samedi 30 octobre 2010

Ben


Théâtre Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 08 92 35 00 15
Métro : République

Ma note : 8/10

Le prétexte : « Tout part de quelque chose de vrai… ou que j’ai vraiment rêvé » avertit Ben dès le début du spectacle.
A mi-chemin entre le stand-up et le one-man show traditionnel, et sur un texte largement au-dessus de la moyenne dans cette discipline, Ben interpelle son public avec sincérité, pour l’emmener, l’air de rien, là où plusieurs kilomètres avant, bien des humoristes ont fait demi-tour

Mon avis : S’il y avait un néologisme à inventer pour qualifier Ben, le mot le plus idoine pourrait être : Absurdoué…
Doué, il est indéniable qu’il l’est. Quant à « absurde », c’est l’adjectif qui résume le mieux son univers. Va pour Absurdoué donc…

Ben est un bel et grand garçon très élégamment vêtu de noir. Déjà, pour séduire la gent féminine, il a de l’avance et il n’a pas trop besoin de parler. Surtout que lorsqu’il se met à parler, il commence à nous embrouiller. Enfin, quand je dis « parler », c’est plutôt soliloquer que je devrais dire. Il se met en effet à bredouiller quelques apartés exactement comme s’il était tout seul. En plus, on remarque tout de suite que ses apartés sont totalement saugrenus. Ce n’est pas un cerveau qu’il a, c’est un labyrinthe. Et on n’a aucun fil d’Ariane auquel se raccrocher. De toute façon, à quoi servirait de se raccrocher puisque il nous emmènera quand même là où il voudrait aller sans en être sûr lui-même. Quoi que… Et s’il était conscient ? Si son esprit tortueux était en fait porteur de sa propre rationalité ?
Il admet bien sûr qu’il utilise « des phrases pas cohérentes », mais en fait, il a sa logique à lui. Cartésiens s’abstenir. En revanche, amateurs de rubyk’s cube cérébral, vous allez en voir de toutes les couleurs…

La mine imperturbable, il arpente la scène inlassablement comme s’il se trouvait en pleine réflexion dans son salon. Il pense donc tout haut, ouvre un compartiment de son cerveau-gigogne pour en sortir un truc qui n’aurait pas dû y être rangé, oublie de le refermer, pour se préoccuper aussitôt d’un bidule qui vient d’attirer son attention en sachant qu’à un moment ou à un autre, il ira fermer le tiroir précédent pour nous reparler de ce qu’il aurait dû contenir… Oui, je sais, un tel comportement est quasiment impossible à analyser et à retranscrire.

Ben pourrait être l’enfant qu’aurait pu avoir le professeur Rollin s’il avait fauté avec Daniel Prévost (chose qui n’a encore jamais été ébruitée). Mais Ben est Ben. Il doit être très fort en mécanique des fluides, à part que dans sa mécanique à lui, tous les rouages sont inversés ou déformés. Mais ça reste quand même fluide. De digressions en élucubrations, tel un enfant qui joue à la marelle, il retombe toujours sur ses pieds. Il ne faut rien oublier dans le texte de son spectacle car n’importe quel élément peut resurgir à un moment donné pour faire tenir le château de cartes qu’il a patiemment élaboré tout en parlant d’autre chose.
Le pire, c’est qu’il aborde des sujets on ne peut plus banals. Certains, néanmoins, donnant plus à réfléchir que d’autres. Quoi que… Le mariage mixte, les préjugés, l’achat d’un appartement sont tout de même des cas de figure intéressants. Ou bien problème épineux, comment acheter un téléviseur lorsqu’on est interdit bancaire ?
On est avec Ben comme sur un escalier branlant, il vaut mieux se cramponner à la rampe pour ne pas perdre pied. Surtout qu’il a bien pris soin d’en cirer les marches ! Lui il s’en fout, c’est un équilibriste… Et non seulement il nous emmène exactement là où il veut, une fois qu’on s’y retrouve, il nous donne le coup de grâce en nous narrant les festivités qui ont émaillé son anniversaire. Il part en plein délire. C’est de la folie pure. Quoi que… Et si tout était vrai ?

Je crois que je vais devoir y retourner et, à la façon du Petit Poucet, marquer l’itinéraire qu’il nous fait emprunter pour essayer de retrouver mon chemin…
Vous l’aurez compris, Ben est à part. Il est dans son monde à lui. Il ne faut pas le déranger. Mais qu’est-ce qu’il nous fait rire. En plus, on a l’impression de rire intelligemment. Tout simplement parce qu’il est impossible de rire bêtement à ses remarques. Quoi que…

Lemoine Man Show


La Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18 / 01 43 20 60 56
Métro : Gaîté / Edgar-Quinet

Textes de Jean-Luc Lemoine
Mise en scène d’Etienne de Balasy

Ma note : 7,5/10

Le prétexte : Cette année, Jean-Luc a 40 ans, l’heure des bilans, mais aussi du grand lâchage !
Abandonnant les sketches, le regard plus acéré que jamais, il propose un décryptage surprenant et hilarant de notre société dans un monologue aux allures de montagnes russes. Tout y passe : le business de la nostalgie, la difficulté d’apprécier une œuvre d’art quand on est inculte, les mensonges sur la complémentarité entre les hommes et les femmes, la dictature du buzz, les vedettes qui refusent de vieillir…

Mon avis : Jean-Luc Lemoine distille un humour particulier, un humour bien à lui, un humour très fin basé en grande partie sur l’observation de ses congénères et les dysfonctionnements de la vie de tous les jours. Une bonne fois pour toutes, inutile d’espérer une rémission, il porte en lui, tel un ténia têtu, une mauvaise foi chronique. Lorsqu’elle pointe le bout de son nez – ce qui est assez fréquent – son œil s’allume légèrement et il ne peut empêcher ses lèvres d’esquisser un furtif sourire satisfait. Ce sera là sa plus grande manifestation extérieure de satisfaction intérieure. De toute façon, cette mauvaise foi, il la met à toutes les sauces et il adore en saupoudrer menu-menu les différents sujets qu’il aborde. Et il affecte plus particulièrement – on se demande pourquoi – de jouer les Monsieur Plus en y rajoutant une bonne dose lorsqu’il parle des femmes.

Les thèmes lemoinesques sont tout simples. Il les puise dans notre quotidien et dans le sien. L’approche et l’exposé sont banals, c’est le traitement qui fait toute la différence. Il ne voit pas les choses comme nous, ce garçon. Il doit avoir un prisme déformant qui relie sa rétine à son cortex. Il se glisse par exemple dans la tête d’un gamin de 2 ans qui, au lieu d’avoir des réflexions inhérentes à son âge, se mettrait à réagir et à faire des commentaires sans souci aucun des conventions. Ce qui lui permet de développer sur le thème de la franchise. Doit-on tout dire ? Est-ce qu’on se sent mieux personnellement quand on dit ce qu’on pense profondément quitte à épouvanter son interlocuteur/trice ?
Jean-Luc Lemoine, qui en est avec ce spectacle à son quatrième one-man show, a considérablement évolué. Pas dans le fond, mais dans la forme. Beaucoup plus à l’aise, il établit cette fois une relation très joueuse avec le public. S’appuyant sur cette interactivité complice, il peut d’autant mieux mesurer l’impact de ses déclarations et rebondir dessus le cas échéant.
Il ne fait plus vraiment des sketches, il ne fait pas non plus du stand-up, il fait du Lemoine. Un peu comme s’il se mettait à dire tout haut le fruit de ses réflexions en nous prenant presque systématiquement à témoins. Il faut que ce qui est une évidence pour lui en devienne également une pour nous. Pour cela, il dissèque et il va au bout de sa logique. Car tout est très logique chez lui. Rien n’est saugrenu ou irréaliste : personne n’ose étaler son inculture ; tout le monde a remarqué combien, à peine a-t-on franchi la quarantaine, il nous arrivait plus souvent de nous faire vouvoyer ; chacun d’entre nous a rêvé revoir ses anciens condisciples de lycée ou de collège ; qui n’a jamais ressenti un besoin irrépressible de faire la conversation dans une voiture alors qu’on voyage au côté d’un voisin mutique ?
Grand moment du spectacle, avec paperboard à l’appui s’il vous plaît; que cette brillante démonstration sur une étude comparative entre les avantages et inconvénients d’un GPS par rapport à un conjoint… Imparable !
Avec des humoristes aussi fins que Jean-Luc Lemoine, il porte bien son nom, le théâtre de la Gaîté, à Montparnasse.

