lundi 31 octobre 2011

Pascal Légitimus "Alone Man Show"


Le Palace
8, rue du Faubourg Montmartre
75009 Paris
Tel : 0892 68 36 22
Métro : Grands Boulevards

One man show écrit par Pascal Légitimus
Coloré par Gil Galliot, Rémy Caccia et Arnaud Gidoin
Mis en scène par Gil Galliot

Mon avis : Pascal Légitimus a attendu d’avoir pratiquement trente ans de carrière pour procéder enfin à son « comique out ». Habitué jusque là à se produire en quintette (Smaïn, Brussel, Campan, Bourdon), puis en trio (Les Inconnus) ou en duo (Mathilda May), pour la première fois, il ose se présenter sur scène tout seul. Il s’est estimé suffisamment mature pour nous parler de lui. De lui, Pascal Légitimus. De son moi intime. Pudique et discret, il fallait qu’il ressente un besoin vraiment impérieux pour avoir le courage de se mettre ainsi l’âme et le cœur à nu, d’évoquer ses origines, de révéler surtout son métissage si original. Pascal est né d’une maman arménienne et d’un papa antillais. Il est issu de deux cultures tellement différentes qu’il lui a fallu beaucoup de temps pour en maîtriser parfaitement les paramètres. Ce spectacle, il le portait en lui depuis des années, mais il était si personnel que s’offrir ainsi en pâture au public lui semblait vraiment par trop impudique. Car Pascal, excessivement réservé, s’est toujours caché derrière l’humour. On ne savait rien de lui, ou presque rien.
Il fait donc enfin sauter le couvercle. Depuis le 13 octobre, il se raconte, le cœur (croisé) sur la main, offert à tous. Pour lui, l’heure du crème a sonné. Il a atteint l’âge de la métisagesse. Il a désormais suffisamment de recul.

Le Alone Man Show de Pascal Légitimus n’est pas à proprement parler un spectacle comique. L’humour y est certes en permanence tel un fil rouge (on ne peut pas forcer sa nature), mais il se partage avec énormément d’émotion. Il part habilement du général (l’emploi des Noirs aux débuts du cinéma, le Black Power aux Etats-Unis, les Jackson Five) pour évoluer progressivement au plus particulier (ses 14 ans et sa coupe afro, ses premières auditions, le Petit Théâtre de Bouvard, les films et la musique qui ont compté pour lui…). Mais surtout, il s’attarde sur son écartèlement entre deux cultures, deux religions, deux gastronomies, deux modes de vie. Pour cela, il fait appel à une excellente astuce de mise en scène en utilisant un ameublement approprié : une chaise bicolore, une armoire blanche pour symboliser la branche maternelle, une marron pour la branche paternelle. Ce qui lui permet d’aller directement au sujet sans avoir à s’embarquer dans de longues périphrases explicatives.
Pascal est issu de deux peuples qui ont beaucoup souffert. L’esclavage pour l’un, le génocide pour l’autre. C’est là que l’humour, la distance et l’auto-dérision sont salvateurs.
Dans ce spectacle qu’il aurait pu sous-titrer « le Caucase de l’Oncle Tom », j’ai particulièrement aimé (en vrac) : les jeux de lumière, sa façon de bouger et de danser si personnelle, ses mimiques impayables (quel comédien !), son personnage de beauf sans gêne et envahissant, sa parodie remarquablement écrite de la tirade des nez de Cyrano de Bergerac et son évocation de sa tante, un personnage haut en couleurs aux aphorismes irrésistibles…

Pour Pascal, on le sent, cet Alone Man Show était un passage obligé. C’est une parenthèse nécessaire, plus pour sa vie d’homme que pour sa carrière, son côté cœur. Après, côté jardin, il va se sentir totalement libéré pour reprendre le cours de ses activités qui l’ont rendu célèbre avec, entre autre, la reformation tant espérée du trio des Inconnus. Mais au moins ce spectacle lui aura-t-il permis de rendre hommage avec beaucoup de sensibilité à ses géniteurs et de se raconter sans détours en toute authenticité. Le clown blanc nous propose son négatif à la fois drôle et émouvant. Un sacré exercice de style !

vendredi 28 octobre 2011

Julie Victor


Théâtre de Dix Heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

One Musical Show conçu et écrit par Julie Victor et Etienne de Balasy
Mis en scène par Etienne de Balasy
Avec Jérémy Jouniaux (piano), Dominique Mabille (guitare-basse)

Mon avis : J’ai découvert un authentique phénomène… A peine les deux musiciens installés, une voix incroyable sort du fond de la salle en entonnant ce monument de la chanson qu’est Smile (musique de Charlie Chaplin, créée par Nat King Cole et reprise par plus de 40 artistes dont Judy Garland, Diana Ross, Barbra Streisand, Stevie Wonder et Michael Jackson…) Je n’avais pas encore vu Julie Victor et j’entendais Liza Minnelli. Le même timbre, la même puissance modulée et maîtrisée… Et puis elle grimpe sur la scène. Elle est revêtue d’une légère robe noire échancrée en bas, en haut et dans le dos. Visage expressif, regard pétillant, elle investit la scène comme un hussard un champ de bataille. L’émotion suscitée par son interprétation de Smile n’est pas encore retombée qu’elle s’ingénie à en rompre le charme en prenant l’accent québécois pour parodier une Céline Dion plus vraie que nature. Julie-la-Rousse annonce la couleur, ou plutôt sa palette de couleurs : son spectacle ne va pas être linéaire, il va nous faire aller de surprise en surprise, d'univers en univers. Très joueuse, coquine et sensuelle, elle taquine ses musiciens, ironise sur Susan Boyle, explique les difficultés à être une débutante dans ce métier avant de se livrer à une surprenante interprétation de jazz allemand. Agressive et martiale au début, sa prestation opère un crochet brutal vers la fête de la bière avant de se muer en tyrolienne… Julie fait absolument ce qu’elle veut avec sa voix. Et comme elle est en sus une excellente comédienne, le spectacle est total.

Le fil rouge de ce spectacle musical c’est tout simplement sa vie. De son enfance en basse Normandie à son arrivée à Paris. Elle évoque son passage au Cours Florent, ses nombreuses participations à différentes comédies musicales, opérettes et pièces de théâtre, ses expériences dans le monde la pub. Bref, elle a du métier la donzelle. Mais elle n’en fait pas tout un fromage (un camembert pour rester dans sa région d’origine). Au contraire, elle a une très réconfortante propension à se moquer d’elle-même. Sa chanson égo-maniaque et totalement narcissique en est le parfait exemple. Julie ne connaît pas des fins de « moi » difficiles. Elle s’aime et elle a bien raison. Polyglotte, elle prend tous les accents possibles et imaginables, égrène quelques savoureux aphorismes, imite Luchini. D’ailleurs, il faut souligner la qualité d’écriture de ses intermèdes.
Jusqu'à présent nous avons fait connaissance avec la Victor rieuse. Or, elle sait aussi émouvoir. Sa chanson sur l’enfance, empreinte d’une douce nostalgie est bien touchante. Elle s'y livre à un exercice pas évident qui lui permet aussi de montrer toute l’étendue de son talent vocal. Car, comme je l’ai exprimé plus haut, Julie Victor sait tout chanter. Elle passe du jazz au lyrique, du scat à l’opérette et s’autorise même une brève incursion dans le chant sacré (Ave Maria) et le baroque avec une maestria ébouriffante. Et, en plus, cerise sur le livarot, elle bouge sacrément bien. Artiste complète, elle est autant à l’aise avec son corps qu’avec sa voix. Elle est aussi crédible en clown qu’en tragédienne. Et puis, en bonne Normande, elle n’oublie jamais d’être un peu vache. En particulier à propos de certaines de ses consoeurs prétendument chanteuses.

Pendant une heure, épaulée par ses deux complices et partenaires musiciens, Julie Victor nous enchante avec un spectacle polymorphe et éclectique, drôle et émouvant et sacrément professionnel (on sent qu'il y a des heures de travail derrière tout cela. Le seul talent n'y suffit pas). Quand elle y met la touche finale après un joli hommage à son « pays » André Bourvil en interprétant La Tendresse, on ressent comme un sentiment de frustration. On aurait aimé l’entendre dans plus de chansons. Elle a un tel registre ! Personnellement, j’en aurais encore bien pris pour une demi-heure de plus…

jeudi 27 octobre 2011

Paul Personne "A l'Ouest"



A l’Ouest

Comme les pastilles Kiss Cool, Paul Personne est un adepte du double effet. Toujours comme la fameuse pastille, il est aussi une garantie de fraîcheur.
Il y avait les pôles Nord et Sud, il nous fait découvrir le Paul Ouest en nous offrant, à trois mois et demi d’écart, un allègre aller-retour dans ces contrées où le blues-rock est roi. Une première excursion en mai nous avait d’emblée remis d’aplomb avec cette musique vivifiante dont il est notre meilleur ambassadeur.
Paul est une tierce Personne : il joue de la guitare comme un natif du Mississippi, il possède la voix chaude et rauque idoine et – élément que l’on ne souligne pas assez – il est un excellent auteur… Paul Personne est un artiste trop rare. C'est peut-être ce qui lui donne encore plus de valeur.

