Achille : le jeu. Il a beau percevoir des sommes faramineuses, il réussit à perdre plus qu’il ne gagne. Le ressort du film tient sur cette faille-là. Au moment où il se voit confier la « mission Marmignon », Chêne est un homme aux abois, acculé ; Il n’est pas seulement mis en danger du côté du portefeuille, mais il en prend également un gros coup sur la tête côté cœur. C’est donc un homme considérablement fragilisé sur ses deux plus grandes priorités, le fric et l’amour, qui est amené à se coltiner le sieur Marmignon, coaché à l’insu de son plein gré… Dans le rôle d’un personnage copié-collé avec celui qu’il interprétait dans L’Emmerdeur, Berry fait du Berry. Mais il le fait tellement bien. D’autant qu’il a l’art de réussir à faire passer à la fois son amour du second degré et sa part de fragilité. Il ne nous la joue pas monolithique. Et c’est bien mieux pour le film.

Marmignon ! Ah, Marmignon (Jean-Paul Rouve) !... Il y a du Pignon-Villeret chez ce garçon. Même s’il est plus le protagoniste d’un marché de dupes que d’un dîner de con. Il est en train de faire son trou, le Rouve. Quel que soit le registre que l’on lui confie, il se révèle excellent. Il joue certes à merveille du côté lunaire d’un Villeret, mais il y ajoute le côté madré que pouvait faire ressortir un Bourvil à naïf, naïf et demi… En fait, Rouve, c’est Rouve. Il est comme un poisson dans l’eau dans le comique de situation, dans ces fameuse scènes antagonistes si propres aux tandems.

S’appuyant sur une réalisation nerveuse et des dialogues vifs, cette comédie se laisse voir favorablement. Bon, il est certain qu’elle s’avère plutôt convenue, sans gros rebondissements, mais ça reste léger et amusant. D’autant qu’autour de cette colonne vertébrale composée de Berry et de Rouve, on découvre quelques « côtes flottantes » qui apporte un réel équilibre et une vraie solidité. Jean-Noël Brouté, sorte d’Alain Minc survolté, fourbe, jaloux et ambitieux, nous offre une composition des plus réjouissantes. Didier Bezace est également parfait dans son rôle de grand patron et la présence pétillante et fofolle de Mélanie Bernier, qui joue Cécile la sœur de Marmignon apporte beaucoup de fraîcheur.
Certaines scènes sont de jolies trouvailles. Je pense plus particulièrement à celle du restaurant au cours de laquelle Chêne et Marmignon communiquent par oreillette interposée. Un joli moment de comédie… Et puis, on ne peut passer sous silence une band e-son vraiment agréable… En revanche, on ne peut pas dire que les premiers pas de Laure Manaudou en tant que comédienne se soient avérés convaincants. Sa prestation s’apparente plus à une expérience en apnée qu’à un crawl glorieux et dévastateur. Après tout, chacun son métier. Mais sa courte apparition permet de justifier la légitimité et l’efficacité de Chêne en tant que coach.
Voilà ! Pas de souci, Le Coach devrait sans mal trouver son public et attirer du monde même si, à mon goût, il m’a manqué un petit quelque chose d’indéfinissable… Reste, heureusement, un fameux tandem !

mardi 1 septembre 2009

No pasaran


Un film de Martin & Caussé
Avec Cyril Lecomte (Maxence), Elodie Navarre (Scarlett), Bernard Blancan (Bouzigue), Murray Head (Peter), Rossy de Palma (Inès), Didier Pain (Jean Laborde), Jacques Serres (Pierre Laborde), Roger Souza (Viguier), Pierre Durand (Fabrice)
Sortie le 2 septembre 2009-09-01