Le Gai mariage


Théâtre des Nouveautés
24, boulevard Poissonnière
75009 Paris
Tel : 01 47 70 52 76
Métro : Grands Boulevards

Une comédie de Gérard Bitton et Michel Munz
Mise en scène par José Paul et Agnès Boury
Avec Gérard Loussine (Dodo), Philippe Magnan (le père d’Henri), Lysiane Meis (Elsa), Emmanuel Patron (Henri), Patrick Zard’(Norbert)

Ma note : 8,5/10

L’histoire : Henri de Saacy, Don Juan invétéré, apprend qu’il hérite d’un million d’euros de sa vieille tante, sous condition qu’il se marie dans l’année. Comme Henri refuse de déroger à son amour de toutes les femmes, son ami Norbert, avocat, lui suggère d’épouser un homme… Ainsi respecterait-il les dernières volontés de sa tante sans perdre sa liberté. Séduit par l’idée, Henri décide de proposer ce contrat insolite à son copain Dodo, célibataire et sans travail…

Mon avis : J’avoue ! Moi qui suis plus du genre à sourire qu’à rire à gorge déployée, il m’est arrivé de pleurer de rire de façon totalement incontrôlable à deux-trois reprises.
La particularité actuelle du théâtre des Nouveautés est de programmer à la suite l’une de l’autre Le Gai mariage, à 19 heures, et Drôle de couple, à 21 heures, deux comédies dont le sujet est identique : la cohabitation entre deux hommes, hétéros de surcroît. Autant la première est réussie, autant la seconde m’a laissé quelque peu dépité. Comme Quoi…

Revenons à nos moutons. La pièce du tandem Bitton/Munz, à qui l’on doit le scénario de La Vérité si je mens, est véritablement bien construite et sacrément efficace dans sa dramaturgie. Elle démarre gentiment, avec une espèce de faux rythme qui sert en fait de chapitre liminaire pour nous présenter les quatre protagonistes mâles de l’histoire. En quelques scènes, les différents caractères sont dessinés. Très vite en revanche, notre attention se focalise sur Dodo (Gérard Loussine) dont la présence comique est énorme. Sa voix, sa bouille et son physique servent idéalement son personnage de loser attachant, de comédien raté accro aux jeux vidéo, et cycliste amateur dans l’âme. Même lorsqu’il ne participe pas directement à l’action, il faut le regarder évoluer dans son monde. C’est un grand gosse naïf et respectueux de tous les codes civiques.
Sincèrement, je n’ai guère envie d’en raconter beaucoup sur Le Gai mariage. Après cette plage d’exposition, à partir du moment où, poussés par leur pote, l’avocat Norbert, Henri et Dodo ont décidé de convoler en justes noces pour permettre au premier de toucher l’héritage de Tantine, la comédie va quitter sa vitesse de croisière pour passer la sur-multipliée. Attachez vos ceintures, ça va secouer, mais pas trop serrées pour ne pas vous faire mal à un ventre qui va être singulièrement sollicité par de soubresauts de rires. Dès lors, on ne va plus arrêter de se bidonner. Les quiproquos et les situations saugrenues se succèdent à jet continu. Bien sûr que c’est gros, bien sûr que c’est parfois totalement surréaliste, mais on s’en moque, on y croit et on en redemande.
Il y a une demi-douzaine de scènes qui nous font littéralement hurler de rire avec, à chaque fois, ce pauvre Dodo, en pivot central. Objectivement, je me demande comment les comédiens peuvent réussir à conserver leur sérieux dans certaines circonstances.
Le rythme devient de plus en plus échevelé. La salle ondule sous la houle des épaules qui tressautent. On se sent tous embarqués à bord d’un bateau fou. On se sent solidaires et complices. Ça fait du bien !
On ne peut que rendre grâces à ce quintette de comédiens qui nous offre ce Gai mariage. Et encore, « gai » est un gentil euphémisme. Chacun dans son rôle participe à la bonne tenue de cette comédie absolument désopilante qui mérite d’être un des grands succès de l’hiver, et plus, car il y aura inévitablement affinités. Gai, gai, marrons-nous…

Théâtre des Nouveautés
24, boulevard Poissonnière
75009 Paris
Tel : 01 47 70 52 76
Métro : Grands Boulevards

Une pièce de Neil Simon
Adaptée par Martin Lamotte et Serge Postigo
Mise en scène par Anne Bourgeois
Avec Martin Lamotte (Félix), Bernard Farcy (Oscar), Sylvie Loeillet, Brock, Vincent Jaspard, Marie Le Cam, Christophe Rouzaud

Ma note : 5,5/10

L’histoire : Oscar et Félix forment depuis toujours avec leurs copains de poker une joyeuse bande d’amis désinvoltes qui ne rateraient leurs réunions de garçons sous aucun prétexte. Un soir, Félix manque à l’appel et la bande découvre ce qu’il lui arrive : sa femme le quitte. Renvoyé de chez lui, c’est chez Oscar que Félix vient chercher refuge. Oscar, lui-même divorcé et toujours sous le choc, tend la main à Félix, autant pour rompre sa solitude que pour secourir son ami. Il lui propose de s’installer chez lui. C’est alors un abîme qui se creuse : les deux hommes se révèlent si différents l’un de l’autre que l’impossible couple qu’ils recréent malgré eux est plus complexe encore que celui dont ils viennent de s’extraire…

Mon avis : Pourquoi ce qui semblait être, au départ, une jolie et roborative fable sur l’amitié masculine ne parvient-il jamais à nous intéresser ? Pourtant tout y est : un auteur qui a fait ses preuves par le passé, Neil Simon, deux comédiens hauts de gamme particulièrement rompus à ce genre d’exercice, Martin Lamotte et Bernard Farcy dont, qui plus est, le contraste physique ajoute à l’opposition cocasse des styles, une joyeuse bande de bons seconds rôles aux personnages plutôt bien dessinés… Tout y est, mais l’assemblage ne prend pas.
Le postulat de départ lui aussi est réellement attirant : faire cohabiter deux individus de sexe mâle aussi opposés ne peut qu’être source de situations à rire. Autant Oscar/Farcy est désordonné, j’m'en-foutiste, nonchalant, dragueur, buveur, inconséquent, autant Félix/Lamotte est ordonné, maniaque, méticuleux, hypocondriaque. Et bien, en dépit de leurs efforts et de leur belle générosité, on ne parvient pas à y croire. Lamotte en tyran domestique qui terrorise tout le monde autour de lui, pourquoi pas ? Mais à condition qu’autour de lui, les situations assurent. Gros problème donc au niveau du scénario. Là où il eût fallu évoluer en ballerines, Neil Simon fait chausser de gros sabots à ses personnages, qui crient, qui gesticulent, avec une outrance qui rend les scènes peu crédibles. Quel dommage !

Aurélia Decker "Je crois qu'il faut qu'on parle !"


Les Blancs Manteaux
15, rue des Blancs Manteaux
75004 Paris
Tel : 01 48 87 15 84
Métro : Hôtel-de-Ville

One-woman show mis en scène par Philippe Ferran
Ecrit par Aurélia Decker, Jonathan Kistner, Firas Touati, Raphaël Decker

Ma note : 7/10

Le thème : Aurélia Decker nous entraîne dans son univers familier et familial en brisant un à un les tabous… Elle utilise ses mots pour aborder les maux de notre époque : une sexualité dans tous ses états, un conflit perpétuel de générations, bref un quotidien bien en crise…

Mon avis : Aurélia Decker est arrivée au théâtre des Blancs précédée d’un bouche-à-oreille plutôt alléchant né cet été du côté d’Avignon. La salle Michèle Laroque était donc quasiment pleine pour découvrir cette nouvelle venue dans l’univers du one-woman show… Une heure plus tard, j’étais convaincu. La donzelle possède un sacré potentiel.
Il faut toujours garder en tête que c’était là son tout premier spectacle en solo et sa toute première salle parisienne. Bonjour la pression ! En tout cas, dès son entrée, elle n’en laisse rien paraître. Son passé de comédienne est un atout de poids dans un tel exercice de haute voltige.