La face A de A l’Ouest est une belle de mai, une belle œuvre de neuf titres dont deux sont des instrumentaux. C’est varié, éclectique, tonique, énergique et, bien sûr, bluesy. J’ai particulièrement apprécié J’ai rêvé, Dancin’ et surtout Le monde est si grand pour son gimmick à la Santana, Jerky pour le message écolo qui y est finement distillé et Bonne soirée pour son harmonica et son ambiance qui sent bon la veillée au coin du feu.

La face B nous a été livrée en septembre. Même topo, dix titres dont deux instrumentaux. Elle est encore meilleure que la première copie. Elle ouvre sur le titre sans doute le plus « variétoche » de l’album, le très mélodique M.M.I. au refrain redoutablement efficace avec ses sonorités en « aille ». C’est un véritable tube, alerte et entraînant. Et la suite est à l’encan. Longue absence, la deuxième chanson est un régal de blues mélancolique aux guitares lourdes de peine. Avec ces deux titres, le ton est donné et la suite est d’un très haut niveau. Comme son nom l’indique Le bout d’ la route avance tout le temps, nous entraîne dans un rythme échevelé que rien ne semble pouvoir arrêter ; les chevaux sont lâchés… Heureusement, on récupère avec le nostalgique et languissant La roue du temps, au texte qu’il faut prendre le temps d’écouter (superbe interprétation). Puis vient le léger Sweety, doux comme un bonbon acidulé. Le climat feutré et la voix pleine de douceur en font une imparable chanson d’amour propice à l’abandon. C’est toi qui choisis est également une chanson très forte, entêtante à souhait. Elle vaut surtout pour son texte universel, tellement évident, sur le thème du choix et du destin. Elle a, par moment, des passages qui font violemment penser au père Bashung. Magnifique ! Et que dire de l’intro de J’ai essayé ? Encore un titre parfaitement réussi qui rejoint Le bout d’ la route pour son swing et son rythme incessant. Impossible de l’écouter sans bouger les pieds et de hocher la tête. J’ai pourtant essayé, mais en vain. C’est trop chouette… Quelles guitares ! La dernière chanson, Disparue, est un archétype du blues avec son ambiance plaintive, qui suinte la souffrance provoquée par la trahison de l’autre. Où es-tu partie faire un tour ? C’est le leitmotiv le plus courant du blues. Cette longue mélopée quasiment parlée avec une voix qui sort d’un cœur écorché. C'est un constat énoncé sans rancoeur et sans haine. On le sent même prêt au pardon. Ça prend aux tripes.
Quant aux deux instrumentaux qui concluent cet album, ils sont tout simplement remarquables.
Cette face B, je vous l’assure, vaut un triple A.

jeudi 20 octobre 2011

Les Bonobos


Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 59 76
Métro : Palais-Royal

Une comédie de Laurent Baffie
Mise en scène de Laurent Baffie
Décors de Stéphanie Jarre
Avec Laurent Baffie/Alain Bouzigues (en alternance) (Ben), Marc Fayet (Alex), Caroline Anglade (Angélique), Jean-Noël Brouté (Dani), Camille Chamoux (Léa), Karine Dubernet (Julie)

Le propos : C’est l’histoire de trois potes qui se connaissent depuis l’enfance : Alex l’aveugle, Dani le sourd et benjamin le muet.
Même si nos trois personnages ressemblent beaucoup aux trois singes de la Sagesse, leur irrésistible envie de copuler les range définitivement dans la catégorie des bonobos ! Mais comment faire pour avoir une sexualité non tarifée quand on est handicapé ? La solution est simple, il suffit de ne plus être handicapé…

Mon avis : Le Baffie Bouzouk* a encore frappé ! Mine-de-rien, il est tout doucement en train de se constituer une véritable dramaturgie avec des pièces originales, décalées, insolentes et formidablement drôles. Après Sexe, magouilles et culture générale et l’inénarrable Toc toc, il revient avec une nouvelle histoire née de son esprit aussi fécond que tordu : Les Bonobos.
Laurent (Outang ?) est, on le sait, un passionné de tout ce qui touche la faune. C’est un zoophile quasiment incollable. Mais cette fois, c’est dans la symbolique qu’il est allé chercher son sujet. Tout le monde connaît cette statuette réunissant trois singes assis : le premier se cache la bouche, le deuxième les yeux et le troisième les oreilles. Ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre, c’est la marque de la sagesse. Gandhi, qui avait faite sienne cette maxime, ne se séparait jamais d’une petite reproduction de ces trois fameux primates.

Or donc, nous voici en présence de Ben-le-muet, Alex-l’aveugle et Dani-le-sourd. Ils se sont liés d’amitié depuis tout jeunes, quand ils fréquentaient un établissement pour handicapés. Eux, accéder à la sagesse n’est pas leur préoccupation première. Leur obsession est uniquement organique : ils veulent baiser. Bien sûr, ils peuvent assouvir leur libido quand ça leur chante, mais uniquement auprès de professionnelles dûment tarifées. Et ça commence à leur coûter bonbon à nos Bonobos. Très complices et solidaires, ils décident de tenter leur chance sur la toile en provoquant une espèce de speed dating. Mais ils sont convaincus que leur handicap va être un frein dans leur démarche de séduction. Alex a une idée qui, pour saugrenue qu’elle soit, va peut-être leur permettre de gommer leur foutu handicap le temps d’un rendez-vous. Et, ensemble, ils vont imaginer pour chacun d’eux un stratagème particulièrement ingénieux, des astuces que je vous laisse le bonheur de découvrir…
Evidemment, ce qui paraît imparable sur le papier n’a plus les mêmes applications sur le terrain. Ce qui donne lieu à des situations cocasses générant une avalanche de gags et de quiproquos.

Après le premier tableau qui est donc celui de l’exposition (on apprend qui est qui et comment chacun va devoir faire comme s’il n’avait aucun problème), vont s’enchaîner une succession de tableaux les mettant en scène avec les trois jeunes femmes qui ont répondu à leur annonce… Dès lors tout part en vrille. On pouffe toutes les vingt secondes. Certaines répliques nous échappent parce que la précédente a provoqué l’hilarité générale. Moi qui éclate rarement de rire, je me suis surpris à glousser de contentement et à essuyer une larme incontrôlable. Derrière moi, un type beaucoup plus démonstratif balançait de grands coups de pied dans mon fauteuil et tapait des mains de joie comme un enfant en s’esclaffant bruyamment. Il lui arrivait même de répéter tout haut certaines blagues qu’il trouvait encore plus savoureuses que d’autres… Tout ça pour vous dire que personne ne peut résister à cette excellente comédie, très intelligente, qui repose à la fois sur l’humour de situation et sur des dialogues pleins de spiritualité. Et, il le faut le souligner, sur un casting impeccable.

Les trois mecs comme les trois filles jouent leur partition avec une justesse qui ne les rend jamais ridicules. Car il y a beaucoup d’humanité dans cette histoire. Ce sont six personnages en quête d’amour. Et toute la tendresse de Laurent Baffie (tendresse qu’il s’acharne à essayer de dissimuler depuis des décennies) transpire de ces relations un peu bancales. Le sentiment de solitude est atténué par la volonté de faire rire, mais il est présent tout au long de la pièce. Les mecs se la jouent gloriole, les filles y mettent plus de sensibilité, mais la recherche est la même.
Baffie, Fayet, Brouté forment un très crédible trio de copains. Leur amitié est profonde, tangible. Elle leur permet de se faire des crasses inhérentes à leur handicap qui ne nous paraissent jamais déplacées. Ils sont les premiers à en rire. Là aussi réside le talent de l’auteur qui sait amuser avec des infirmités qui, a priori, ne prêtent pas le flanc à la plaisanterie. C’est même vachement sain.
Quant aux filles, elles sont franchement épatantes. Elles sont très différentes, autant physiquement que psychologiquement. Les trois sont touchantes et drôles. On ne peut pas les dissocier car chacune dans son registre et à sa manière va contribuer à nous amener au bouquet final… Il ne faut surtout pas partir avant la fin !
Les décors, signés Stéphanie Jarre, jouent, à leur façon, un rôle dans la pièce. Comme nous changeons plusieurs fois d’appartement et de lieu de rendez-vous, la décoration est très révélatrice de la personnalité de son occupant. Les petits détails abondent et il y a quelques trouvailles, particulièrement savoureuses, qui elles aussi provoquent le rire. Il faut avoir les yeux partout dans cette pièce. Et sur les personnages et sur ce qui les entoure.

Je ne me sens pas le droit d’en déflorer plus sur Les Bonobos. Le plaisir de la découverte est trop agréable. Cette pièce devrait s’installer un moment au Palais-Royal. Elle est appelée à faire un énorme succès et, paradoxalement, grâce au… bouche à oreille. On ne peut rester muet, sourd et aveugle devant une comédie de cette qualité, et la sagesse est de la recommander à tous vos amis.

