samedi 28 avril 2012

Christophe Alévêque est Super Rebelle... et candidat libre



Théâtre du Rond-Point 
2bis, avenue Franklin-Roosevelt 
75008 Paris Tel : 01 44 95 98 21 
Métro : Franklin-Roosevelt / Champs-Elysées Clémenceau 

Ecrit par Christophe Alévêque 

Mis en scène par Philippe Sohier Lumière de Fred l’Indien 

Avec Julien Bonnard (clavier), Francky Mermillod (guitare), Maxime Perrin (accordéon et cor), Stéphane Sangline (batterie) 







La déclaration du candidat virtuel : « Ce que je vais faire ? Tout comme eux, mais en pire… ». Le Rond-Point se transforme en QG des Présidentielles. Super Rebelle, candidaat hors listes, se présente. Il casse la baraque, drague les petits commerçants et les gros, ratisse large et rassemble toutes les volontés du peuple dans un programme ultra démagogique et ultra populiste afin d’être élu. C’est Super Rebelle qui détrônera à coup sûr le tyran Zébulon et tous les prétendants au trône et siphonnera les voix nationalistes extrêmes : quitte à voter nul, votez pour moi… 


Mon avis : Après avoir mené campagne en province, Christophe Alévêque, alias Super Rebelle, s’est installé au Rond-Point depuis le 11 avril pour y tenir tribune avant et pendant les deux tours des élections présidentielles. Je ne sais ce qu’on lui a fait déguster sur les marchés de province, mais c’est un candidat gonflé à bloc et au mieux de sa forme qui nous offre pendant deux heures un show époustouflant. Il accomplit un véritable sans-faute sans aucun temps mort. Plus le dénouement final approche, plus il est affûté, plus il est lucide, plus il est mordant. A une semaine de l’échéance, il ouvre les vannes (dans les deux sens du terme) et se lâche. A plusieurs reprises, en guise de leitmotiv, une même phrase revient : « Je n’ai plus de limites ». Effectivement, à ce point de la campagne, en plein deuxième tour, il s’arroge le droit de « ne plus être objectif ». 

Super Rebelle est né en octobre 2009. C’est un personnage que l’on connaît bien désormais. Avec sa cape et son slip rouges, il s’est autoproclamé « bouffon de la République » et apporte sa vision clinique de la politique française. Il n’a pas attendu la parution du livre de Stéphane Hessel pour être indigné. Il l’est de façon chronique, viscérale. Il est entré en résistance avec l’humour pour seule arme ; un humour vachement explosif avec lequel il s’évertue à dynamiter les différents systèmes mis en place par ceux qui nous gouvernent. Avec un plaisir non dissimulé, il leur mine le terrain et sabote leurs postures. 

C’est un sain, Christophe… Son spectacle est fort bien structuré… Après avoir effectué une entrée en fanfare, il se livre à une première allocution au cours de laquelle il dresse le bilan du premier tour… A l’instar de toute la suite de son show, ses propos sont émaillés de métaphores osées, d’images d’apparence saugrenues mais qui donnent à réfléchir. Avec son sens de la formule, avec un cynisme assumé et une mauvaise foi élevée au rang de religion, il distille moult horreurs en les accompagnant soit d’un petit rire sardonique d’hyène ou d’un gloussement truculent de dindon. Je vous l’ai dit, il est très, très en forme… Les plus percutantes de ses saillies sont soulignées par des roulements de batterie ou des trilles de cor de chasse. Diable, quand on a un orchestre sous la main, autant en profiter. Ensuite, il nous offre un petit flash back sur sa vie avant d’effectuer un retour cinglant sur la politique. Il aborde alors une analyse incisive sur la crise économique et financière. C’est vraiment pointu. C’est aussi pour ça que ça pique ! Là encore quelques formules et vérités font mouche : « Nous sommes tous des Grecs-Allemands », « La courbe démographique suit celle du chômage », « La crise est grave parce qu’elle touche les pays riches », Si l’hypocrisie était liquide, ils seraient tous morts noyés »… Il y en a des dizaines comme celles-là. Toutes aussi pertinentes les unes que les autres…
Il s’amuse à reprendre les termes techniques qui ont fleuri tout au long de la campagne pour dénoncer leur incohérence. Il cite ainsi « la recapitalisation systémique », et en profite pour allumer les agences de notation. Très sincèrement, dans le ton comme dans sa manière de créer un effet loupe sur les absurdités, je lui ai parfois trouvé des élans et des accents coluchiens. Il est en effet arrivé à ce niveau… Après quoi nous assistons à une interview de candidat plus vraie que nature et con comme la une (je sais le « l » s’est envolé). Pour cela, il reçoit le concours irrésistible d’un de ses comparses affublé d’une perruque blonde façon présentatrice d’un hypothétique journal de 20 heures… Comme il suit l’actualité au jour le jour, il est tenu à une grande part d’improvisation, ce qui ne nuit pas, bien au contraire, à la qualité de ses observations et de ses déductions. Il ironise par exemple sur les trois chiffons rouges qui reviennent comme des gimmicks que la Droite agite à l’encontre de son adversaire : les trois débats, le temps de parole et le vote des étrangers… 