Aurélia Decker nous propose un spectacle classique, que l’on pourrait presque qualifier aujourd’hui, vu la systématisation du stand-up, de one-woman show à l’’ancienne. En effet, il est composé d’une succession de sketches, reliés entre eux par un amusant fil rouge, et donc propices à nous faire découvrir toute une galerie de personnages. Niveau situations, elle balaie large en n’oubliant pas de passer dans les coins, même si parfois elle laisse encore de la poussière sous le tapis. C’est elle est encore verte, donc pas mûre, mais suffisamment pour deviner que, de ces bourgeons pimpants et printaniers, va sans doute éclore une fleur piquante et vénéneuse à souhait.
Son sketch d’ouverture est une excellente idée. Ce coming out, très bien géré et maîtrisé, nous installe dans les meilleures conditions car on rit tout de suite. Après, quand on a une bonne idée, ce n’est que de la mécanique. Il n’y a plus qu’à développer, ce qu’elle fait donc fort bien. Comme son prénom – et son physique – l’indiquent, Aurélia est une (jeune) femme. Elle s’attarde donc sur des problèmes et sur des situations spécifiques à son sexe : la recherche effrénée de la moitié d’orange, la rupture quand elle confine à l’abandon, la difficulté à couper le cordon ombilical, le rapport à l’alcool, le foot… Honnêtement, il y a vraiment de la matière tant au niveau du jeu qu’au niveau du contenu. Il y a bien sûr, et heureusement, quelques scories et quelques réajustements à opérer, notamment en ce qui concerne une mise en scène qu’on aimerait plus nerveuse, moins académique, plus inventive (vous me direz qu’il est facile de critiquer…). Mais l’essentiel est là : Aurélia Decker est une nature. Elle y va, et à fond. Elle ne s’embarrasse guère de tabous ou de préjugés, elle est de son temps, et elle ne le perd pas en y mettant des formes. C’est souvent gonflé, parfois osé et presque toujours drôle.
Je pense qu’on en reparlera bientôt…

Chien Chien


Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers

Une pièce de Fabrice Roger-Lacan
Mise en scène par Jérémie Lippmann
Décor et costumes de Laura Léonard
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Musique d’Ours et Lieutenant Nicholson
Avec Elodie Navarre (Léda), Alice Taglioni (Linda)

Ma note : 6/10

L’histoire : Linda et Léda… Le même âge, presque le même prénom, mais des existences ux antipodes l’une de l’autre. Les deux femmes se rencontrent à l’occasion d’un de ces week-ends mêlant travail et détente qu’organise le mari de Linda, tout puissant patron du mari de Léda. Elles ont deux heures devant elles pour faire connaissance avant l’arrivée des hommes. Très vite, les rouages bien huilés se grippent et ce qui ne devait être qu’un apéritif courtois tourne à l’affrontement acide. Derrière les apparences, Linda et Léda ne tardent pas à se reconnaître. Dans une autre vie, elles ont été deux petites filles qui ne pouvaient s’aimer sans se faire de mal l’une à l’autre…

Mon avis : Comme elles paraissent petites, Léda et Linda, dans cette immense salle au décor froid ! Peu de meubles, que l’on devine onéreux, un piano, une grande baie vitrée dans le fond avec vue sur la mer, tel est le salon dans lequel Linda-la-blonde vêtue de blanc reçoit Léda-la-brune en tailleur bleu. En fait, cette demeure étrange est construite sur une île. Elles s’y trouvent seules avec deux heures à tuer avant l’arrivée par hélicoptère de leurs maris respectifs. Le seau à champagne trône sur la table. Linda sait recevoir. Très vite, on discerne deux caractères très opposés. Autant Linda, totalement extravertie, semble à l’aise, autant Léda, sans doute impressionnée par le décor et la prestance de son hôtesse, apparaît un peu réservée… Peu à peu, la conversation, menée par une Linda de plus en plus autoritaire, voire tyrannique, tourne doucement à l’affrontement. Linda est l’épouse du patron, elle en use et en abuse. Pour elle, Léda et son mari ne sont que des subalternes. Mais le rapport de forces ne réside pas que dans le statut social. En effet, on va progressivement s’apercevoir que les racines de cette hostilité ont pris naissance beaucoup plus loin. Elles remontent jusqu’à l’enfance ! Et, plus la quantité restante dans la bouteille de champagne diminue, plus les langues se délient et se font vipérines. La pseudo courtoisie du début vire à la peau de chagrin pour ne laisser apparaître que le ressentiment.

Chien Chien, vous l’aurez compris est un huis-clos placé sous le signe de la vengeance. Linda a réservé à Léda un chien de sa chienne… Le problème, c’est qu’on ne se laisse pas happer par cette histoire. Le règlement de compte est, pour moi, bien disproportionné. Décidément, les filles quand elles ont quelque chose qui leur est resté en travers de la gorge, fusse au cours de leur prime enfance, elles rongent leur os le temps qu’il faut pour le régurgiter le moment venu à la face de du ou de la contrevenante. Vu la situation sociale à laquelle elle est parvenue par mariage interposé, la Linda pourrait nous la jouer plus subtile, avec juste ce qu’il faut d’arrogance et de mépris pour faire comprendre à sa rivale qui c’est-y la patronne, non mais… et de bien appuyer en lui faisant remarquer combien la roue avait tourné à son avantage. Et pis c’est tout. Restons-en là. Pas la peine d’’en faire des caisses.
Le deuxième gros souci dont j’ai souffert est d’ordre technique. C’est le son. Cette immense salle presque vide agit en caisse de résonance et il y a des moments où on ne comprend rien du dialogue. Les voix sont diffuses. Ce qui est très gênant quand on sait que les mots sont la clé de cette pièce.

Les deux comédiennes sont formidables. Alice Taglioni a une façon de bouger pleine de félinité, de féminité, de souplesse, d’élégance. Elle a un petit côté panthère blanche très inquiétant. Une panthère qui jouerait avec une gourmandise non feinte au chat et à la souris avec sa proie impuissante. Elle dégage parfaitement une sensation de danger. On la sent prête à attaquer à n’importe quel moment.
Elodie Navarre est une excellente interlocutrice. En totale harmonie avec son personnage, elle joue plus en dedans. Elle rend ainsi évidente et palpable l’opposition entre dominatrice et dominée. Mais, en même temps, petit à petit, on sent percer sa vraie personnalité. Léda a du caractère, ce n’est pas une victime expiatoire et si on la pousse trop loin, elle se rebiffe…
Tout cela est remarquablement interprété. Le problème est que l’histoire est moins forte que le jeu. C’est un peu gâchis. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est revenir à faire jouer Viens boire un p’tit coup à la maison par deux stradivarius, mais tout de même… Bref, je suis resté sur ma faim. Il m’a manqué cette exquise sensation qui s’appelle l’intérêt. Mes yeux ont apprécié le jeu de deux comédiennes impeccables, mais mon esprit n’a pas été satisfait… Et la niche est tombée sur le chien.

mardi 19 octobre 2010

Le Repas des fauves


Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Havre-Caumartin

D’après l’œuvre de Vahé Katcha
Adaptée et mise en scène par Julien Sibre
Avec Cyril Aubin (Le docteur Jean-Paul Pagnon), Olivier Bouana (Victor Pélissier), Pascal Casanova (André Lequédec), Stéphanie Hédin (Françoise), Pierrejean Pagès (Le commandant Kaubach), Jérémy Prévost (Pierre), Julien Sibre (Vincent), Caroline Victoria (Sophie Pélissier)

Ma note : 8/10

L’histoire : 1942. Dans la France occupée, sept amis se retrouvent pour fêter l’anniversaire de Sophie. La soirée se déroule sous les meilleurs auspices, jusqu’à ce qu’au pied de leur immeuble soient abattus deux officiers allemands. Par représailles, la Gestapo investir l’immeuble et décide de prendre deux otages par appartement. Le commandant Kaubach, qui dirige cette opération, reconnaît, en la personne du propriétaire de l’appartement, Victor Pélissier, un libraire à qui il achète régulièrement des ouvrages. Soucieux d’entretenir les rapports courtois qu’il a toujours eux avec le libraire, Kaubach décide de ne passer prendre les otages qu’au dessert… Et mieux : il leur laisse la liberté de choisir eux-mêmes les deux otages qui l’accompagneront…

Mon avis : Voici une pièce bigrement bien ficelée et, qui plus est, agrémentée d’une mise en scène tout-à-fait originale. Grâce à la projection d’images réelles et de films d’animation, nous sommes brutalement mis dans la situation. C’est la guerre ! Ça ne rigole pas. Et pourtant… Pourtant, le couple Pélissier reçoit ses plus proches amis pour fêter l’anniversaire de Sophie. L’espace d’une soirée, on va essayer de mettre de côté tous les soucis. En dépit de la pénurie chacun, selon ses moyens, ses relations ou sa débrouillardise, va s’efforcer que la fête soit le plus réussie possible. Dans le cadre d’un salon cossu, les invités arrivent les uns après les autres. Rapidement, grâce à des petits détails comportementaux, les différents caractères se dessinent, nous donnant ainsi autant d’indications pour nous permettre d’anticiper la suite. Il y a Jean-Paul, le médecin un peu collabo ; Pierre, l’invalide, revenu aveugle de la guerre, désenchanté, provocateur et néanmoins patriote ; André, le maquignon-type, sorte de boute-en-train hâbleur et jouisseur, qui n’a aucun scrupule à commercer avec l’ennemi ; Vincent, dandy homosexuel, élégant, cultivé, provocateur et fataliste ; Françoise, jeune veuve de guerre, rebelle et très engagée auprès de la résistance… Tout ce petit monde cohabite tant bien que mal, faisant des efforts pour que Sophie soit heureuse.