Bachi-bouzouk veut dire « mauvaise tête » en turc. Ça lui va bien au rebelle du PAF, à celui qui ne veut rentrer dans aucune case et qui, en revanche, les collectionne, les têtes de Turc…°

mercredi 19 octobre 2011

Harlem Swing


Folies Bergère
32, rue Richer
75009 Paris
Tel : 01 44 79 98 98
Métro : Grands Boulevards

Musique de Fats Waller
Mise en scène de Richard E. Maltby Jr
Chorégraphies d’Arthur Faria

L’histoire : Harlem Swing se déroule dans un club de jazz mythique au cœur du Harlem des années 20, les Années Folles. Deux hommes et trois femmes flirtent, chantent et dansent jusqu’à l’aube sur les rythmes délirants du légendaire Fats Waller…
Ce spectacle, né à Broadway sous le titre Ain’t Misbehavin’, a remporté une quantité de récompenses dont trois Tony Awards à New York. Il a été la première comédie musicale à venir de Broadway à Paris en 1980. Il est repris aujourd’hui à Paris avec son équipe artistique originale.

Mon avis : Sous-titré « The Fats Waller Musical Show », ce spectacle rend un vibrant hommage à ce pianiste truculent, bon vivant et prolifique pianiste et compositeur de jazz. La scène nous restitue le fameux Cotton Club, salle de concert et dancing de Harlem qui connut son heure de gloire pendant la Prohibition dans les années 20…
Trois femmes plutôt bien en chair et deux hommes, dont un assez corpulent, se rencontrent dans ce club réservé aux Noirs. Ils sont tous très élégants… Ce qui se dégage de ce spectacle, c’est sa bonne humeur et sa joie de vivre, à l’image des musiques de Fats Waller, mâtinées de swing et de ragtime. Les chansons s’enchaînent les unes après les autres, en solo, en duo, en trio… Quand un ou une chante, les quatre autres font les chœurs. Les chorégraphies semblent totalement improvisées en fonction du rythme. Tap dance, shimmy, chicken scratch, charleston, lindy hop, black bottom, on revisite toutes les danses des années 20. Chacun des artistes avec son registre et sa tessiture propres fait pratiquement ce qu’il veut avec sa voix. Et toujours avec énormément d’humour et de fantaisie. Leur complicité est communicative. Au passage, on reconnaît ça et là de véritables standards qui sont aujourd'hui gravés dans la mémoire collective.
A la moitié de la première partie, un rideau s’efface et un orchestre de cinq musiciens (batterie, contrebasse, trompette, trombone, saxo) vient rejoindre le pianiste qui est là depuis le début… On assiste alors à une sorte de casting, une succession d’auditions comme la télé réalité nous a désormais habitués. Ces messieurs-dames prennent des poses, adoptent une gestuelle burlesque, esquissent des claquettes… Bref, chaque numéro, parfaitement huilé, s’inscrit dans un tableau racontant une histoire façon mini-comédie musicale.
La deuxième partie ne fait que monter en puissance et en drôlerie pour finir dans une apothéose endiablée absolument irrésistible.

lundi 17 octobre 2011

Yves Jamait "Saison 4"


Saison 4

Très sincèrement, il y a belle lurette qu’un album de chanson française ne m’avait pas autant enthousiasmé, et dans son entièreté. Saison 4, le quatrième opus d’Yves Jamait est un véritable enchantement. Treize titres, treize tranches de vie relatées avec une écriture riche et flamboyante. Ce garçon est un authentique poète, un peintre de la chanson. Sa plume est comme un pinceau. Elle dessine des tableaux figuratifs avec, parfois, une touche d’impressionnisme.
Saison 4 est un album plein de nostalgie, de réalisme, mais aussi d’humour et d’ironie, avec une bonne dose de recul et d’autodérision. De sa voix d’écorché vif, aux cordes érodées par les alcools forts, Jamait chante la vie, la vie dans tous ses états. Après s’être longtemps fixé à hauteur du foie, il semble enfin avoir levé les yeux du côté de son cœur. Trop de pudeur sans doute. Mais aujourd’hui (le 28 octobre précisément), Yves Jamait atteint la cinquantaine. On ne va lui balancer le couplet de « la maturité », Jamait est à jamais un grand enfant, une sorte de poulbot bourguignon qui ne grandira plus. Dans sa tête, il joue toujours au petit train, il regarde les oiseaux voler et les filles qui passent en écoutant la radio qui chante.
Treize titres, treize petits cailloux joliment travaillés et polis semés sur le chemin. Chacun d’eux a hérité de son écrin personnel avec des arrangements spécifiques, originaux et particulièrement efficaces.

Je vais vous laisser les découvrir et bien en profiter. Mais, auparavant, comme les « Marionnettes » de Christophe, je vais vous les présenter succinctement :
1/ Pauv’ Pom’
Chanson lucide et réaliste dans laquelle Jamait s’auto-flagelle avec entrain et s’amuse avec les clichés sur le temps qui passe, genre « C’était bien mieux avant ». Un titre qui swingue avec une belle véhémence. Chanson assez pessimiste où il ne fait pas de quartier à la pauv’ pom’ qu’il est : la vie est pleine de pépins, et tout finit en compote…
2/ La radio qui chante
Et la fille qui chante avec lui, c’est Zaz. Zaz, c’est sa petite soeur. Ils se sont piqués avec la même aiguille de phonographe trempée dans le jazz manouche. Quel duo, quelle énergie ! Et puis il y a une sacrément belle partie de guitare.
3/ Gare au train
Jeu de mot ferroviaire… Cette chanson très rythmée est emplie d’une poésie bucolico-nostalgique. C’est un album d’images consacré aux souvenirs d’enfance.
4/ Je t’oublie
Complainte elle aussi remarquablement imagée à l’écriture particulièrement ciselée.
5/ C’est beau les filles
Profession de foi avec, néanmoins, une vraie fixette sur la bouche et son ambivalence car la bouche peut à la fois donner des baisers et proférer des mots qui font mal.
6/ La cinquantaine
Pour Jamait, c’est l’heure du bilan. Deux fois et demi 20 ans, c’est symbolique, ça compte dans une vie d’homme. Lui, le temps qui passe lui donne envie de tisser, mais de tisser de joie le fil du temps qui court… tapissée par les arpèges d’un accordéon, l’ambiance est feutrée et douce. En tout cas, il en ressort un sacré besoin d’amour…
7/ J’ me casse
Celle-ci m’a beaucoup amusé parce qu’on y sent une onde de mauvaise foi typiquement masculine. Sur un ton primesautier et une musique ska il aborde les problèmes de la vie de couple, l’incommunicabilité et l’indifférence de l’autre. Alors, il joue au bravache avec cette superbe phrase si pleine de candeur : « Si tu me laisses tomber, j’ me casse ! ».
8/ Même sans toi
Quand je parlais dans l’introduction de tableau figuratif, en voici un charmant. Il y a de superbes images, la nature, la mer, les oiseaux, y sont omniprésents. C’est également plein d’émotion et de tendresse… Il est tout de même paradoxal que ce garçon parle autant de la mer que la côte où il a vu le jour, c’est la Côte d’Or. Il a dû « dijoncter »…
9/ Regarde-moi
La fin d’un amour. Peut-être la conclusion de J’ me casse. Il reconnaît avoir longtemps, sinon toujours, vécu à contretemps. Il nous distille toutefois une information qui pèse de tout son poids : la différence d’âge. Cette confession n’est pas sans rappeler Il suffirait de presque rien de Serge Reggiani.
10/ Arrête !
Puisqu’on est dans les comparaisons, cette chanson fait irrésistiblement penser au Jeff de Brel. Conversations d’ivrognes dans une atmosphère tzigane où les violons lèvent magistralement le coude. Là on n’est pas dans la picole buissonnière d’Un singe en hiver, on est carrément dans le pathétique, quand l’alcool devient misérable et mauvais.
11/ La dernière au bar
Chanson qui dépote et qui parle de derniers pots avec l’énergie du désespoir. Cet adieu au bar, c’est La dernière séance d’Eddy Mitchell, à part qu’on y boit pas de la menthe à l’eau. C’est un bel hommage à tous les compagnons de beuverie sur le point de perdre leur port d’attache.
12/ Rien de vous
Alors celle-là, c’est aux Passantes de Tonton Georges qu’elle m’a fait penser. Une intro guillerette et on entre de plain-pied dans le fantasme. Ce genre de fantasme que tous les mecs vivent et ont vécu : ces filles qu’on croise, qu’on suit des yeux, que l’on invite quelques minutes à un séjour dans notre esprit. C’est plein de légèreté, c’est un rêve pur et innocent qui ne fait de mal à personne.
13/ Trier des cailloux
J’enfonce le clou des comparaisons. Renaud a écrit Le Marchand de cailloux… C’est la chanson d’un papa aussi aimant que fuyant qui va essayer de tenir ses promesses auprès de sa fille. Pour Renaud, c’était Lola, pour Yves Jamait, c’est Faustine. La rivière n’a pas fini de couler et de charrier ses cailloux…

Au fait, je ne sais si je vous l’ai assez dit : je les ai aimées TOUTES, sans exception et sans réserve, les treize chansons de la Saison 4 d’Yves Jamait. Je lui tire ma casquette. Chapeau l’artiste !

dimanche 16 octobre 2011

De filles en aiguilles


Théâtre de la Michodière
4bis, rue de la Michodière
75002 Paris
Tel : 01 47 42 95 22
Métro : Quatre-Septembre

Une pièce de Robin Hawdon
Adaptée par Stewart Vaughan et Jean-Christophe Barc
Mise en scène par Jacques Decombe
Décor de Nils Zachariasen
Avec Alexandre Brasseur (Big Mac), Delphine Depardieu (Elodie), Sébastien Almar (Cédric/Eric), Martial Courcier (Dozer), Inès Guiollot (Tania), Pascal Provost (Frédéric), René Remblier (Mick le Marteau)

L’histoire : L’argent n’a pas d’odeur et l’amour est aveugle dans cette nouvelle comédie qui nous entraîne dans les dessous, pas si chics, d’un Paris secret où l’on n’est sûr de rien ni de personne…
Quatre jeunes gens vont user de subterfuges, de trahisons et de fausses identités pour échapper à l’engrenage qu’ils ont déclenché. Une course contre la montre dans laquelle les situations les plus inattendues s’enchaînent de fil en aiguille.

