lundi 10 janvier 2011

Le Fils à Jo


Un film écrit et réalisé par Philippe Guillard
Avec Gérard Lanvin (Jo Canavaro), Olivier Marchal (Le Chinois), Vincent Moscato (Pompon), Jérémie Duvall (Tom Canavaro), Karina Lombard (Alice Hamilton), Abbès Zahmani (Le Boulon), Pierre Laplace (Frontignan), Lionel Astier (Bernard), Laurent Olmedo (François), Darren Adams (Jonah Tukalo), Sofiane Bettahar (Bouboule), Grace Hancock (Fanny)

Ma note : 6,5/10

Synopsis : Petit-fils d’une légende du rugby, fils d’une autre légende, et lui-même légende du rugby, Jo Canavaro élève seul son fils de 13 ans, Tom, dans un petit village du Tarn. Au grand dam de Jo, Tom est bien plus brillant en maths qu’avec un ballon ovale. Pour un Canavaro, la légende ne peut s’arrêter là, quitte à monter une équipe de rugby autour de Tom contre la volonté de tout le village et de son fils lui-même…

Mon avis : Pour moi, Le Fils à Jo, est un Billy Elliot à l’envers. Si la fin est la même, là ce n’est pas le gamin qui s’accroche à sa passion à l’insu de son père, c’est au contraire le père qui veut à tout prix que son rejeton reprenne le flambeau familial et perpétue la dynastie. Sinon, c’est le même esprit, la dimension dramaturgique en moins.
Moi-même passionné de rugby, c’est avec gourmandise que je suis allé voir ce film. Je connaissais Philippe Guillard au temps où il faisait les belles heures du Racing et sa façon ludique et distanciée d’aborder ce sport. Avec ses espiègles camarades Mesnel, Blanc, Lafond et Rousset, il avait contribué à apporter un peu de fantaisie dans cette rude discipline tout en le pratiquant avec le sérieux qu’exige le plus haut niveau. Un état d’esprit très novateur pour l’époque qui le rendait donc d’autant plus sympathique.

Son amour pour le ballon ovale est tout entier dans ce film. Il l’a écrit avec la légèreté de l’ailier qu’il fut. Et il l’a réalisé avec la science du « cadrage » qu’il possédait. C’est un film d’arrière, quoi… Alors, si j’en ai suivi les péripéties sans déplaisir, je n’y ai pas non plus pris un pied démesuré. Tout simplement parce qu’il est on ne peut plus conventionnel. Tout ce qui s’y passe est prévisible. Une heure et demie sans un seul faux rebond ! Un paradoxe. C’est rempli de clichés et on ne frémit pas un seul instant quant à l’issue du match – pardon – du film.

Et, en même temps, ce long métrage contient les qualités et les défauts d’un premier film. Sur le plan des qualités, il est plein de fraîcheur, il est pétri d’humanité, il retranscrit plutôt bien l’ambiance de ces villages du Sud-ouest où le rugby est une religion dominée par l’esprit de clocher… Sur le plan des défauts, il dégage une certaine naïveté, il est simpliste et convenu.

Toutefois, l’essai sera sans doute transformé car ce film véhicule des valeurs de base intrinsèques aux vertus du ballon ovale. C’est d’abord une histoire d’amour filial, puis une belle histoire d’amitié. De ce côté-là, ça fonctionne parfaitement. Le jeu de passes est huilé. Gérard Lanvin et Olivier Marchal s’entendent comme trois-quarts en foire. Gérard Lanvin est toujours bon quand il s’agit de jouer les bourrus au grand cœur. Il emmerde tout le monde, il est tyrannique et injuste avec son fils, mais on sait que c’est le dépit qui le rend ainsi... Olivier Marchal est comme un poisson dans l’eau avec ce genre de rôle pas très éloigné de sa propre philosophie toute entière consacrée à l’amitié. Ce mec-là déborde de tendresse et ça crève l’écran.
Et puis il y a Vincent Moscato. Encore néophyte dans le métier, il tire son épingle du jeu entre ces deux piliers de la comédie. Philippe Guillard ne lui a pas dessiné un personnage des plus glorieux, mais il en fait un être attachant (dimension tragique en moins, il m’a fait penser au Lennie de Des Souris et des Hommes de Steinbeck). Pour assumer un tel rôle, il faut posséder une belle dose d’auto-dérision et d’humilité. On en oublierait presque sa carrure.
Quant à Jérémie Duvall (Tom, le fils à Jo), il est absolument épatant. D’abord, il ressemble à Gérard Lanvin, ce qui rend leur filiation encore plus crédible. Ensuite, il ne sur-joue jamais. Il est naturel. Bon, on voit bien qu’il n’a pas été inscrit à l’école de rugby dès son plus jeune âge car il y a des automatismes qui ne trompent pas. Mais ce n’est pas très gênant. Il est bien, ce gamin.
Le film est également servi par de jolis dialogues agrémentés de savoureuses formules à l’emporte-pièce dignes des meilleurs raffuts.
C’est donc un film honnête et sympathique, un gentil divertissement auquel il ne manque que ce petit grain de folie qui en aurait fait du rugby champagne.