Mais, soudain, le drame s’invite méchamment à la fête… Les projections nous montrent ce qui se passe dans la rue, au pied même de l’immeuble. Deux officiers allemands sont abattus sous nos yeux… Chez les Pélissier, l’ambiance, un temps refroidie, reprend tout doucement. Mais pas pour longtemps. Les caractéristiques bruits de bottes résonnent dans les étages. Et un officier de la Gestapo surgit dans l’appartement. C’est le commandant Kaubach, qui s’avère être un habitué de la librairie que tient Victor Pélissier. Tout en se montrant alors courtois, il explique que le prix à payer pour l’assassinat de deux gradés est de vingt otages. Comme l’immeuble compte dix appartements, la quote-part est de deux personnes par logement. Mais comme il entretient de bons rapports avec monsieur Pélissier, il condescend à ce que la fête anniversaire aille à son terme, c’est-à-dire jusqu’au dessert, à la suite de quoi, il viendra chercher son dû. Mais avant de tourner les talons, il a soudain une idée machiavélique : pour qu’il n’y ait pas d’arbitraire, ce sont les sept amis qui choisiront eux-mêmes leurs deux otages…
Et maintenant, faites entrer les « fauves ».

Inutile de dire que la fête est terminée. Chacun va vouloir de sauver sa peau, soit en essayant de sauver les apparences, soit en se comportant avec un égoïsme éhonté, soit en pratiquant le cynisme. Et nous, dans notre fauteuil, on se transfère immédiatement sur scène au milieu des convives. On apprécie le détachement ou l’humour d’untel, on est dégoûté par la lâcheté de tel autre, on s’amuse de la bassesse de celui-ci… Et, surtout, on se projette dans l’histoire. C’est l’éternel cas de conscience. Comment nous serions nous comporté dans un tel cas de figure ? Impossible d’y répondre tant qu’on n’y est pas confronté. L’héroïsme est une valeur bien estimable dans l’absolu, mais if faut tout de même savoir raison garder. On n’a qu’une vie après tout.
Le Repas des fauves est une petite merveille d’horlogerie des sentiments et des comportements humains face à une situation extrême. A travers ces huit caractères - car il faut prendre en compte la mentalité si tordue de Kaubach - nous voyons, déployée sous nos yeux, une grande partie de l’éventail de l’âme humaine… Comme dans toute comédie dramatique, le rire côtoie inévitablement les larmes. Devant la tragédie qui se noue et qui devient paroxystique, on réagit de la façon la plus animale, la plus viscérale qui soit. On rit, on s’offusque, on s’apitoie, on s’indigne, on s’étonne… On est en totale empathie avec les comédiens.
Le Repas des fauves est évidemment une pièce chorale. On ne peut mettre un personnage en avant, même si certains ont des rôles plus déclencheurs que d’autres. C’est un tout. Ils sont tous parfaitement crédibles et tous sympathiques (ou presque). Parce qu’ils nous ressemblent, tout simplement. Au cours de ce spectacle, on passe par tous les sentiments, ce qui fait que, lorsqu’on quitte le théâtre Michel, on reste encore un bon moment imprégné par cette histoire dont nous venons d’être les témoins. On reste habité par une agréable sensation d’émotion pure.
Je terminerai en insistant sur la remarquable trouvaille de mise en scène qui consiste en la projection de films d’animation pour nous permettre de vivre ce qui se passe à l’extérieur de l’immeuble où vivent les Pélissier. Et il faut ici saluer la qualité du graphisme des dessins de Cyril Drouin. Ils apportent à la pièce un véritable supplément d’âme.

lundi 18 octobre 2010

C'est pas le moment !


Théâtre Saint-Georges
51, rue Saint-Georges
75009 Paris
Tel : 01 48 78 63 47
Métro : Saint-Georges

Une comédie de Jean-Claude Islert
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décors de Stéphanie Jarre
Avec Jacques Balutin (Mathieu), Thierry Beccaro (Frédéric), Eliza Maillot (Blandine), Morgane Bontemps (Sarah), Marc Bertolini (M. Schwimmer)

Ma note : 6/10

L’histoire : Quand Frédéric renverse un SDF avec sa voiture, il ne peut s’imaginer une seconde que sa vie va en être bouleversée.
Mais quand on est trop sûr de soi, Qu’on a menti à se femme en lui affirmant qu’on passait la soirée avec un homme d’affaires suisse pour li vendre sa société alors qu’en vérité on était avec sa maîtresse… Et surtout quand on ne peut pas imaginer qui est en vérité l’homme qu’on a renversé, la situation devient vite inextricable… mais irrésistible ! Et les mensonges n’arrangent rien… au contraire…

Mon avis : Un très joli décor signé Stéphanie Jarre nous introduit dans un bel appartement au design moderne, avec une grande baie vitrée qui surplombe sur les toits de la ville. Frédéric, accompagné de Sarah, sa maîtresse, particulièrement nunuche, est bien encombré par le SDF qu’il vient de renverser avec sa voiture. L’homme gît, inconscient, dans son salon. Persuadé que son épouse, Blandine, infirmière de son état, est au travail, il va tenter de le soigner et de s’en débarrasser avant qu’elle ne rentre de sa garde de nuit. Pendant que le pauvre hère est, semble-t-il, inanimé, Sarah en profite pour lancer un nouvel ultimatum à Frédéric pour qu’il quitte sa femme. Bien sûr, Mathieu, le SDF, qui feint d’être évanoui, ne perd pas une miette de la conversation. D’autant que, s’il est là, ce n’est pas tout-à-fait le fruit du hasard…
Dès lors, le ver étant dans le fruit, le calvaire du pauvre Frédéric ne va plus cesser de s’envenimer et de se compliquer. On tombe alors dans la pure comédie de boulevard avec quiproquos, mensonges en rafales, portent qui claquent, situations ubuesques…

Après un démarrage un peu mou du genou, on s’installe dans une comédie un peu simpliste qui se résume à une surenchère d’outrances. Dans la première moitié de la pièce, Jacques Balutin nous propose un jeu très exagéré, limite lourdingue avec mimiques dignes du cinéma muet. Heureusement, dans la seconde partie, son rôle lui permet de se monter plus fin, plus subtil, plus supportable. Thierry Beccaro, dont le jeu n’est pas remis en cause, jongle on ne sait comment avec des inventions plus énormes les unes que les autres. Les quelques bonnes réflexions qui y sont distillées sont hélas contrebalancées par des jeux de mots navrants.
En fait, cette pièce aurait dû s’appeler « Je vais t’expliquer… » plutôt que « C’est pas le moment ! », car le personnage campé par Thierry Beccaro passe son temps à s’ingénier à trouver des parades à toutes les situations dans lesquelles il s’enfonce inexorablement. Pendant que son cerveau en panique mouline pour trouver un argument, il temporise avec un penaud « Je vais t’expliquer ». A lui seul, ce gimmick nous fait rire car on se demande ce que le pauvre Frédéric va encore pouvoir inventer.

Il y a néanmoins d’agréables moments dans ce boulevard échevelé que les comédiens défendent du mieux qu’ils le peuvent. D’autant que le fond de l’histoire n’est pas si futile que cela… Thierry Beccaro confirme tout le bien qu’il nous avait laissé entrevoir dans ses précédents pièces. Eliza Maillot est toujours aussi pétulante et juste. Morgane Bontemps tire son épingle du jeu avec son personnage de gourdasse. Quant à Balutin, on l’a dit, il est en demi-teinte et il s’en sort dans la deuxième partie à partir du moment où il est moins dans la grosse farce.

mercredi 13 octobre 2010

Voca People


Bobino
14-20, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 08 20 00 90 00
Métro : Gaîté / Edgar-Quinet

Spectacle écrit et mis en scène par Lior Kalfo
Composé, arrangé et dirigé par Shai Fishman
Avec Boaz Ben David, Yinon Ben David, Eyal Cohen, Gilan Shahaf, Oded Goldshtein, Adi Kozlovski, Naama Levy, Rahmin Liraz

Ma note : 6/10

Le spectacle : Après un millénaire de voyage intergalactique, les Voca People se voient contraints à un atterrissage d’urgence sur la planète Terre. En effet, le générateur de leur vaisseau spatial, fonctionnant à l’énergie musicale, est complètement déchargé.
Sur leur nouvelle terre d’accueil, ils découvrent peu à peu d’étranges coutumes et musiques de la planète. Avec l’aide de ses habitants, ils vont pouvoir reconstituer les réserves énergétiques de leur vaisseau spatial.