Mais Alévêque ne s’appellerait pas Alévêque s’il n’était œcuménique. Il distribue tous azimuts, à gauche, à droite, au centre, sans oublier d’arroser les extrêmes. Bon, on sent bien qu’il a plus d’appétence d’un côté, mais un seul résultat compte aux yeux de Super Rebelle : l’éradication de « Zébulon » et de ses sbires. Christophe Alévêque nous offre donc un meeting politique très complet. Le tamis de sa satire ne laisse rien passer. Il se livre à un grand numéro qui va bien au-delà du spectacle de chansonnier. Quelles que soient nos opinions politiques, on est bien obligé de rire tant le trait est précis, même s’il est parfois un peu grossi sous le crayon de la mauvaise foi. De toute façon, on va voir Super Rebelle pour ça. C’est un peu comme aux échecs : entre deux tours, il faut bien que se dresse un roi… de l’impertinence.

vendredi 27 avril 2012

La Fille à marins

Théâtre Rive Gauche 
6, rue de la Gaîté 
75014 Paris 
Tel : 0 899 152 000 
Métro : Edgar Quinet

Une comédie musicale de Jérôme Savary 

Mise en scène par Jérôme Savary 

Avec Nina Savary, Roland Romanelli, Julien Maurel, Jérôme Savary (guest) 







Jérôme Savary : « C’est pour Nina, ma fille, que j’ai écrit La Fille à marins. Ce n’est pas un récital mais un vrai spectacle, avec des images et de l’émotion. Elle est accompagnée par un des plus grands accordéonistes du monde : Roland Romanelli. Pas de fille à marins sans marin. C’est l’étonnant clown-poète-magicien Julien Maurel, tour à tour pêcheur, pirate, capitaine, mousse, pieuvre géante et naufragé. J’incarne modestement un vieux loup de mer qui passe par là de temps à autre, pour en chanter une ou deux… » 

Mon avis : Ce spectacle est le vibrant témoignage d’amour d’un auteur et metteur en scène de père pour son artiste de fille. Jérôme Savary a tout est peaufiné pour mettre en valeur les remarquables qualités vocales de Nina, sa digne rejetone. C’est vrai qu’il peut en être fier, car pour chanter elle chante ! Et elle sait jouer la comédie aussi. Pour lui renvoyer la balle, elle a la chance de bénéficier de la présence de l’extrêmement talentueux Julien Maurel, homme à tout (bien) faire, capable des pires audaces et des plus inattendus tours de passe-passe. Enfin, pour compléter l’équipage, un autre magicien, musicien celui-là, l’incomparable et « barbaresque » Roland Romanelli et son accordéon. 