Mon avis : Je n’ai pas réussi à dénicher le titre original de cette pièce écrite par Robin Hawdon. A mon avis il ne doit pas ressembler peu ou prou à celui dont on l’a affublé en français. Il est sympa ce titre, le jeu de mot est bien, mais il n’a quasiment aucun rapport avec l’intrigue de la pièce qui va se dérouler sous nos yeux. Ce n’est pas bien grave, en fait, et on n’y penserait même pas si cette comédie s’était avérée réjouissante.
Je suis plutôt bon public et je sais quel investissement et quel travail cela représente de monter une pièce. Le B.A. BA c’est tout de même d’avoir une bonne histoire. Ici, et ce n’est certainement pas la faute aux adaptateurs qui ont fait avec les moyens du bord. N’est pas Ray Cooney qui veut. Malgré toute ma bonne volonté, je n’ai jamais pu rentrer dans cette histoire poussive et fumeuse. Les comédiens se démènent, font ce qu’ils peuvent, mais quand il n’y a pas la matière ça tombe à plat. Les dialogues sont aussi simplistes que les ficelles sont grosses. C’est bourré de clichés, truffé par de gags et de jeux de mots éculés. On ne nous épargne rien, jusques à, y compris, une chorégraphie improbable. Même le rebondissement final nous donne une douloureuse sensation de déjà-vu. Bref, c’est beaucoup trop parodique pour s’intéresser aux personnages.

Pourtant il y avait de quoi faire une pièce marrante avec tous les éléments mis en place. Il y a tous les ingrédients pour faire une bonne mayonnaise, mais elle ne prend pas. Les filles sont certes piquantes, mais les fameuses aiguilles, elles, sont sacrément émoussées.
Les comédiens, comme je l’ai dit précédemment, s’en sortent tant bien que mal. Pascal Provost est celui qui s’en tire le mieux, faisant preuve d’une jolie présence comique. Même si ce qu’il est amené à jouer tient parfois plus de la farce que du vaudeville... Quant à Alexandre Brasseur, il semble être gêné aux entournures dans son costume de mac. Il est en permanence dans la caricature. On dirait un truand d’opérette. On a l’impression qu’il n’a jamais trouvé le ton juste et la posture idoine. Il est en décalage ; ça donne l'effet d'un musicien qui joue une partition différente de celle des autres instrumentistes d’un orchestre.
Je ne vais quand même pas faire mon grincheux. Il y a dans la salle des gens qui rient, sporadiquement, mais qui rient.
Le théâtre de la Michodière, qui s’est fait une spécialité des comédies folles, déjantées, rythmées, nous a habitués à mieux.

jeudi 13 octobre 2011

Mon meilleur copain


Théâtre des Nouveautés
24, boulevard Poissonnière
75009 Paris
Tel : 01 47 70 52 77
Métro : Grands Boulevards

Une comédie d’Eric Assous
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décor de Charlie Mangel
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Dany Brillant (Bernard), Roland Marchisio (Philippe), Murielle Huet des Aunay (Nelly), Juliette Meyniac (Alice), Aude Thirion (Soraya)

L’histoire : Bernard et Philippe sont les meilleurs amis du monde. Bernard est marié, mais il est infidèle. Sa femme risquant de découvrir ses écarts, Bernard demande à Philippe de la couvrir. C’est le début d’un engrenage infernal pour le pauvre Philippe, car Bernard a l’amitié abusive…

Mon avis : Voici une très agréable comédie, construite sur le mode du vaudeville, et qui fonctionne remarquablement bien. L’intrigue est aussi éculée que convenue, mais par la magie des situations et le talent des comédiens, elle nous permet de passer une soirée de franche rigolade dans le théâtre des Nouveautés (théâtre qui, au passage, commence à proposer des pièces comiques d’un excellent niveau comme, par exemple, Le Gai mariage). Le coup est classique : Bernard, coureur impénitent, a une liaison avec Soraya, une jeune collègue, employée dans la boîte de son beau-père. Flambeur dans l’âme, il gagne très bien sa vie et il n’hésite pas à la faire savoir. Il ne se rend même pas compte combien il peut être blessant vis-à-vis de son « meilleur copain », Philippe, un brave garçon débonnaire et arrangeant. Bonne pâte, Philippe a invité inopinément Bernard et son épouse Nelly et il n’a prévenu sa femme, Alice, qu’au dernier moment. Rien n’est prêt pour les hôtes, il va falloir improviser.
Bernard – plus macho que lui tu meurs – a laissé à Nelly le soin de garer le 4x4, ce qui lui permet d’avoir une conversation seul à seul avec son pote. S’en suivent des confidences croisées entre mecs à propos de leur comportement au lit (c’est, à mon goût, le seul moment sans grand intérêt de la pièce parce qu’il n’apporte pas grand-chose et qu’il est un peu redondant)… Heureusement, avec, d’une part, l’arrivée de Nelly et, d’autre part, celle d’un message de « détresse » de Soraya, la pièce va prendre son vrai rythme et une vitesse de croisière digne d’un hors-bord.

Encore une fois on est en présence de l’alchimie propre aux binômes. Philippe d’un côté, Bernard de l’autre. Et les trois femmes qui vont s’agiter au milieu et réagir en fonction des événements que leur impose l’imagination débordante de Bernard et la façon de s’y adapter avec plus ou moins de facilité de Philippe.
Comme d’habitude, Roland Marchisio excelle dans ce type de personnage foncièrement bon et dénué de vice qui se retrouve pris dans un engrenage infernal qui met son propre couple en péril. Accablé, pris en otage par la machination perverse de son ami, il subit avec une résignation pathétique cet orage qui lui tombe sur la tête. Avec sa tête de chien battu, il nous fait de la peine. Mais heureusement, un chien, lorsqu’il est acculé, ça peut mordre aussi. Il suffit de trouver l’ouverture. Car Philippe, jouet impuissant de la perfidie de Bernard, n’est jamais dupe de rien. Son opposition, tant physique que morale, avec Dany Brillant est un superbe ressort de comédie. Si Philippe ne semblait pas aussi débonnaire, Bernard ne pourrait pas abuser de lui et repousser très, très loin les limites de ce que l’amitié peur accorder.

Dany Brillant… C’est sa première expérience théâtrale et il nous campe Bernard avec une aisance de vieux briscard. Sur l’échelle de Richter de la mauvaise foi, il serait côté 9. C’est un faux-cul majuscule, un type puant de suffisance et de prétention, un goujat de la pire espèce. Il ramène tout à lui. Et il se fout complètement des dégâts co-latéraux qu’il provoque chez les autres. Dans cet exercice haut en couleurs, Dany Brillant s’avère remarquable. Même quand il est dans l’outrance, il est crédible. Des zigotos comme Bernard, on en a rencontré. Ils sont irritants au possible et ils n’en ont même pas conscience. Autant Philippe est réservé, autant Bernard est agité, envahissant. Dany Brillant est LA révélation de cette pièce, sa bonne surprise. On ne s’attendait pas qu’il soit aussi facile. Il peut envisager une jolie carrière sur les planches…

Les trois femmes sont elles aussi totalement dissemblables. Murielle Huet des Aunay, dans le rôle de Nelly, est parfaite. C’est un animal à sang froid. Elle est autoritaire, dirigiste, cassante, impitoyable. On comprend pourquoi Bernard va tout faire pour échapper à ses représailles… Juliette Meyniac apporte à son personnage d’Alice sa fragilité. C’est une femme vulnérable. Et on n’aime pas la voir souffrir inutilement à cause de ce mufle inconscient… Et Aude Thrion, elle donne à Soraya une image de Lolita insouciante et pas compliquée.

Honnêtement, j’ai beaucoup aimé cette pièce. J’ai été véritablement bluffé par la prestation impeccable de Dany Brillant… Je ne sais pas comment fait Eric Assous pour nous sortir aussi régulièrement des comédies parfaitement huilées, pas bêtes du tout, avec des dialogues fort bien troussés, de purs divertissements d’où l’on sort systématiquement avec un grand sourire aux lèvres. Il est vraiment le champion toute catégorie des histoires de couples.