Mon avis : Huit comédiens-chanteurs, tout de blanc vêtus, le visage maquillé de blanc et les lèvres peintes en rouge - des extra-terrestres, quoi – atterrissent en catastrophe sur la scène de Bobino. Au départ, ils sont un peu décontenancés et démunis car ils ont perdu beaucoup d’énergie en route. D’ailleurs, en se touchant le crâne, ils découvrent un encéphalogramme quasiment plat. Seul le chant va pouvoir leur permettre de recharger leurs batteries…
Voici donc le postulat de départ que nous proposent les Voca People, une escouade composée de 3 chanteuses (alto, mezzo, soprano), 3 chanteurs (basse, baryton, ténor) et 2 artistes de beatbox.
Premier petit souci, sans doute dû aux difficultés d’acclimatation au climat parnassien et à leur affaiblissement général supposé, je les ai trouvés assez lents au démarrage. Le temps d’exposition est un peu longuet. En revanche, dès qu’ils entrent dans le vif du sujet, c’est-à-dire lorsqu’ils se mettent à chanter, c’est un total ravissement. La première séquence qu’ils nous proposent est une véritable performance. Ils passent d’un registre à l’autre, d’’un rythme à l’autre, d’une tonalité à l’autre avec une virtuosité confondante. Cette mise en bouche, ou plutôt cette mise en oreilles, est rassurante car ils assurent vraiment. C’est aussi surprenant qu’agréable.
De toute façon, pratiquement chaque séquence chantée est un enchantement. Elles sont d’ailleurs classées par thématiques. La première est donc une sorte de panorama des genres vocaux. Le deuxième aborde les musiques de films à travers quelques génériques incontournables que nous avons tous gravés dans le cortex. Le troisième visite la musique classique. Il y a un petit passage amusant avec voix de dessins animés. Et, personnellement, j’ai bien aimé la parenthèse « love songs » avec slows langoureux et voix de velours avec un partage judicieusement équilibré des sexes.
Tout ceci est parfait, joli, distrayant. Pour atteindre un tel degré de perfection dans l’ajustement des voix, cela représente des heures et des heures de travail en répétitions. Mention spéciale aussi aux deux artistes spécialisés dans la beatbox, car ils ajoutent l’humour au talent.
Le gros problème avec ce spectacle, ce sont d’interminables interludes avec prises de contact avec le public. Certaines sont cocasses, d’autres inutiles. Ces dernières alourdissant l’ambiance. Ou bien, le metteur en scène ne va pas jusqu’au bout de ses intentions. Par exemple, lorsque le chanteur basse noue un début d’idylle avec une spectatrice, pourquoi s’arrête-t-elle tout net alors que ce moment de poésie pourrait être utilisé en running gag ? J’ai également peu apprécié quelques moments où la cacophonie domine et d’’autres qui sont plus stridents que mélodieux.
Mes impressions sont donc partagées entre le plaisir quasi absolu que m’ont procuré les séquences chantées, et le désintérêt qui frise parfois l’ennui des parties que l’on pourrait qualifier de comédie et d’interactivité.
Le talent vocal des artistes n’est donc absolument pas remis en cause, c’est avant tout un problème de mise en scène pas assez inventive. C’est regrettable car le concept est original. L’humour n’y est que léger et, surtout, le spectacle y perd en dynamique avec ces trop fréquentes chutes de régime qu’entraînent les intermèdes non chantés. Il leur eût fallu l’esprit et le sens du rythme d’un Alain Sachs, par exemple.

mardi 12 octobre 2010

Les Amis du placard


La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Une pièce de Gabor Rassov
Mise en scène par Pierre Pradinas
Avec Didier Bénureau (Jacques), Romane Bohringer (Odile), Aliénor Marcadé-Séchan (Juliette), Matthieu Rozé (Guy)

Ma note : 7,5/10

L’histoire : Profitant d’une vente promotionnelle dans une grande surface de la région parisienne, Jacques et Odile se sont acheté un couple d’amis. Ils les gardent dans un placard et les sortent régulièrement dans l’espoir de passer de bonnes soirées. Jour après jour, ils se montrent de plus en plus exigeants avec ces amis qu’ils ont tout de même payés assez cher. Et de l’exigence à l’abus, il n’y a qu’un pas…

Mon avis : L’idée de départ est totalement absurde, mais exposée comme elle l’est par le couple Jacques-Odile, on n’a aucun mal à en accepter le postulat et à entrer dans leur jeu. D’emblée, leurs caractères respectifs apparaissent. Jacques est un médiocre, un chafouin, un manipulateur mesquin et fielleux, un misogyne à la petite semaine. Bref, un gros con, méchant, vindicatif et vicieux… Odile est une cruche, elle le sait et elle l’assume sans problème parce qu’elle se connaît bien. Elle est comme ça, beaucoup plus bête que méchante. C’est une suiveuse qui emboîte avec un asservissement total le pas de son tordu de mari. On est chez les Bidochon puissance 10. Il n’y chez eux a pas une once de tendresse, de compassion, et encore moins d’humanité. Ils sont redoutables.
Malgré un prix promotionnel, ils ont fait un gros sacrifice financier pour agrémenter leur petite vie étriquée et solitaire avec la présence d’un couple d’« amis », monsieur et madame Bégon, Guy et Juliette. Alors, ils en veulent pour leur argent.
Plus maltraités que de vulgaires animaux de compagnie, les Bégon sont remisés dans un placard d’où Jacques et Odile les extraient au gré de leurs besoins et de leurs envies. Guy et Juliette ne peuvent que s’estimer satisfaits et reconnaissants envers ceux qui les ont ainsi sortis de la misère. Ils ont avec eux une attitude docile et obséquieuse. Très contents de leur achat, Jacques et Odile font d’eux les jouets de leurs fantasmes. Ça commence par des conversations futiles et des réflexions d’une vacuité sans nom. Puis, au fil de l’histoire, on découvre que les Bégon subissent un véritable mépris malsain. C’est à peine s’ils sont nourris et abreuvés. C’est dur pour nous d’assister à autant de malveillance. D’autant que les Bégon ne sont dupes de rien. Au fur et à mesure des brimades et des privations, on sent la révolte poindre et enfler. Simple question de dignité.

Si vous n’appréciez pas l’humour noir et acide, si vous n’avez pas non plus au fond de vous un goût caché pour la perversité, si vous êtes romantique et sentimental, vous allez souffrir. Les Amis du placard est une pièce sur l’abus de pouvoir, sur l’esprit de possession. Son second degré, partiellement dissimulé derrière des sentiments et des situations primaires, est permanent. C’est d’un cynisme absolu, sans concession… et jouissif.
Si une pièce aussi sabreuse peut se révéler digeste, c’est par la grâce de quatre comédiens qui se donnent à fond à leurs personnages, avec un réalisme et un décalage dignes d’un roman-photo de feu Hara-Kiri. Dans ce registre-là, Didier Bénureau est comme un piranha dans une baignoire. Il est parfaitement infect en vicelard, content de lui, raciste, franchouillard, qui se venge des humiliations de son patron en en infligeant à plus petit que lui. C’est du grand, du très grand Bénureau. Jacques pourrait aisément être un de ses personnages de sketch. A part que son numéro - et quel numéro - dure là une heure et demie. C’est fascinant de le voir tour à tour mielleux ou vitupérant, cauteleux ou agressif… Il a tout le temps une sale idée derrière la tête, il n’aime personne, il considère son épouse comme une andouille et ne se prive jamais de le lui rappeler…
Cette épouse, justement, Odile, interprétée par une surprenante Romane Bohringer. C’est une belle surprise que de la découvrir dans un registre où elle ne s’était jusqu’à présent jamais aventurée. Elle joue les bêtasses avec beaucoup de finesse, toute en acquiescements, sourcil levé, sourires résignés et quand il faut rajouter une couche à l’ignominie, elle n’est pas la dernière. Il faut dire qu’elle a un bon modèle !
Quant à Guy et Juliette, ils sont de parfaits interfaces. Leur jeu à eux est tout en évolution. En présence de leurs acheteurs, ils honorent le contrat qui les lie à eux et ils jouent l’effacement à merveille. Mais dès qu’ils sont seuls, ils reprennent du poil de la bête. Ils ont certes été achetés, mais ils ne sont pas des vendus. Nuance… Aliénor Marcadé-Séchan et Matthieu Rozé, indissociables, expriment une jolie palette de sentiments. De par leur situation, et en raison de l’outrance de leurs « propriétaires », ils jouent très intelligemment la demi-teinte et ils se révèlent bien plus finauds qu’ils ne le laissent croire.
Je ne peux terminer ce papier sans souligner un certain numéro de marionnettes particulièrement savoureux. Je vous laisse le plaisir de la découvrir. C’est une bien jolie métaphore à propos de gens qui seraient des pantins pour les autres…

samedi 9 octobre 2010

Interview


Studio des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

D’après le film de Théo Van Gogh
Adapté par Patrick Démerin et Hans Peter Cloos
Mis en scène par Hans Peter Cloos
Avec Sara Forestier (Katya) et Patrick Mille (Pierre Peters)

Ma note : 5/10

Synopsis : Un grand reporter et journaliste politique doit interviewer la jeune vedette d’un feuilleton télévisé à succès. De cette rencontre entre un spécialiste des relations internationales et une starlette people naît une bataille sans merci avec, en arrière-plan, le drame personnel de chacun qui prend place : impuissance, jalousie, soif de succès, souvenirs mal assumés…

