lundi 10 janvier 2011

Des Souris et des Hommes


Théâtre du Petit Saint-Martin
17, rue René Boulanger
75010 Paris
Tel : 01 42 02 32 82
Métro : Strasbourg Saint-Denis / République

D’après le livre de John Steinbeck
Adapté par Marcel Duhamel
Mis en scène par Jean-Philippe Evariste et Philippe Ivancic
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Jacques Herlin (Candy), Philippe Ivancic (Lennie), Jean-Philippe Evariste (George), Gaëla Le Dévéhat (la femme de Curley), Jacques Bouanich (Carlson), Philippe Sarrazin (Slim), Emmanuel Dabbous (Curley), Bruno Henry (Crooks), Henri Déus (Le patron), Hervé Jacobi (Whit)

Ma note : 7,5/10

L’histoire : Pendant la grande dépression des années 30, deux hommes, George, vif, réfléchi et protecteur, et Lennie, un doux colosse aux mains dévastatrices, parcourent les grands espaces californiens à la recherche de travail. Ils entretiennent le même rêve : acquérir un pécule qui leur permettra d’acheter une ferme, synonyme de liberté et de paix. Ils trouvent finalement du travail dans un ranch. Mais la simplicité d’esprit de Lennie va une nouvelle fois leur attirer des histoires…

Mon avis : Elle est terrible cette pièce ! On a beau en connaître l’histoire et le dénouement, on se laisse toujours happer par ce drame si empreint de désespoir et qui, pourtant, dégage tellement d’humanité.
Pas besoin de décor clinquant et dispendieux. Quelques caisses disséminées ça et là, des planches, des palettes, un établi rudimentaire suffisent amplement. Ici, ce sont les êtres qui nous intéressent. Et tout d’abord ces deux routards, George et Lennie, liés par une improbable mais intense amitié. Car Des Souris et des Hommes, c’est uniquement ça : une formidable histoire d’amitié sur laquelle plane la menace d’une inéluctable fatalité. C’est une véritable tragédie grecque…
C’est vrai qu’on a du mal à comprendre comment George, qui est loin d’être idiot, peut accepter de se coltiner cet encombrant Lennie… Sans doute par pitié d’abord, par commisération. Il a sincèrement envie de l’aider. Puis, au fur et à mesure de leurs pérégrinations à la recherche de boulot, attendri par autant d’innocence, il s’y est attaché. Et, enfin, mieux vaut avoir un compagnon, fût-il désespérément maladroit et générateur d’ennuis, que de vivre les affres de la solitude.

Autour de ces deux paumés sympathiques vont graviter quelques représentants caractéristiques de la race humaine. L’échantillonnage est particulièrement réussi. En quelques attitudes, on sait bientôt à qui on a affaire. Du plus minable et du plus infect, Curley, le fils du patron, au plus humain, Slim, le chef de l’équipe des muletiers. Ce sont pour la plupart des gens simples, modestes, un peu rustres, un peu rugueux, qui se contentent de leur petite vie de besogneux et qui n’ont plus de rêves… Sauf trois personnages, qui entretiennent encore un espoir en leur futur. George et Lennie, bien sûr, qui ne pensent qu’à une chose : amasser un pécule suffisant pour pouvoir acquérir leur propre ferme. Et cet emploi qu’ils viennent de décrocher, ajouté à l’aide financière inespérée que va leur apporter Candy, un vieil ouvrier, va leur permettre de réaliser leur rêve. Ils n’ont plus qu’un mois à tenir et ils seront enfin chez eux…
Le rêve… C’est aussi le rêve qui donne une raison d’exister à la femme de Curley. Mariée à une brute, à un individu jaloux et lâche, qui abuse de son statut de fils du patron, et qui n’a de courage que face à des gens faibles ou fragiles, elle n’a de refuge que dans son rêve d’adolescente, devenir actrice. Mais elle doit pressentir que sa vie est pratiquement foutue. Alors, elle recherche de la compagnie, elle a envie de bavarder, de se sentir exister aux yeux d’autres personnes. Pas de sa faute si elle n’est entourée que d’hommes. Des hommes qui réagissent et qui la jugent avec leurs œillères chroniques et réductrices. Si elle vient tourner autour d’eux, c’est parce qu’elle cherche une aventure. Alors qu’elle a juste besoin qu’on s’intéresse un peu à elle et qu’on lui parle. Pas de sa faute non plus si le seul homme qui lui prête attention sans arrière-pensée aucune, c’est Lennie, le simple d’esprit, dont les caresses incontrôlées représentent un danger de mort. Et elle est aussi fragile qu’une souris…

Cette pièce est superbe. Elle est âpre, poignante, douloureuse, désolante. On n’a pas du tout envie qu’elle se termine mal. Nous aussi on l’aime bien Lennie. Comme on aime bien aussi le vieux Candy, doux et fondant comme son nom. Candy qui, depuis qu’on lui a supprimé son seul compagnon, un corniaud encore plus sénile que lui, va se raccrocher désespérément à George et à Lennie… En fait, hormis le détestable Curley, tous les protagonistes de ce drame sont plutôt « aimables » dans le sens strict du terme. Ils sont des victimes, tributaires sans espoir de leurs petites vies étriquées.
Tous les comédiens sans exception, avec leur jeu épuré, installent cette pièce à un très haut niveau d’intensité. Chacun est à sa place. Même les passages qui pourraient nous sembler un peu long (comme quand George et Lennie rêvent tout haut de leur ferme) sont doté d’une forte charge émotionnelle.
Et même si on ne sent pas le droit d’en ressortir un plus qu’un(e) autre, comment ne pas saluer l’extraordinaire performance qu’accomplit Philippe Invancic dans le rôle de Lennie. Ce rôle exige une telle concentration permanente, et dans les gestes et dans la voix, qu’il doit finir nerveusement vidé chaque soir. Impressionnant !

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