Les Conjoints


Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers

Une comédie d’Eric Assous
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décor de Charlie Mangel
Avec Jean-Luc Moreau (Bob), Anne Loiret (Delphine), José Paul (Xavier), Anne-Sophie Germanaz (Garance)

L’histoire : Dans un couple, la vérité est toujours mise à rude épreuve tandis que le mensonge ne demande qu’à s’installer. « Les Conjoints » nous rappelle que le bonheur n’est pas un état permanent mais un équilibre précaire. Fertile en rebondissements, l’intrigue, qui mêle le pouvoir ravageur de l’argent et le jeu subtil des sentiments, met en scène deux hommes et deux femmes ballotés entre leur éthique, leurs intérêts et leurs émotions. Tout le monde a quelque chose à revendiquer. Tout le monde a quelque chose à cacher. Tenté par la transgression, mais soucieux du qu’en dira-t-on, chacun se débat avec ses raisons. Bonnes ou mauvais, petites et grandes, morales et obscures…

Mon avis : Une comédie ? Hum ! Pas vraiment, même si on rit beaucoup. Ou alors, il faut l’entendre dans le sens « comédie humaine » dans l’acception balzacienne du terme…
Eric Assous excelle vraiment dans les pièces où il met en scène des problèmes de couples. Il est extrêmement fin dans son étude psychologique et comportementale des mâles et des femelles. Dans chacune de ses pièces on y retrouve les mêmes profils de mecs un peu lâches, beaucoup menteurs, pas vraiment glorieux. Quant aux femmes, même si elles nous paraissent plus droites, plus franches, plus entières, elles ont (heureusement) elles aussi leur part d’ombre. Ici, c’est surtout la vénalité… Car l’argent tient une place prépondérante dans l’intrigue. Il a la capacité de faire infléchir les sentiments a priori les plus sincères.

Dès l’entrée en matière, on voit que Delphine et Xavier ne sont pas sur la même longueur d’onde dans la gestion de leur ami Bob qui vient de quitter son épouse pour une jeunette. Xavier veut se montrer cool et conciliant quand Delphine, par solidarité féminine avec sa copine abandonnée, elle se montre très réticente, voire hostile, à son égard. Elle commence même à pousser ce pauvre Xavier dans ses retranchements à propos de la nouvelle élue de Bob, une certaine Garance. Un questionnaire qui frise carrément l’inquisition. Une situation que l’on tous (je parle des hommes) peu ou prou vécue… Commencent alors les petits chantages et les compromissions. Xavier est sur les sables mouvants et le doute s’insinue dans l’esprit aiguisé et méfiant de Delphine.

Il est vrai que Bob, dès qu’il entre en scène, se révèle particulièrement irritant. Néanmoins, il démolit le réquisitoire de Delphine en lui présentant une défense remarquable. Mine-de-rien, sous couvert de la comédie, des choses profondes sont énoncées. Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. Le problème avec ce bavard impénitent qu’est Bob, c’est qu’il est très gaffeur. A moins qu’il ne soit QUE calculateur. Le doute est permis. En tout cas, il fait preuve vis-à-vis de son ex et de ses amis d’une belle générosité. Mais sa désinvolture avec un argent tombé du ciel, le rend tout aussi détestable. Surtout aux yeux de cette incorruptible de Delphine. Autant elle est dure et réaliste, autant Xavier s’efforce de se montrer arrangeant avec son pote. Mais Delphine veut aller au clash…

Les trois premières scènes de cette pièce vont crescendo en intensité. On rit souvent certes, mais d’un rire grinçant. Car on rit de choses souvent sérieuses, et parfois graves. Les Conjoints ne donnent pas vraiment dans la franche rigolade. Les dialogues sont remarquablement écrits, ils touchent et frappent juste.
La pièce est construite en huit tableaux. Les trois premiers, le cinquième et le septième concernent le présent. Les quatrième et sixième sont deux flash-back, ce qui est diaboliquement habile et nous aide à encore mieux comprendre les différentes attitudes des quatre protagonistes. Quant au huitième et dernier tableau, qui sert de conclusion (provisoire, certainement), il s’inscrit dans un futur proche.
Pas question de narrer par le menu ce passionnant chassé-croisé auquel se livrent nos héros. Chacun vit et gère sa vie en fonction de sa mentalité. Maintenant, de là à dire que chacun va pouvoir se regarder sereinement devant sa glace, il y a un sacré fossé à franchir.

Jean-Luc Moreau apporte au personnage de Bob toute sa superbe. Il est hâbleur, narcissique, sûr de lui, séducteur pathologique, il n’a pas son pareil pour plaider sa cause et trouver des arguments qui lui paraissent irréfutables. Il est affligé d’une kyrielle de défauts qu’il assume sans vergogne. Il en arrive même parfois à forcer la sympathie.
José Paul donne à Xavier une dimension masculine archétypale. Il est un peu le mec-étalon. Pas dans le sens équin du terme, mais dans sa normalité car il synthétise un peu toutes les faiblesses les plus répandues chez les garçons : la propension à la fuite, la pusillanimité, l’égocentrisme, etc, etc… José Paul joue tout en nuances. Il ne force jamais le trait. C’est peut-être pour ça que l’on se reconnaît si aisément en lui…
Anne Loiret, dans le rôle de Delphine est finalement bien plus complexe qu’il n’y paraît. Fondamentalement, c’est une femme droite, franche et vertueuse. Et donc chiante, surtout pour ce pauvre Xavier lorsqu’elle le prend dans sa toile d’araignée savamment tissée. Limite psychorigide, elle est tout ce que l’on redoute. Et puis, par petites touches, apparaissent quelques fissures dans la fille sûre. Elle a l’air solide comme ça, indomptable, et pourtant…
Anne-Sophie Germanaz, alias Garance, est beaucoup moins ambiguë. Elle représente un autre type de femme, plus jeune, plus futile, plus vénale… Plus paumée aussi. C’est très subtil comme jeu car il repose essentiellement sur l’instinct et le réflexe. Elle n’est pas encore construite, elle n’a pas encore de vécu. Alors, elle improvise au gré de ses humeurs… ou de ses intérêts.

Les Conjoints, pièce qui devrait plutôt s’appeler « Les Disjoints », est donc une comédie douce-amère. Elle joue beaucoup avec les sentiments et les transgressions. Elle est très, très humaine en ce sens où la noblesse y côtoie la bassesse chez la même personne. Elle est tout, sauf manichéenne. On ressent donc tout plein d’indulgence à l’égard de ces quatre personnages qui ont tous un peu de nous en eux à différents moments. C’est une pièce plus sérieuse dans le fond qu’il n’y paraît même si, dans sa forme, c’est une vraie et bonne comédie.

vendredi 7 octobre 2011

Pierre Desproges : "Chroniques d'une haine ordinaire"


La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Texte de Pierre Desproges
Mise en scène de Michel Didym
Scénographie de Laurent Peduzzi
Avec Christine Murillo et Dominique Valadié

Le mot de Michel Didym : C’est à la librairie du Théâtre Ouvert, en feuilletant les éditions Acte Sud Papiers, que j’ai vraiment découvert Pierre Desproges. Je ne l’avais jamais vu à la télévision. J’ai alors aimé furieusement, au-delà de l’homme, de l’acteur, du bouffon tragique : l’auteur. L’interprète fulgurant totalement atypique qu’était Pierre Desproges a fait oublier qu’il était aussi un grand dramaturge. Comme si l’acteur et son génie faisaient écran à l’auteur.
C’est de cette passion pour son écriture qu’est né le spectacle Les animaux ne savent pas qu’ils vont mourir, au Théâtre des Abbesses. La lecture des Inédits laissait apparaître un autre versant de l’auteur, plus ambivalent et sombre, plus complexe et lyrique, qu’on a parfois bêtement taxé de misogynie. C’est cette face méconnue de son écriture qui m’a donné envie de créer ce deuxième spectacle où je fais appel à deux grandes actrices, Christine Murillo et Dominique Valadié, pour modifier l’écoute de cet auteur et ainsi révéler au public l’irrévérence et la violence comique de cette langue exempte de vulgarité.

Mon avis : Que dire sur Pierre Desproges qui n’ait jamais été dit ? Impossible. Il n’y a qu’une chose à faire : déplorer tous les jours qu’il soit parti si tôt et regretter qu’il ne soit plus là pour nous déciller les yeux et nous vivifier les synapses. Heureusement ; il a laissé une œuvre. Et quelle œuvre ! Une œuvre qui le rend immortel. D’autant plus qu’on nous le ressuscite « en petits morceaux » par spectacle interposé. Comme c’est le cas avec Chroniques d’une haine ordinaire, mis en scène par Michel Didym et joué actuellement à la Pépinière Théâtre…

On ne va pas analyser le texte. Ce serait incongru et déplacé. En revanche, on peut longuement s’attarder sur la performance des deux comédiennes qui nous restituent ses mots : Christine Murillo et Dominique Valadié. Deux femmes qui tombent… on ne peut plus juste. Dominique Valadié particulièrement puisqu’elle fut sa partenaire dans l’inoubliable Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède de 1982 à 1984. C’est dire si elle connaissait l’oiseau.