Mon avis : Le générique était alléchant : le sulfureux Théo Van Gogh, Hans Peter Cloos, Sara Forestier et Patrick Mille…
Premières impressions : un décor froid et moderne, un traitement très cinématographique. Deux personnages contrastés : elle, sorte de poupée Barbie (elle m’a rappelé la Sophie Daumier des sketches avec Guy Bedos), perruque peroxydée, mini-robe rose, naturellement provocante avec juste ce qu’il faut de vulgarité, bien dans sa peau. Lui, sorte d’ours mal léché, mal rasé, mal attifé et mal disposé, visiblement venu à contrecœur. Tout est donc en place pour un duel à fleurets non mouchetés entre une fine lame et un sabre, tous deux décidés à blesser l’autre. Ce sont deux mondes qui s’affrontent, deux idéologies, deux caractères. Un seul lien les relie, l’antipathie…

Le schéma de base est incontestablement intéressant. Mais, hélas, il ne va rester qu’à l’état de schéma. Le démarrage est un peu lent et les propos superficiels. D’emblée, il y a un décalage qui va rendre l’ensemble bancal. Autant Sara Forestier est crédible dans son rôle de starlette, plus lucide et moins évaporée qu’il n’y paraît, maligne et authentique, autant le personnage qu’incarne Patrick Mille ne l’est pas. Je m’explique. J’ai, personnellement, effectué près de 3000 interviews, et même si j’en ai connu de pittoresques, je n’ai jamais rencontré une situation qui ressemble un tant soit peu à celle qui nous est présentée là. Les questions que pose Pierre Peters sont aussi peu plausibles qu’improbables. Que répondre à ceci, par exemple : « Est-ce que vous êtes bonne pour séduire les hommes ? » !!! Il y a de quoi être perplexe. Ça ne tient pas la route. Il serait photographe, on comprendrait qu’il cultive le cliché… Et puis le garçon est trop agressif et il en fait un peu trop dans le genre désabusé. Mais où il atteint le paroxysme de l’invraisemblance, c’est quand il commence à égrener ses malheurs : il sort les drames comme un magicien les lapins d’un chapeau. Quand on croit qu’il a touché le fond, il en rajoute un encore plus tragique. L’effet escompté est raté puisqu’il en devient risible.
Du coup, je ne suis jamais rentré dans ce huis-clos. Pas concerné, je suis resté en périphérie. Ce qui n’est pas gênant puisque l’intrigue tourne longtemps en rond avant que nos deux héros se décident enfin à jouer à une sorte de jeu de la vérité. "Donnant-donnant" affirment-ils. On dresse l’oreille. Va-t-il y avoir enfin un rebondissement ? Las, le soufflé retombe car on en anticipe vite la chute. Tout comme ma charmante voisine qui me le confiera à la sortie, j’avais deviné le truc. Je ne le dévoile pas par correction... Et cette pièce complètement fumeuse se termine en eau de boudin.

Il faut bien du talent à Patrick Mille pour essayer de sauver les apparences, mais il n’y parvient quasiment jamais. Ce n’est pas de sa faute. Il n’est pas gâté par le texte qu’il a à dire et la mise en scène ne l’aide pas à avoir de la chair, à prendre de l’épaisseur.
Quant à Sara Forestier, elle est irréprochable. Elle n’est pas non plus responsable de l’indigence du scénario et de la pauvreté des dialogues. Tout ce qu’elle fait, elle le fait bien. Mais ses efforts sont hélas vains. Elle confirme néanmoins tous ses talents de comédienne, sa sincérité, son implication. Elle donne beaucoup, mais que va-t-elle recevoir en échange ?

Mike Brant, Laisse-nous t'aimer


Théâtre Comédia
4, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 38 22 22
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce musicale de Gadi Inbar
Adaptée par Laurence Sendrowicz
Mise en scène par Thomas Le Douarec
Avec Grégory Benchénafi

Ma note : 8/10

Note d’intention de l’auteur : « L’histoire de Mike Brant va bien au-delà du simple récit de l’ascension vers la gloire et la chute d’une immense pop star qui ne parvient plus à faire face à son succès fulgurant et au culte dont il est devenu l’objet... C’est aussi l’histoire d’un enfant de la seconde génération, issus de parents rescapés de la Shoah mais irrémédiablement brisés par cette épreuve. Incapable de s’affranchir du poids écrasant de la tragédie vécue par ses parents, il sombrera insensiblement dans la dépression la plus profonde. C’est ce qui rend l’histoire de Mike si particulière, si intense, bouleversante et exemplaire. »

Mon avis : Je le reconnais aisément, bien qu’étant de la même génération que Mike Brant, je n’ai pas été un grand fan de l’artiste. Il avait certes une voix incomparable et il a eu la chance d’avoir à ses côtés des compositeurs qui lui ont écrit des mélodies efficaces, mais ce n’était vraiment pas ma tasse de thé… Ce justificatif était nécessaire pour comprendre que j’étais tout-à-fait neutre lorsque je me suis rendu à la générale de Mike Brant, laisse-nous t’aimer. En revanche, ayant interviewé le producteur, je savais que j’allais voir un spectacle de qualité.
Le premier tableau, métaphorique, esthétiquement très réussi avec sa floraison de parapluies noirs - sauf un, qui était rouge, et qui abritait la mère de Mike - je l’ai trouvé superbe. J’ai été également subjugué par la voix du soliste entonnant un chant en hébreu. Ça commençait donc bien, à part que cette introduction s’est avérée être un peu longuette.
En fait, ce spectacle est construit à la manière de ces films ou de ces romans qui commencent par la fin avant de reprendre le fil de la vie du héros dans sa chronologie… Donc, après ce tableau liminaire, original, beau, mais long, nous remontons le temps pour nous retrouver au début des années 60 à Tel-Aviv, dans le foyer de la famille Brand (avec un « d »). Ce point de départ est indispensable pour une bonne lecture ensuite du caractère de Mike. On découvre un jeune homme passionné de rock’n’roll et d’Elvis Presley, qui ne vit que pour chanter, mais qui se heurte au désaccord de son père, un homme austère et rigoureux. Même s’il reçoit le soutien inconditionnel mais discret de sa mère, une vraie maman juive, aimante et attachante, Mike souffre de cette incompréhension paternelle. Il a de plus beaucoup de mal à supporter le rappel permanent de la Shoah encore toute récente. Cauchemars rémanents, la déportation, les persécutions et les humiliations en toile de fond, ses parents sont marqués à vie, alors que lui ne rêve que d’oubli et d’insouciance… Tout cela est intelligemment abordé et traité.

Et Mike va arriver à ses fins. Le showbiz entre dans sa vie, et réciproquement. Après une joyeuse parodie de Jailhouse rock, nous retrouvons notre héros dans un night-club de Téhéran où il se produit avec son petit groupe. C’est là que tout va basculer avec la rencontre avec Sylvie Vartan. Carlos, que j’ai beaucoup fréquenté et qui était un conteur hors pair, m’avait narré cet épisode ici assez fidèlement reproduit… Si j’ai été enthousiasmé par cette reconstitution avec une Sylvie Vartan que j’ai trouvée vocalement supérieure à l’originale, j’ai en revanche été un peu agacé par le jeu ultra caricatural de l’animateur du club. Le fait qu’il soit ridicule est acceptable. Ça apporte même une judicieuse note de comédie. Encore eût-il fallu apporter un peu de nuance plutôt que de tomber dans une outrance qui rend le personnage insupportable alors qu’il n’aurait dû être que drôle… Mais, rassurez-vous, c’est là à mon avis l’avant-dernière (il en reste une petite) fausse note du spectacle car toute la suite n’est qu’un mélange de plaisir, de rythme, de rire, d’émotion et de drame.

Laisse-nous t’aimer
est plus une pièce de théâtre avec des intermèdes chantés qu’une comédie musicale. Il y a vraiment du sens et du fond. On en apprend beaucoup sur les coulisses de la trajectoire fulgurante de cette idole au cœur d‘argile. Et on comprend comment il en est venu à l’irréparable. La fin était en effet inéluctable.
Les grands numéros de music-hall alternent habilement avec les scènes de comédie. Tous les tableaux musicaux et leurs chorégraphies sont absolument magnifiques. Celui mettant en scène des clochards semble tout droit extrait d’une émission des Carpentier. Les costumes, particulièrement kitchissimes à cette époque flamboyante, sont parfaitement restitués. Outre Sylvie Vartan, on voit défiler Danièle Gilbert, Dalida, Dave… La production a vraiment mis les moyens ! Sauf pour le lit d’hôpital qu’on croirait emprunté à une maternité tant il est petit. C’est d’autant plus regrettable que cette scène qui est véritablement émouvante est amoindrie par cette image un peu grotesque…

Mais derrière les paillettes, une tragédie se noue, elle aussi scrupuleusement restituée et étayée par des scènes éloquentes. Mike, trop pur, trop absolu, trop sensible, ne pouvait pas faire le poids face un prédateur aussi peu scrupuleux et impitoyable que Simon Kaufmann. Rongé de l’intérieur par les rappels de l’Holocauste et par l’ingestion de produits illicites, il n’était pas assez solide pour ce milieu et pour affronter la gloire.