Maintenant, que dire de ce divertissement musical ? Déjà, on peut sans le dénigrer, le qualifier de spectacle bateau. Normal, c’est le thème développé. Avec le père au gouvernail, on a la fille, on a la mer et on a le marin. Difficile d’imaginer famille plus éclatée. Et parfois aussi, éclatante… Ce spectacle se résume en une succession de tableaux, tous différents dans le traitement, qui font qu’il est totalement disparate. On navigue à vue (et au son) en zigzagant entre haut de la vague et lame de fond. Mais, heureusement, on ne le touche jamais, le fond. Ce show est tout entier estampillé Jérôme Savary. Il n’a jamais coupé l’amarre qui le relie au Grand Magic Circus. C’est sa marque de fabrique. Pour arriver à bon port sur la Rive (Gauche), ce capitaine au long côté cour fait en permanence du cabotage entre le burlesque et l’émotion, la parodie et le romantisme. En fait, il n’est réaliste que dans les chansons. En effet, Nina nous ressuscite à merveille les chanteuses réalistes des années 30. Et en particulier Fréhel… Fréhel dont la mère aurait pu être cette « Fille à marins » car Bretonne du Finistère, et prostituée occasionnelle. Les textes des chansons sont remarquablement écrits. C’est du travail de pro, pas d’armateur. Mais le problème avec ce genre où la tristesse le dispute à la mélancolie, c’est que les mélodies, même interprétées par une pseudo entraîneuse, ne sont guère entraînantes. Ça lancine un tantinet et on a tendance à lâcher le filin à la moitié de la chanson. Il eût sans doute été préférable d’en mettre moins et d’y ajouter quelques chansonnettes franchement fantaisistes. En revanche, pour contrebalancer le climat morose des chansons, Savary nous a concocté quelques scènes particulièrement farfelues et des tableaux totalement hilarants (de la Baltique). Le spectacle commence par un mix entre 20.000 lieues sous les mers (le combat contre le calmar géant) et la pêche miraculeuse. On a droit ensuite à une pagnolesque parodie de Marius et Fanny dans le port de Toulon. Ensuite, Julien Maurel, véritable preux de la vague, se livre à un irrésistible numéro burlesque en sosie confondant de Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes. Un peu plus tard, c’est en un Popeye (le Sailorman) plus vrai que nature qu’il apparaît dans une sorte de cartoon dans lequel Nina campe une Olive bien plus séduisante que l’originale mais tout aussi grotesque. Sparrow et Popeye dans un même show, ce sont deux grands moments de pure comédie qui nous sont offerts. Et puis, une fois de plus – et ça c’est encore le sceau Savary – un soin tout particulier a été apporté aux costumes. Comme toujours, c’est ce magicien de Michel Dussarat qui a œuvré. Au côté de la très jolie garde-robe que revêt Nina, il a imaginé pour Julien et elle des accoutrements et des accessoires totalement saugrenus. C’est aussi loufoque que féérique. En tout cas, sur le plan formel de l’esthétique et de la couleur, c’est parfaitement réussi. Et je préfère vous laisser la surprise de quelques déguisements inénarrables… Chapeau, Monsieur Dussarat !

vendredi 20 avril 2012

Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran

Théâtre Rive Gauche 
6, rue de la Gaîté 
75014 Paris 
Tel : 0 899 152 000 
Métro : Edgar Quinet 

Une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt 

Mise en scène par Anne Bourgeois 

Avec Francis Lalanne (en alternance avec Eric-Emmanuel Schmitt pour 9 dates) 








L’histoire : Paris, années 60. Momo, un garçon juif de 12 ans, devient l’ami du vieil épicier arabe de la rue Bleue pour échapper à sa famille sans amour. Mais les apparences sont trompeuses : Monsieur Ibrahim n’est pas arabe, la rue Bleue n’est pas bleue et la vie ordinaire peut-être pas si ordinaire… 

Mon avis : Il ne faudrait surtout pas oublier qu’avant de chanter, Francis Lalanne été plutôt attiré par la comédie. Il avait en effet suivi des cours d’art dramatique au conservatoire de Marseille d’où il sortira, à 16 ans, après avoir décroché tous les premiers prix. Il s’était même occupé de mise en scène au lycée. De fait Francis, hypersensible et extraverti, est un comédien-né. Si bien que lorsque sa carrière de chanteur a été mise sous l’éteignoir pour des problèmes contractuels, il est revenu à ses premières amours à partir de 1987. Culturellement, il se tourne essentiellement vers un répertoire classique en jouant Molière (Dom Juan), Shakespeare (Coriolan), Cervantès (Don Quichotte), Musset (Lorenzaccio)… Mais c’est avec une pièce contemporaine, L’Affrontement, dans laquelle il donne la réplique à Jean Piat, qu’il se fait vraiment remarquer, tant des critiques que du public. Ce qui lui vaudra deux nominations aux Molières 1996, dans les catégories « Révélation » et « Meilleur second rôle »… 