Des Souris et des Hommes


Théâtre du Petit Saint-Martin
17, rue René Boulanger
75010 Paris
Tel : 01 42 02 32 82
Métro : Strasbourg Saint-Denis / République

D’après le livre de John Steinbeck
Adapté par Marcel Duhamel
Mis en scène par Jean-Philippe Evariste et Philippe Ivancic
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Jacques Herlin (Candy), Philippe Ivancic (Lennie), Jean-Philippe Evariste (George), Gaëla Le Dévéhat (la femme de Curley), Jacques Bouanich (Carlson), Philippe Sarrazin (Slim), Emmanuel Dabbous (Curley), Bruno Henry (Crooks), Henri Déus (Le patron), Hervé Jacobi (Whit)

Ma note : 7,5/10

L’histoire : Pendant la grande dépression des années 30, deux hommes, George, vif, réfléchi et protecteur, et Lennie, un doux colosse aux mains dévastatrices, parcourent les grands espaces californiens à la recherche de travail. Ils entretiennent le même rêve : acquérir un pécule qui leur permettra d’acheter une ferme, synonyme de liberté et de paix. Ils trouvent finalement du travail dans un ranch. Mais la simplicité d’esprit de Lennie va une nouvelle fois leur attirer des histoires…

Mon avis : Elle est terrible cette pièce ! On a beau en connaître l’histoire et le dénouement, on se laisse toujours happer par ce drame si empreint de désespoir et qui, pourtant, dégage tellement d’humanité.
Pas besoin de décor clinquant et dispendieux. Quelques caisses disséminées ça et là, des planches, des palettes, un établi rudimentaire suffisent amplement. Ici, ce sont les êtres qui nous intéressent. Et tout d’abord ces deux routards, George et Lennie, liés par une improbable mais intense amitié. Car Des Souris et des Hommes, c’est uniquement ça : une formidable histoire d’amitié sur laquelle plane la menace d’une inéluctable fatalité. C’est une véritable tragédie grecque…
C’est vrai qu’on a du mal à comprendre comment George, qui est loin d’être idiot, peut accepter de se coltiner cet encombrant Lennie… Sans doute par pitié d’abord, par commisération. Il a sincèrement envie de l’aider. Puis, au fur et à mesure de leurs pérégrinations à la recherche de boulot, attendri par autant d’innocence, il s’y est attaché. Et, enfin, mieux vaut avoir un compagnon, fût-il désespérément maladroit et générateur d’ennuis, que de vivre les affres de la solitude.

Autour de ces deux paumés sympathiques vont graviter quelques représentants caractéristiques de la race humaine. L’échantillonnage est particulièrement réussi. En quelques attitudes, on sait bientôt à qui on a affaire. Du plus minable et du plus infect, Curley, le fils du patron, au plus humain, Slim, le chef de l’équipe des muletiers. Ce sont pour la plupart des gens simples, modestes, un peu rustres, un peu rugueux, qui se contentent de leur petite vie de besogneux et qui n’ont plus de rêves… Sauf trois personnages, qui entretiennent encore un espoir en leur futur. George et Lennie, bien sûr, qui ne pensent qu’à une chose : amasser un pécule suffisant pour pouvoir acquérir leur propre ferme. Et cet emploi qu’ils viennent de décrocher, ajouté à l’aide financière inespérée que va leur apporter Candy, un vieil ouvrier, va leur permettre de réaliser leur rêve. Ils n’ont plus qu’un mois à tenir et ils seront enfin chez eux…
Le rêve… C’est aussi le rêve qui donne une raison d’exister à la femme de Curley. Mariée à une brute, à un individu jaloux et lâche, qui abuse de son statut de fils du patron, et qui n’a de courage que face à des gens faibles ou fragiles, elle n’a de refuge que dans son rêve d’adolescente, devenir actrice. Mais elle doit pressentir que sa vie est pratiquement foutue. Alors, elle recherche de la compagnie, elle a envie de bavarder, de se sentir exister aux yeux d’autres personnes. Pas de sa faute si elle n’est entourée que d’hommes. Des hommes qui réagissent et qui la jugent avec leurs œillères chroniques et réductrices. Si elle vient tourner autour d’eux, c’est parce qu’elle cherche une aventure. Alors qu’elle a juste besoin qu’on s’intéresse un peu à elle et qu’on lui parle. Pas de sa faute non plus si le seul homme qui lui prête attention sans arrière-pensée aucune, c’est Lennie, le simple d’esprit, dont les caresses incontrôlées représentent un danger de mort. Et elle est aussi fragile qu’une souris…

Cette pièce est superbe. Elle est âpre, poignante, douloureuse, désolante. On n’a pas du tout envie qu’elle se termine mal. Nous aussi on l’aime bien Lennie. Comme on aime bien aussi le vieux Candy, doux et fondant comme son nom. Candy qui, depuis qu’on lui a supprimé son seul compagnon, un corniaud encore plus sénile que lui, va se raccrocher désespérément à George et à Lennie… En fait, hormis le détestable Curley, tous les protagonistes de ce drame sont plutôt « aimables » dans le sens strict du terme. Ils sont des victimes, tributaires sans espoir de leurs petites vies étriquées.
Tous les comédiens sans exception, avec leur jeu épuré, installent cette pièce à un très haut niveau d’intensité. Chacun est à sa place. Même les passages qui pourraient nous sembler un peu long (comme quand George et Lennie rêvent tout haut de leur ferme) sont doté d’une forte charge émotionnelle.
Et même si on ne sent pas le droit d’en ressortir un plus qu’un(e) autre, comment ne pas saluer l’extraordinaire performance qu’accomplit Philippe Invancic dans le rôle de Lennie. Ce rôle exige une telle concentration permanente, et dans les gestes et dans la voix, qu’il doit finir nerveusement vidé chaque soir. Impressionnant !