Mike Brant, Laisse-nous t’aimer est un bien beau spectacle. Quelle que soit son âge on ne peut qu’être sensible à ce destin brisé. Grégory Benchénafi, qui joue le rôle titre, est un Mike absolument convainquant. Il est charismatique à souhait, il possède une voix magnifique et il est un excellent acteur. Les jeunes femmes qui incarnent Sylvie Vartan et Dalida sont troublantes de mimétisme. Le comédien qui incarne Simon Kaufmann est impressionnant de puissance destructrice. Il fait véritablement peur. Un grand numéro d’acteur ! Celui qui joue Manuel est pittoresque et attachant, et la maman tient sa place (essentielle) avec beaucoup de générosité et de sensibilité.
Laissez-vous y aller, vous allez l’aimer ce spectacle.

vendredi 8 octobre 2010

Rendez-vous


Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité d’Estienne d’Orves

D’après la pièce de Miklos Laszlo
Adaptée par Laurent Lafitte et Judith El Zein
Mise en scène par Jean-Luc Revol
Arrangements et direction musicale de Thierry Boulanger
Chorégraphies d’Armelle Ferron
Décor de Sophie Jacob
Costumes d’Aurore Popineau
Avec Kad Merad (Georg Nowack), Magali Bonfils (Amalia Balash), Laurent Lafitte (Steven Kodaly), Pierre Santini (M. Maraczeck), Alyssa Landry (Ilona Ritter), Andy Cocq (Ladislav Sipos), Paolo Domingo (Arpad Laszlo), Jean-Michel Fournereau (Le maître d’hôtel), Lauri Lupi (M. Keller)…

Ma note : 7/10

L’histoire : L’action se déroule en Hongrie, dans les années 30, dans la parfumerie de Maraczeck. Le directeur, Georg Nowack, homme tranquille et discret, profite de ses heures de loisirs pour correspondre anonymement avec une « très chère » inconnue dont il est tombé amoureux sans l’avoir jamais rencontrée. Bientôt arrive une nouvelle vendeuse, Amalia Balash. Les deux jeunes gens se détestent immédiatement. Mais ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils s’écrivent depuis plusieurs mois…

Mon avis : Le premier contact avec le décor est intrigant : nous nous trouvons face à une sorte d’immense cuve ronde. En fait, en pivotant sur elle-même, elle s’ouvre sur différents décors modulables dont le plus important, bien sûr, est l’officine de la parfumerie Maraczeck. C’est ingénieux et c’est bien fait. Il m’a fait penser à celui du Donneur de bain à Marigny. Cette boutique se révèle très jolie avec sa dominante de tons bleus pastel… Le premier contact avec la musique m’a rassuré : l’orchestre joue en live… Le premier contact avec le spectacle m’a mis un peu sur la réserve : les premiers échanges entre les comédiens sont chantés, y compris les conversations les plus banales, façon Parapluies de Cherbourg. Je me suis dit que si tout le spectacle était conçu ainsi, j’allais vite me lasser. Mais ce n’était qu’un préambule en forme de clin d’œil… Mon premier contact avec les comédiens m’a enchanté : d’abord par leur élégance vestimentaire (superbes robes et beaux costumes), et ensuite par la conviction qu’ils mettent dans leurs personnages… Voilà, j’avais ma vision d’ensemble, j’étais donc prêt à découvrir la suite de cette comédie musicale complètement décalée par rapport aux grosses machines proposée dans les différents Palais, Sports et Congrès.

En quelques tableaux habilement brossés, on assimile rapidement les caractères de chacun. Georg Nowack (Kad Merad) est un brave garçon, sentimental et romantique, un bon camarade aussi. Il est sympathique, quoi. Steven Kodaly (Laurent Lafitte), c’est le fayot, l’arriviste, le gommeux, le tombeur de ces dames ; il se la joue perso. Monsieur Maraczeck (Pierre Santini) nous apparaît d’abord comme un patron plutôt jovial, tout en rondeurs et, semble-t-il, paternaliste. Mais on s’apercevra plus tard qu’il n’est pas si aimable que cela. Ladislav Sipos (Andy Cocq), c’est le bon copain collègue, discret, affable, courtois et fidèle en amitié. Ilona Ritter (Alyssa Landry) est aussi une bonne collègue, mais c’est un cœur d’artichaut sans cesse actionné par une libido effervescente et néanmoins parfaitement saine…

Passons au spectacle proprement dit. J’ai beaucoup aimé cette petite chansonnette que les employés de la parfumerie entonnent à la sortie de chaque client(e). C’est une sorte de running gimmick très plaisant à voir et à entendre. Puisqu’on parle de chansons, je les ai trouvées pour la plupart un tantinet vieillottes. Les adaptateurs et les artistes-chanteurs n’y sont pour rien, mais ils sont confrontés à des mélodies qui n’en sont pas. Ce qui a pour effet de rendre les chansons un peu laborieuses. En même temps, le tout dégage un charme désuet - on dirait un vieux film américain des années 50 - qui gomme souvent le désagrément. Ce n’est qu’une question de disposition d’esprit. Certains adhèrent sans condition, comme mon voisin de droite, brillant journaliste critique, alors que d’autres, comme moi, émettent certaines réticences. Tout simplement parce que je me disais en permanence que Rendez-vous aurait du mal à séduire le public jeune. Ce n’est bien sûr que mon point de vue. La seule chanson que j’aie vraiment appréciée au cours du premier acte est « J’ai rendez-vous ce soir à 8 heures » qui elle, au moins, possède une mélodie que l’on peut garder en tête.

Du coup, à l’entracte, mes sensations étaient mitigées. Mais j’étais sûr d’une chose : j’avais trouvé ce premier acte un peu longuet, la belle générosité des comédiens étant tempérée par la pauvreté mélodique des chansons.
Heureusement, le deuxième acte allait beaucoup, beaucoup me plaire. Il est bien plus rythmé, les jolies scènes de comédie se succèdent, et il y a de fort jolis tableaux, comme la scène du restaurant avec un drolatique numéro du maître d’hôtel. Seul petit hiatus encore, quand l’action s’emballe et se fait dynamique (on est tout content), elle retombe aussitôt après au profit d’une plage assez mollassonne. C’est dommage que l’on ne reste pas dans le rythme. Mais c’est le seul point noir de cette excellente deuxième partie dans laquelle tous les comédiens sont au taquet. Nombreux sont les personnages qui m’ont véritablement enthousiasmé artistiquement parlant.
Andy Cocq (Ladislav) m’a fait irrésistiblement penser à Jack Lemmon ; non seulement il lui ressemble physiquement, mais il en a aussi la fantaisie légère, la délicatesse, le petit sourire timide et la gestuelle un peu empruntée. Il est par-fait… Alyssa landry (Ilona) est formidable de vitalité et de présence. C’est une santé ; et en plus d’un sens de l’humour évident, elle est dotée d’une très belle voix, puissante et mélodieuse… Pierre Santini (Maraczeck) est comme à l’habitude irréprochable. Le caractère de son personnage n’étant pas linéaire, parfois sympathique, parfois détestable, il peut jouer de tout un éventail de sentiments ; et il y a belle lurette qu’on sait qu’il sait et aime chanter… Laurent Lafitte (Steven Kodaly) est épatant. Dans un rôle qui lui va comme un gant. Gentiment mufle et narcissique, il frise sans cesse la caricature sans jamais tomber dedans. Il est entre Jerry Lewis, pour la drôlerie, et Dean Martin, pour le charme. Son solo « Rumba » est un grand moment. Et le couple qu’il forme avec Ilona est particulièrement amusant…
Magali Bonfils (Amalia Balash) est, pour ce qui me concerne, la belle surprise de ce spectacle. Elle est pétillante, pleine de vie et de fraîcheur, elle fait ce qu’elle veut avec sa voix, elle est aussi à l’aise dans les scènes dramatiques que comiques, celles où elle montre un sacré caractère comme celles où elle laisse poindre sa tendresse ; et puis, elle bouge et danse vraiment bien... Et il y a Kad Merad (Georg Nowack). Il était un peu la curiosité de ce spectacle musical dans lequel outre chanter (ça, on avait eu maintes fois la preuve qu’il se débrouillait très bien) et danser, ce qui n’est pas évident sur des chorégraphies à plusieurs et millimétrées. Il est reçu avec mention bien. Pendant plus de deux heures, il est comme un gamin émerveillé à qui on vient de donner l’autorisation de faire un petit numéro à la fin d’une importante fête de famille. Il ne sur-joue pas une seconde. Il est totalement dans la finesse, presque en retenue. Touchant d’humanité en amoureux transi, il se révèle aussi ami loyal et droit, employé responsable et investi, mais qui ne se laisse toutefois pas marcher sur les pieds. Le genre de mec qu’on aimerait vraiment avoir pour ami… Il avait très envie de se coltiner à ce genre-là, il l’a fait, et c’est réussi. Il peut être content de lui, et nous aussi.