Ma note : 7,5/10

L’histoire : Maxence Lafourcade, célibataire tranquille, élève des cochons dans les Pyrénées. Sa vie bascule soudain le jour où il apprend qu’une autoroute va traverser sa ferme !
Pour affronter le député-maire et son projet, il doit faire une alliance contre nature avec « l’Américain du coin ». Peter Konchelsky, avocat désabusé à la retraite, adopte la cause du fermier sous le regard étonné de Scarlett, sa fille, une artiste excentrique, qui découvre en Maxence un modèle humain inattendu.
Se joignent bientôt à cette bande de « résistantsé : Inès, éco-terroriste toujours à la pointe du combat, Fabrice, champion de l’équipe de rugby locale, et Bouzigue, le cousin de Maxence, qui craint de perdre la clientèle de sa station service…

Mon avis : Quelle jolie surprise que ce film ! Déjà par sa situation géographique – les contreforts pyrénéens de l’Ariège – il se place d’emblée hors des sentiers battus. Ensuite, il se démarque par une distribution sans tête d’affiche véritablement « bankable », et c’est sans doute mieux ainsi car il gagne en authenticité. Enfin, c’est un film frais, sans autre prétention que de distraire tout en distillant habilement un message militant suffisamment fort pour qu’il nous donne à réfléchir.
En fait, No pasaran est une comédie traditionnelle. Son côté rural lui donne paradoxalement une sorte d’exotisme. C’est justement cet exotisme qui excite l’intérêt de la jeune Scarlett, artiste américaine extravagante et indépendante, dont la culture est diamétralement aux antipodes du mode de vie de Maxence, paysan discret, simple et travailleur. Maxence est certes simple, mais il n’est pas naïf. Loin de là ! Sa révolte contre le projet d’autoroute qui va non seulement défigurer ses chers paysages mais qui menace également l’existence de sa petite exploitation porcine est parfaitement saine. Alors il va se battre, avec autant de maladresse que de détermination, avec ses propres armes…

Ce film d’apparence modeste contient tous les ingrédients qui font une excellente comédie. Dédié à la sauvegarde des vallées pyrénéennes (Aspe et compagnie…), il nous offre de superbes images de paysages naturels. Il vaut ensuite pour sa distribution. Chacun des neuf personnages principaux est scrupuleusement à sa place. Même avec leur truculence réjouissante, ils sont crédibles. Et son identité « sud-ouestique », avec son accent chantant, son langage fleuri, ses expressions imagées, lui confère une absolue véracité. Les dialogues sont d’ailleurs particulièrement savoureux.
Cyril Lecomte, qui joue Maxence, est plus vrai que nature. Il joue avec justesse ce personnage introverti, mais tellement normal qu’il en devient vite attachant. Bernard Blancan, qui campe le cousin Bouzigue, est son total opposé. Il est madré, intéressé, frimeur, réaliste, sans scrupules, mais devant la crainte de voir sa juteuse station service désertée au profit d’une éventuelle station d’autoroute, il va faire cause commune avec Maxence et les deux hommes vont s’avérer très complémentaires… Elodie Navarre, en Scarlett, est épatante de féminité. Avec ses tenues surréalistes, frisant parfois le gothique, elle détonne dans ce paysage. C’est une jeune femme libre, sans tabous, pleine de vie et capable de sentiments… Rossy de Palma, en « terroriste » haute en couleurs et forte en gueule, est criante de vérité. Ses joutes verbales avec Bouzigue sont un délice… Murray Head joue tout en finesse cet avocat froid et calculateur… Didier Pain, sorte de Peppone pyrénéen, interprète un homme politique local comme il en existe tant dans nos campagnes, imbus de leur petit pouvoir, toujours à l’affût de la moindre combine qui peut rapporter autant d’argent que de prestige ; du coup, il n’est jamais caricatural. Jacques Serres (qui joue Pierre Laborde) et Roger Souza (excellent dans le rôle de Viguier), ont quelques morceaux de bravoure particulièrement jubilatoires. Enfin, Pierre Durand, qui endosse le rôle de la vedette sportive locale, démontre subtilement due derrière la carapace de ses muscles bat un cœur romantique, sentimental et épris de justice.

En conclusion, No pasaran, est un film éminemment charmant et sympathique, qui fait passer en nous distrayant un vibrant message écologique plein d’une profonde humanité. On en sort avec à l’âme un joli sentiment de fraternité et un réel amour pour nos si belles régions françaises qu'il faut absolument préserver.