Ces dames se lancent soit dans des conversations à bâtons rompus, soit dans de brillants soliloques autour de différents thèmes de portée hautement philosophique comme le bonheur, l’amour, l’hétérosexualité, l’homosexualité, Robinson Crusoé, le trac, l’inculture des jeunes, le grave problème du choix… Ça passe sans transition de la réflexion la plus savante voire carrément métaphysique au jeu de mot le plus volontairement affligeant, de la formule la plus étincelante à l’absurde le plus déjanté, sans oublier de nombreuses fulgurances teintées de l’humour le plus noir. On se délecte littéralement. C’est simple, on n’entend pas toujours certaines citations dans leur intégralité car elles sont fréquemment couvertes par les rires qui fusent d’un peu partout dans la salle. Il faut dire qu’on n’était plus habitués à entendre des choses à la fois aussi drôles et profondes. Et puis quel richesse de vocabulaire. C’est un véritable délice.

Desproges, ça s’écoute, ça se sirote, ça se déguste. Difficile de trouver meilleur commentaire pour le définir que ce commentaire de Michel Didym : « Ce qui est beau, c’est qu’il y a tellement d’irrévérence chez Desproges, que tu sens un amour fou de l’humanité ! Il ose taper dur. Il a une liberté de propos et de ton qu’on a du mal à retrouver aujourd’hui. C’est radical, mais il y a une magnifique langue. On s’en rend compte en travaillant. Et il nous fait beaucoup rire ce qui n’est quand même pas rien »…
Et si on laissait les mots de la fin à ses formidables interprètes au jeu subtil et varié, habiles à passer de l’arythmie engendreuse d’effets au récitatif avec ton neutre et détaché. Dominique Valadié est consciente de l’exercice périlleux que cela représente : « C’est très difficile à apprendre… Les phrases sont alambiquées et puis c’est un vocabulaire dont on n’a pas l’habitude. Il y a du faux lyrisme, c’est compliqué à dire… La langue est intéressante parce qu’il est fuyant, one ne peut pas le toucher, on le ressent dans la langue… Ce sont des textes qui sont offensifs, ils sont faits pour faire réagir, par le rire. Mais c’est un type très difficile à accrocher… Il est très secret, je trouve ». Cette complexité desprogienne, on la retrouve évidemment dans les propos de Christine Murillo : « Au lieu de phrases normales, les phrases sont très longues avec beaucoup d’adverbes et quelque chose qui paraissait très quotidien devient très… Enfin, vous verrez bien ! »…
Vous avez compris ? Courez à la Pépinière Opéra, vous y vivrez un moment de grâce unique et total.

mercredi 5 octobre 2011

Le Quatuor "Danseurs de cordes"


Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare

Un spectacle conçu par Jean-Claude Camors et Alain Sachs
En collaboration avec Pierre Ganem, Laurent Vercambre et Jean-Yves Lacombe
Mis en scène par Alain Sachs
Direction musicale de Cécile Girard
Avec Jean-Claude Camors (violon), Laurent Vercambre (violon), Pierre Ganem (alto), Jean-Yves Lacombe (violoncelle)

Le mot de Dominique Dumond (producteur) : En novembre 2010, le Quatuor et Alain Sachs nous ont dévoilé leur nouvelle création. Ce rendez-vous pris avec le public pour la cinquième fois depuis 1993 reste un véritable événement. A chaque fois ces nouveaux spectacles nous ont comblé de bonheur et de surprise en repoussant les limites de l’inventivité et de l’ingéniosité. Une fois encore, l’aventure continue dans cette droite ligne en mêlant maturité artistique et éternelle jeunesse.
Dans ce nouvel opus, tout en restant fidèles à l’esthétique et à la diversité des émotions suscitées jusqu’à ce jour, et qui font à la fois leur rareté et leur marque de fabrique, les artistes n’ont de cesse de poursuivre toujours plus loin leur imaginaire et l’exploration de nouvelles formes. De surprenantes trouvailles émaillent cette nouvelle célébration des noces de la musique et de l’humour.

Mon avis : Les Quatre fantastiques sont de retour ! Nos Fab Four, toujours aussi forts, nous proposent un « spectacle 100% nouveau », ce qui n’est pas une mince affaire quand on connaît l’étendue de leurs connaissances musicales et leur éclectisme. Danseurs de cordes est dans la droite ligne de leurs quatre spectacles précédents. C’est-à-dire un foisonnant mélange de performances musicales entourées d’un lot de fantaisie et d’une kyrielle de gags.
Leur décor est on ne peu plus minimaliste : quatre chaises et un portique sur lequel sont accrochées quatre redingotes. Et pis, c’est tout. Ainsi ne risque-t-on pas d’avoir l’esprit distrait par autre chose que leurs numéros.

Après une entame a cappella, ils commencent à saupoudrer leurs exécutions de situations farfelues. Il y en a un qui se fait de suite remarquer avec son jeu complètement cintré. Le même se permettra d’ailleurs quelques minutes plus tard à scier devant tout le monde… Et puis ils nous embarquent pour une sorte de tour du monde qui prend son envol au 18è siècle en Italie à travers une savoureuse saynète familiale mettant en scène Farinelli et sa famille. Après un crochet par le Vatican, nous franchissons un siècle avec un hommage à un de leurs maîtres, Paganini, et à son mouvement perpétuel… Une fois qu’ils ont prouvé qu’ils étaient d’authentiques archet-types, ils nous offrent une brillante démonstration de chant canon, un exercice dans lequel ils excellent. Comme de nombreux Italiens de cette époque, ils franchissent alors l’océan, et nous voici aux States à grand renfort de square dance et de country music avec feu de camp et clin d’œil à Johnny Cash. Empruntant ensuite le chemin des gammes, ils réintègrent l’Europe via la Russie avant de gagner l’Armorique et de nous enchanter avec un chapitre celtico-bigouden avec, s’il vous plaît, bombarde et cornemuse… Ce périple se termine par l’Allemagne avec un Beethoven affligé de surdité, et l’Autriche. Bonne idée que de terminer ce voyage en nous offrant des viennoiseries…

Personnellement, j’ai trouvé que ce nouveau spectacle était plus musical encore que les précédents. Parfois, c’est tellement joli et mélodieux que l’on en serait presque frustré lorsqu’ils s’arrêtent pour passer à autre chose.
Autre chose ? C’est la parenthèse pop-rock (John Lennon, Ian Dury, Les Eagles, Police…) à laquelle succède une plage consacrée à la chanson populaire et à la chanson de charme. Quand ils décident de crooner, ça croone grave. Les spectatrices en sont toutes tourneboulées… Puis, c’est plus fort qu’eux, ils ne peuvent s’empêcher de sacrifier au burlesque avec un numéro que l’on pourrait baptiser « quand le micro s’affale ». Et ils terminent avec un sketch absolument désopilant que l’on pourrait nommer « Le lutrin de 22 heures 15 »…

Comme d’habitude le Quatuor nous entraîne dans son univers musical plein de poésie et de drôlerie. On imagine les heures de travail que ça représente pour en arriver à une telle qualité (Alain Sachs parle de deux années). Ce spectacle est construit de façon progressive. Ça commence piano pour aller crescendo et finir fortissimo. C’est qu’ils ne sont plus tout jeunes ces grands gamins (ils fêtent leurs 30 ans de carrière). Ils démarrent un peu comme des diesels mais une fois qu’ils sont chauds, plus rien ne les arrête. En revanche, ils ont gagné en expérience et en virtuosité. Un spectacle du Quatuor, c’est un régal pour les oreilles et pour les yeux.

lundi 3 octobre 2011

Hollywood


Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une comédie de Ron Hutchinson
Adaptée par Martine Dolléans
Mise en scène par Daniel Colas
Décor de Jean Haas
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Avec Daniel Russo (David 0. Selznick), Thierry Frémont (Ben Hecht), Samuel Le Bihan (Victor Fleming), Françoise Pinkwasser (Miss Poppenghul)

L’histoire : Cette histoire est tirée d’un fait réel… Hollywood, 1939. Le tournage du plus grand film d’amour de tous les temps, Autant en emporte le vent. Le studio est en crise, le tournage du film est stoppé : en effet, le scénario, beaucoup trop long, doit être réécrit en urgence.
Le producteur David 0. Selznick engage un scénariste célèbre, Ben Hecht, et un nouveau réalisateur, Victor Fleming. L’enjeu est de taille : ramener une interminable saga à un format normal pour un film de cinéma. Le temps est compté. Mais Ben Hecht n’a pas lu le livre… Une seule solution, lui jouer toutes les scènes du film en accéléré.
A trois, enfermés dans un bureau pendant cinq jours, sans prendre aucun repos, ils vont réaliser une forme de miracle : accoucher ensemble du plus grand film d’’amour de tous les temps !