J’ajouterai que les couples de danseurs et danseuses qui animent certains tableaux sont en tout point parfaits. Ils apportent une réelle plus value à ce show en lui donnant un côté music-hall chic.
En conclusion, grâce à une deuxième mi-temps très enlevée, le match a été sauvé. On sort avec un léger sourire de contentement avec cette sensation que l’on ressent parfois lorsqu’on est confronté à un plat que nous concoctait une grand-mère : le plaisir d’un goût qu’on avait aimé et qu’on avait oublié. Ce côté un peu suranné de Rendez-vous est à la fois sa faiblesse et sa force. Et on ne peut que saluer la qualité de la mise en scène, la générosité des comédiens, la beauté des décors et des costumes. Dans ce domaine, ils sont tous irréprochables et ils nous donnent le meilleur d’eux-mêmes. Tout le reste n'est que subjectivité.

Le Technicien


Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 59 76
Métro : Palais-Royal

Une comédie d’Eric Assous
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décor de Charlie Mangel
Avec Roland Giraud (Jean-Pierre), Maaaike Jansen (Séverine), Patrick Guillemin (Patrice), Elisa Servier (Victoria), Zoé Bruneau (Célia), Arthur Fenwick (Guillaume), Jean Franco Gaëtan), Jean-Yves Roan (Liebovski)

Ma note
: 7,5/10

L’histoire : Il y a 20 ans, Séverine Chapuis s’est fait plaquer par son mari, un flamboyant homme d’affaires sans foi ni loi. Abandonnée, sans le sou, Séverine a travaillé dur et elle a monté une maison d’éditions littéraires qui lui assure un train de vie plus que confortable et elle a refait sa vie avec Patrice. Un beau matin, le fameux Jean-Pierre réapparaît dans le bureau de Séverine. Ce n’est plus le businessman arrogant et cynique qu’elle a connu, mais un homme ruiné, quasi SDF. Il est venu lui demander pardon… et un emploi ! Pas rancunière, Séverine décide de lui redonner une chance. Jean-Pierre sera technicien… de surface. Autrement dit homme de ménage ! Et à condition qu’il prenne un nom d’emprunt car il n’est pas question de dire au personnel de la société que Jean-Pierre est l’ex-mari de la patronne…

Mon avis : Le tandem Eric Assous/Jean-Luc Moreau a encore frappé ! Eric à la plume et Jean-Luc à la mise en scène nous ont encore une fois concocté une comédie foutrement bien ficelée et particulièrement enlevée.
Un tango enjoué nous a déjà mis dans les meilleures conditions d’esprit lorsque l’on découvre le décor : un bureau-salon encadré d’étagères encombrées de livres. Nous sommes dans le coeur de la maison d’éditions dirigée par Séverine. Dès l’apparition, assez rapide, de Roland Giraud, le ton est donné, le rythme est lancé et le scenic railway dans lequel nous venons d’embarquer ne va plus cesser de prendre de la vitesse et de sous secouer la ceinture abdominale. En route pour un déferlement de vacheries. Ça vanne sec à tous les niveaux et surtout dans les dialogues acerbes qu’échangent Séverine et Jean-Pierre, vieux couple qui a quelques comptes à régler. En dépit des mensonges et des trahisons qu’elle a dû supporter et subir, Séverine est une bonne âme. Alors qu’il est en train de noyer, elle lui tend une main charitable, mais de l’autre, elle le soufflète moralement. Embauché d’accord, mais dans l’emploi le plus humble qui soit. De quoi lui faire ravaler sa superbe et son orgueil.

Cette pièce possède tous les ingrédients du (très) bon boulevard… Dans la société, tout le monde a trouvé sa place et assure son train-train quotidien avec son lot de mesquineries et de tromperies secrètes. Cette routine aurait pu tranquillement perdurer si un sacré grain de sable n’était venu enrayer la mécanique. Jean-Pierre va être cet élément perturbateur avec un sadisme et un enthousiasme assez machiavéliques. Il va leur pourrir l’ambiance.

Pendant le premier tiers de la pièce, j’ai trouvé le spectacle plaisant, mais sans plus. Il y avait tous les clichés conventionnels et convenus du genre, c’était bien joué, mais quelques ficelles étaient un peu grosses. J’ai par exemple trouvé superflue la scène de la machine à café. Elle n’apporte rien à l’action, elle dure trop longtemps et elle fait trop farce… Et puis, soudain, c’est comme si le diésel avait passé le turbo. Au premier rebondissement que j’avais trouvé un peu simpliste, en succèdent un ou deux autres qui nous prennent vraiment par surprise. Et là, on passe à un tout autre niveau. Les scènes se succèdent à un rythme fou, toutes plus hilarantes les unes que les autres. Le public est pris en otage. Le rire devient non stop. Et ce, jusqu’à un final complètement délirant. Du grand art. Magistral !
Le Technicien est emmené de main de maîtresse par une Maaike Jansen époustouflante. C’est elle qui mène le bal. Très élégante, très femme, donc très rouée, elle se balade dans tous les registres avec une justesse et une vitalité confondantes. Entraînés dans son sillage, tous les autres comédiens, Roland Giraud en tête, s’en donnent à cœur joie. Cette pièce, qui démarre comme un diésel, prend rapidement de la vitesse pour finir en trombe telle une formule 1. Grand moment de détente et de gaîté, elle va être, à n’en pas douter, un des grands succès populaires de cette fin d’année.

jeudi 7 octobre 2010

Une trompinette au paradis


Théâtre Déjazet
41, boulevard du Temple
75011 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Un spectacle musical écrit et mis en scène par Jérôme Savary
Piano et direction musicale : Philippe Rosengoltz
Costumes : Michel Dussarat et Mauricette Renda
Avec Nina Savary, Jérôme Savary, Antonin Maurel, Sabine Leroc, Frédéric Longbois et l’orchestre des Franciscains Hot Stompers

Ma note : 8,5/10

Synopsis : Boris Vian, poète, chanteur, écrivain, trompettiste, est l’archétype de l’esprit des années 50 du Paris Rive Gauche. Mort en 1959 à l’âge de 39 ans, il est resté jeune dans les mémoires… Boris Vian, c’est univers plein de poésie, de jazz, de provocations, d’insolence et de modernité. Boris Vian, ce sont des chansons inoubliables, c’est le rock’n’roll qu’il fit découvrir aux Français par le truchement d’Henri Salvador. Boris Vian, c’est un engagement politique. Boris Vian, c’est aussi une époque, celle de Saint-Germain des Prés avec ses intellectuels, ses cafés, ses clubs, ses débats…
Jérôme Savary, passionné de jazz et iconoclaste, lui rend ici un hommage qui swingue à travers un spectacle fidèle à son image : irrévérencieux et poétique, provocateur et tendre à la fois.

Mon avis : Ce spectacle est un régal absolu, un véritable bonheur de spectateur. Quelle que soit sa génération, on ne peut qu’y prendre un maximum de plaisir. Le music-hall, c’est ça ! Revivre à travers un des plus brillants fleurons, Boris Vian, les trépidantes et inventives années de l’après-guerre à Saint-Germain des Prés, c’est tout aussi festif qu’intellectuellement enrichissant. Jérôme Savary se mue en conteur pour nous narrer la vie extraordinaire d’un flamboyant météore. Inimaginable tout ce qu’a pu accomplir Boris Vian en si peu de temps. Ce qui est agréable c’est que, sans en avoir l’air, il nous raconte un tas d’anecdotes ayant trait à cette période si foisonnante. On en apprend des choses ! Et pas seulement sur Boris Vian. Une succession de tableaux et de saynètes nous font apparaître ou revivre le Ché, Elvis Presley, les Frères Jacques, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. On croise des zazous, on descend dans les caves, on se retrouve au Tabou… Chaque séquence est parfaite, il n’y a rien à jeter. Il y a néanmoins un tableau qui m’a emballé encore plus que les autres, c’est celui qui illustre la chanson On n’est pas là pour se faire engueuler. Un diamant parmi un écrin de joyaux !
Entouré de cinq musiciens (piano, contrebasse et 3 cuivres auxquels vient parfois se mêler l’excellent Antonin Maurel avec sa guitare), et d’un quatuor d’artistes aussi accomplis que pluridisciplinaires, Jérôme Savary nous propose un spectacle total, plein de joie de vie, d’énergie et d’humour. Les costumes sont magnifiques, le rythme est enlevé, la musique entraînante, le Grand Circus est toujours aussi magique. Nina Savary et Antonin Maurel possèdent un talent inouï. Ils savent absolument tout faire.
Entraînés par cette joyeuse bande, non seulement, on s’amuse énormément, mais on apprend plein de choses.