Mon avis : Voici un spectacle qui mérite l’adjectif « hollywoodien ». Hollywoodien dans le sens de la démesure, des moyens mis en œuvre, de la bande son, des costumes et, surtout, des têtes d’affiche.
Je suis passé par toute une succession de sensations. Après coup, j’ai eu l’impression de m’être laissé embarquer dans une sorte de grand scenic railway. Confortablement installé dans mon wagonnet immatriculé « OR 34 », je me suis laissé embarquer pour un voyage qui allait se révéler incroyablement trépidant et agité. Les premières minutes du parcours sont bien sages. On nous expose la situation. Le célèbre producteur David O. Selznick (Les quatre filles du docteur March, King Kong, Anna Karénine, Une Etoile est née, Rebecca, Le Troisième homme, Duel au soleil, L’Adieu aux armes…) est pris à la gorge. Il vient de virer tous les gens qui travaillaient sur l’adaptation cinématographique du best seller de Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent. En toute urgence, il convoque un nouveau scénariste, Ben Hecht (Scarface, La Chevauchée fantastique, Les Hauts de Hurlevent, Gilda, Les Enchaînés, La Corde, L’Inconnu du Nord-Express, Trapèze, l’Adieu aux armes…) et pour remplacer George Cukor, le scénariste Victor Fleming (Lord Jim, La belle de Saïgon, L’Ile au trésor, Capitaines courageux, Le Magicien d’Oz, Docteur Jekyll et mister Hyde…)… Un sacré trio.
Le problème, c’est que Ben Hecht n’a lu que la première ligne du roman et Victor Fleming n’en a qu’une très vague idée. Totalement habité par son projet Selznyck va, non seulement réussir à les intéresser à son aventure, mais aussi, pour qu’ils sachent de quoi ils vont parler, leur jouer les scènes du film…

On va avoir affaire à trois egos disproportionnés, à trois caractères totalement dissemblables. David O. Selznick est d’évidence un brave homme. Daniel Russo a mis en lui toute sa bonhommie. Son enthousiasme se fait communicatif : « On va écrire contre la montre ». On ne peut que le trouver sympathique et attachant… Ben Hecht (Thierry Frémont), c’est autre chose. Sûr de lui et de son talent, il est là pour le fric. Mais de là à écrire un film en cinq jours, il y a un fossé que même un pont de dollars ne peuvent l’aider à franchir. Il est sarcastique et moqueur. Pourtant, une fois qu’il aura accepté le marché, il va se révéler être un sacré bosseur et, surtout, un homme engagé, doté de vraies valeurs ; il aimerait entre autres réussir à faire passer dans le scénario un message antiracisme… Quant à Victor Fleming (Samuel Le Bihan), c’est un drôle de zigoto. Cet ancien chauffeur devenu scénariste, est resté assez primaire. Grossier et misogyne, il n’est très loin du beauf…
Tout de suite, une véritable animosité naît entre Hecht et Fleming. Comme deux sales gosses, ils se lancent dans un duel de vacheries, de coups bas. Ils se balancent quelques vérités au visage.

Passée cette exposition, mon wagonnet a commencé à tressauter et à prendre de la vitesse. Mais, séduit et amusé par des dialogues vifs et savoureux, je n’y prêtais pas vraiment garde. Tout autour de moi, les rires fusaient, spontanés et joyeux… Sous la pression de Ben Hecht qui a besoin de biscuits pour son scénario, Selznick et Fleming se mettent à camper les personnages principaux… Tout doucement la machine s’emballe et glisse subrepticement dans le burlesque. Mon wagonnet est de plus en plus secoué. Comme eux, d’ailleurs.
L’horloge tourne. Les jours passent. La fatigue commence à se faire sentir. Les nerfs prennent le dessus. On est pris par le rythme et la vivacité des échanges. Un rythme tellement échevelé qu’on est essoufflé pour eux. On baigne en pleine folie. Mon wagonnet arrive dans une zone de grande turbulence. J’aborde une série incontrôlable de grands huit. Je lâche prise. Je me laisse emporter. Tant pis pour mon esprit cartésien, il a profité de ce que j’avais la tête en bas pour jouer les filles de l’air. J’arrive à toute vitesse dans une espèce de no man’s land où le loufoque est roi. Je suis emporté par la bourrasque. C’est un Atlanta à la pudeur, la déraison du plus fort. La démence ambiante passe comme une Scarlett à la poste… On est dans un grand n’importe quoi, on surfe sur d’irrésistibles vagues de rires.

Hollywood est un incroyable moment de comédie servi par un trio de comédiens absolument inénarrables. Russo nous livre un grand numéro. Capitaine courageux, on ne sait pas comment il réussit à garder le cap. Il a une sorte de foi du charbonnier chevillée au corps et à l’âme… Frémont, une fois de plus, tutoie le génie. Ce garçon sait tout jouer. Même dans les situations les plus ahurissantes, il reste crédible… J’émets un peu plus de réserves pour Le Bihan. Pas pour le comédien, surtout pas, mais pour le personnage qu’on lui fait jouer car on lui en fait faire un peu trop dans le registre du cartoon. Ça, c’était quand j’avais encore mon esprit cartésien… En revanche, j’ai eu beaucoup de mal avec le personnage de la secrétaire. Drôles au début ses « Oui, monsieur Selznick », sont si souvent répétés et systématiques qu’ils en finissent par devenir pénibles. On pourrait les réduire de moitié. Ainsi garderaient-ils leur effet. Et j’ai trouvé aussi un peu tirée à l’extrême la scène des baffes. Pas facile de bien doser le comique de répétition…
Enfin, il faut saluer la beauté des décors, l’élégance des costumes (à part la robe orange de miss Poppenghul affreusement halloweenesque), et la qualité des musiques qui rythment les changements de scènes. En résumé, si vous voulez passer un véritable moment de pur divertissement et une rencontre avec des comédiens formidables, offrez-vous un petit tour dans un des wagonnets du théâtre Antoine et laissez-vous emporter par le vent… de folie.

Guy Carlier "Ici et maintenant"


Studio des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Textes de Guy Carlier et François Rollin
Mise en scène de François Rollin

Le propos de François Rollin : « Si on me demande de définir Guy Carlier en un mot… je commence par me débattre en arguant que ce genre d’exercice est toujours réducteur… et puis, si on insiste, je lâche le mot « charismatique ». Le charisme, nous dit le dictionnaire, c’est la « qualité d’une personne qui séduit, influence, voire fascine les autres par ses discours ». Exactement ce que fait Guy sur les planches, comme il le faisait à la radio ou à la télévision…

Mon avis : Si j’étais flémmard, je me contenterais d’acquiescer au propos de François Rollin car sa parole professorale fait autorité. En matière de one-man show, il sait de quoi il parle… En même temps, je me dis que le mot « charismatique », pour adéquat et justifié qu’il soit, s’avère quelque peu réducteur lorsqu’on assiste au soliloque de Guy Carlier.
Personnellement, j’y ajouterais « tendre », « nostalgique » et « enfantin ». Attention, pas dans le sens de puéril, mais dans le sens noble du terme car Guy a toujours gardé intactes ses facultés d’admiration et d’émerveillement. L’homme que l’on voit sur scène n’est que le fidèle prolongement du gamin d’Argenteuil. Comme un petit garçon, il rêve, il exagère, il se moque, il est cruel, il est fragile, il agace, il émeut…
Son one-man show, je l’aurais appelé « Ici, hier et maintenant »… En raison justement de cette grande part de douce nostalgie qui l’habite. Ne vous attendez surtout pas à vous retrouver au Studio Méchant Déguisé. Si vous êtes attiré uniquement par le côté acéré et vipérin de la langue de Guy Carlier, vous risquez d’être déçu.

Quand on connaît Guy Carlier, on sait qu’il est avant tout une montagne d’amour et de tendresse. Ce qu’on ne peut voir à la radio, c’est la gentillesse de son regard. Bien sûr, on est allé le chercher et on l’a payé pour qu’il profère sur les ondes son lot de vacheries, mais ce n’est qu’un jeu de sa part. Guy a la langue et la plume bien plus agiles que le corps. Comme le gosse cité plus haut, il adore dire des gros mots, balancer des vannes, se moquer de son prochain, se payer quelques têtes de Turc… Il est comme tout le monde, le talent d’écriture en plus. Et il se révèle être un sacré conteur.

Après un prologue sarcastique de François Rollin, Guy effectue son entrée, ou plutôt sa « cascade » pour venir sur le devant de la scène. Dès ses premiers propos, on devine quel va être le ton de son spectacle. Guy ne joue pas les faux modestes. Il l’est réellement. Même s’il est très fier des cadeaux que le destin lui a faits il s’en émerveille sans s’en rengorger… Il ne hausse pas le ton. Avec sa voix douce et modulée, il s’adresse à chacun de nous comme si nous étions son confident. Car c’est sa vie qu’il nous raconte le Guy. Son spectacle est totalement autobiographique. Après s’être débarrassé avec beaucoup d’autodérision des inévitables réflexions que suscite son physique, il se lance dans son stand-up. Et il se raconte : ses premiers émois amoureux, les boums, la colo, le bal… puis ses premières expériences radiophoniques, son séjour en clinique diététique, son passage à la télévision. Dans tout ce qu’il narre, il passe habilement d’une plage joliment poétique à une digression scato. Quand il parle cul, il parle cul. Mais, dans sa bouche, ce n’est jamais cru ou vulgaire. Il a le cul sain.
Pour la partie proprement vannes, il s’amuse à nous faire un peu languir. Il en distille ça et là quelques unes pour nous exciter l’appétit. Il ne commence ses attaques a nominem que lorsqu’il aborde le chapitre TF1 et, plus particulièrement, celui qu’il appelle « la bétaillère ». Via ses fiches actualisées, il évoque le cheptel politique, passe des veaux de la Une aux vaches sacrées, aux soi-disant intouchables, et rend hommage à quelques personnages qu’il admire tout particulièrement.

En fait, il est comme nous Guy Carlier. Il a ses têtes. Il caresse et il donne un coup de gueule…
De toute façon, il y a belle lurette que je suis devenu un « carlieriste ». Je suis convaincu que cet homme préfère de loin le rêve à la réalité. Ses rêves, il les a pratiquement tous accomplis. Sa réalité, elle ne lui convient pas parfaitement. Alors son cerveau se met en position de fœtus et il se retrouve en culotte courte en compagnie de ses idoles, les footballeurs, les rockeurs et les musiciens. Zidane, Johnny et Miles Davis. Avec eux il se sent bien.

Guy Carlier nous offre un grand moment de partage. Son spectacle est une sorte de sacrifice humain dans lequel il se donne tout entier avec une honnêteté sans faille. Après, à nous de faire ce que l’on en veut. Nietzsche a écrit : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Et Johnny l’a chanté par la grâce de la plume de Guy. Or, il peut sans vergogne le prendre à son propre compte cet adage car, aujourd’hui, après avoir cherché inconsciemment à se tuer lui-même, il est devenu vachement fort…

Le coup de la cigogne


Théâtre Saint-Georges
51, rue saint-Georges
75009 Paris
Tel : 01 48 78 63 47
Métro : Saint-Georges

Une comédie de Jean-Claude Islert
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décor de Charlie Mangel
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Jean-Marie Bigard (Jacques Germont), Elisa Servier (Maud Germont), Lamine Lezghad (Gaspard), Lola Marois (Clotilde Germont), Ariane Mourier (Christine)

L’histoire : Jacques Germont a 55 ans. D’un caractère volontiers râleur et souvent de mauvaise foi, il vient d’insulter son supérieur beaucoup plus jeune que lui et risque la préretraite. Lorsqu’il rentre chez lui, sa femme, Maud, lui révèle qu’elle est enceinte. Jacques s’effondre. Comment a-t-elle fait ? Il ne peut se résoudre à être père et va employer tous les arguments possibles pour tenter de faire comprendre à Maud que ce serait de la folie. Il ne se sent pas capable d’être un vieux papa retraité…

Mon avis : Voici tout-à-fait le genre de pièce de boulevard sauvée par le talent et l’abattage de ses acteurs. On ne peut pas dire que l’histoire est très originale et l’intrigue truffée de rebondissements. Mais, heureusement, les comédiens se montrent tellement généreux que l’on passe cette soirée sans réel déplaisir.
La fameuse cigogne avait dû égarer son GPS pour se présenter avec autant de retard dans le foyer des Germont. Dame, lui, il a 55 ans et elle, elle en a 48. Il était donc grand temps que le volatile assure sa livraison ! Pourtant, elle arrive à point nommé. Comme elle, le couple bat un peu de l’aile. La faute à un Germont qui fait le Jacques. En effet, il a tendance à délaisser son épouse au profit de Christine, une jeune collègue de bureau… En fait, Maud (madame Germont) est plutôt satisfaite de cette grossesse inopinée. Elle va peut-être lui permettre de ramener son Jacques dans le droit chemin… En plus leur fille, Clotilde, en mal d’enfant, est emballée par cette maternité prochaine. Elle va pouvoir pouponner par maman interposée.
Ce problème pourrait sans doute s’arranger si Jacques n’était pas en pleine période de stress. Avec son foutu caractère, il risque d’être mis en préretraite parce qu’il a insulté son jeune patron. Pourtant il est un excellent élément, et il a même créé un nouveau logiciel de jeu qui pourrait dynamiser sa boîte. Très énervé, il se demande comment il va annoncer sa mésaventure à Maud…
J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la première scène du couple où chacun a un secret à révéler à l’autre.

Dans le rôle de Jacques, Jean-Marie Bigard est parfait. Râleur invétéré, bougon, il s’avère aussi être un champion tout terrain de la mauvaise foi. Mais il est surtout un très mauvais menteur… Il est très bon quand il joue l’incrédulité. Avec ses intonations si personnelles, sa gestuelle si particulière acquise au cours des années de one-man show, Bigard est taillé pour le boulevard (il s’était déjà montré plus qu’excellent dans Clérambard, une pièce remarquable que le public hélas n’a pas eu le temps d’apprécier à sa juste valeur). Par moment, je me demande comment Elisa Servier fait pour se contenir face à ses pitreries.
Elisa Servier. Parlons-en. C’est une Rolls pour ce genre de comédie. Elle est sur son terrain de prédilection. Toujours pondérée, pragmatique, tolérante et compréhensive, elle est l’élément stable et solide sue lequel l’action rebondit.

Autour d’eux, il faut mettre en exergue la prestation de Lamine Lezghad. Cet humoriste, rompu lui aussi à l’exercice du one-man show, a tout pour réussir sur les planches. Il possède un charisme indéniable et fait preuve dans cette pièce d’une jolie présence en campant un petit arriviste gommeux qui se la pète un tantinet. Il s’en sort particulièrement bien dans un morceau de bravoure où un terme sur trois est en anglais. Voici un garçon à suivre… Côté filles, Lola Marois accomplit une prestation solide, pleine de fraîcheur et d’enthousiasme, et Ariane Mourier est très convaincante dans son intervention. Sa confrontation avec sa rivale est finalement empreinte de beaucoup d'humanité. des deux côtés, d'ailleurs...

Nonobstant une réserve très personnelle qui concerne le passage où Jean-Marie Bigard effectue un transfert et joue lui-même à la parturiente – ça fait vraiment trop farce – je pense que cette comédie sympathique va trouver son public sans trop de problème car on se laisse facilement emporter par la belle énergie déployée par ce quintette de comédiens absolument réjouissants.

samedi 1 octobre 2011

François-Xavier demaison s'évade


Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Spectacle écrit par François-Xavier Demaison, Samuel Le Bihan, Mickaël Quiroga, Eric Théobald
Mis en scène par Eric Théobald

Le pitch : Après Demaison s’envole, retrouvez François-Xavier Demaison dans son nouveau spectacle Demaison s’évade. Il se promène de personnage en personnages en posant un regard acerbe et insolent sur le monde d’aujourd’hui. Il nous embarque pour un voyage initiatique entre le passé et le présent. Entre les bulles de champagne et les bulles spéculatives, trouvera-t-il des bulles d’oxygène ? Mais, surtout, Bitou le castor échappera-t-il au fameux serial killer québécois Arthur Hache ?...

Mon avis : En quatre années, François-Xavier Demaison a beaucoup changé. On peut dire qu’il s’est construit. Il s’est d’abord construit une solide filmographie avec une quinzaine de longs métrages plutôt estimables dont une prestation tout-à-fait ahurissante dans le personnage de Coluche. Ensuite, il s’est construit un personnage. Après s’être « envolé » en 2007, il a pris de la hauteur, de l’assurance et donc de l’envergure. Son nouveau one-man show, Demaison s’évade, en est la résultante.

Bien dans sa tête et bien dans son corps, il nous propose un spectacle varié, rythmé, dynamique, qui repose sur une galerie de portraits… Et il attaque fort en campant la propriétaire française d’une maison d’hôtes dans une palmeraie marocaine. Avec un naturel teinté de snobisme, elle profère quelques abominations dont elle ne se rend même pas compte de ce qu’elles contiennent comme propos racistes, comme mépris vis-à-vis des autochtones. Et ce n’est pas son pauvre mari handicapé qui pourra la contredire. Ce sketch à l’humour grinçant lui permet en outre de se livrer à une suave chorégraphie berbère. Le ton est donné, François-Xavier a choisi pour armes le cynisme, la sournoiserie, la mauvaise foi et l’humour noir… Il enchaîne aussitôt avec un tout autre propos en abordant la vie de couple où il développe entre autres les méfaits du portable… Le troisième sketch, avec la crise pour thème central, démontre l’étendue de ses progrès. Il se révèle excellent mime… Très à l’aise avec son corps, il occupe la scène avec maestria, joue avec nous.
Les sketches se succèdent à toute allure. Avec une grande virtuosité et un visage très expressif, il aligne les personnages, passant d’un sexe à l’autre, d’une génération à l’autre (ah le papy qui parle djeun !), il maîtrise tous les accents, italien québécois. Son sens très aigu de l’observation l’entraîne à dénoncer différents comportements, le plus souvent nos turpitudes, nos travers ou nos tics. Il est très juste lorsqu’il se mue en maître d’hôtel compassé et onctueux dans un restaurant étoilé. C’est tellement vrai.

Demaison s’évade… C’est encore plus évident quand, après nous avoir servi un chapitre sur la prison, il s’écrie : « Je suis libre » ! Il nous met dans sa poche et nous emmène avec lui dans son échappée belle. Finalement, l’évasion vaut autant pour nous que pour lui… J’avais aimé moyen son tout premier spectacle. Je l’avais jugé trop inégal. Ici, il atteint un très bon niveau avec une réelle constance. Et puis, il est tellement sympathique et généreux.