Son retour dans l’exercice à hauts risques du « seul en scène » dans la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, ne manquait donc pas d’intriguer et d’exciter la curiosité. C’est simple, il n’y a pas de round d’observation. A peine est-il entré en scène qu’on est happé. Revêtu d’une ample blouse grise, d’un pantalon de velours trop court et le crâne surmonté d’un bonnet, Francis Lalanne est Moïse/Momo. Il entreprend de nous raconter par le menu son existence en la faisant démarrer l’année de ses 13 ans. Ce qui s’est passé avant, nous ne l’apprendrons que vers la fin. C’est à l’âge de 13 ans que sa vie va basculer : il va commencer à se rebeller contre l’autorité aveugle et psychorigide de son père, qui l’élève seul ; moyennant finances, il va se faire déniaiser par une professionnelle ; et il va faire la rencontre d’un mystérieux épicier, Monsieur Ibrahim. Si Moïse est révolté, s’il se livre à quelques petits larcins, c’est parce qu’il est malheureux. Il souffre d’un terrible manque d’affection. Alors, il rejette tout en bloc. 
Avec une facilité et un réalisme déconcertants, Francis passe sans cesse de l’émotion à la dérision. Toujours en mouvements, il occupe la scène avec une belle tonicité. Une scène ingénieusement divisée en trois parties. Côté jardin, un fauteuil et un guéridon surmontés d’un lampadaire représentent le salon paternel. Côté cour, un paravent sur lequel pendent quelques vêtements féminins, symbolise la chambre où la péripatéticienne accueille son jeune client. ET au beau milieu, trône l’épicerie de Monsieur Ibrahim, matérialisée par trois caisses, dont une débordante de pommes, et un tabouret. Moïse va donc passer d’un lieu à l’autre en fonction des différentes situations qu’il vit. Evidemment, c’est à l’épicerie qu’il va passer le plus clair de son temps. Il est irrésistiblement attiré par ce Monsieur Ibrahim, personnage énigmatique, qui passe son temps à esquiver les questions et à jouer sur les qualificatifs… Francis se met alors à jouer les deux personnages. Pour cela, une astuce de mise toute simple mais très efficace, nous aide à savoir qui il interprète. Il lui suffit d’enlever son bonnet, et il devient Ibrahim. Les scènes de dialogue entre le commerçant et l’adolescent sont menées avec une virtuosité jubilatoire. Chez Francis Lalanne, tout est mobile, le visage, les mains. Il est tellement expressif que l’on perçoit sans peine les sentiments qui l’animent, les émotions qui le traversent ou les situations qui l’amusent. En bon latin, il est en permanence dans la commedia dell’arte. Tour à tour Arlequin, Brighella et Polichinelle, il nous emporte dans la fringale de vie et d’amour de Momo. Le profond silence d’un public attentif et captivé, est parfois traversé par un court éclat de rire provoqué par une réflexion chargée ou d’ironie ou de naïveté. La scène de l’achat de la voiture est un grand moment de drôlerie… 
Et la pièce se termine en une sorte de road movie initiatique qui va faire de Momo l’homme qu’il est au début de la représentation. La performance de Francis Lalanne est remarquable. Il tient la scène sans aucun temps mort pendant près de deux heures. Il est le parfait passeur d’une pièce pleine de tolérance, d’œcuménisme et d’humanité. Enfin, pour être complet, il faut saluer des jeux de lumière particulièrement efficients.

vendredi 13 avril 2012

Pouic-Pouic


Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : Quatre Septembre / Pyramides

Une pièce de Jacques Vilfrid
Avec la collaboration de Jean Girault
Adaptée par Lionnel Astier et Stéphane Pouplard
Mise en scène par Lionnel Astier
Décor de Sophie Jacob
Costumes de Sandra Gutierrez et Marc Clément
Avec Valérie Mairesse (Jacqueline Monestier), Lionnel Astier (Léonard Monestier), Eric Berger (Antoine), Rachel Arditi ou Julie Jacovella (Patricia), David Saada (Simon), Bénédicte Dessombz (Palma), Alexandre Jazédé (Paul)

L’histoire
: Léonard Monestier, homme d’affaires avisé, cherche à se débarrasser d’une concession pétrolière sans valeur que son épouse, Jacqueline, a achetée à un escroc. Il jette alors son dévolu sur Antoine Brévin, un milliardaire courtisant sa fille Patricia, qui pourrait être le parfait pigeon…

Mon avis : Et bien je suis sorti plutôt circonspect des Bouffes Parisiens avec, à l’esprit, plus de négatif que de positif.

Abordons déjà ce qui m’a plu… J’ai vraiment apprécié le jeu offert par Lionnel Astier et Valérie Mairesse. Elle, elle est épatante en gentille nunuche, qui ne sait pas quoi faire pour plaire à son mari et à sa famille. Foncièrement bonne, elle est en permanence à côté de la plaque et chacune de ses apparitions est un savoureux moment. Valérie Mairessse hérite là d’un rôle en or et elle fait preuve d’une belle fantaisie mâtinée d’autodérision… Lui, il a su habilement éviter le piège de faire du de Funès. Il est certes dans le survoltage et l’énergie mais sans le côté cartoonesque du grand Louis. Il campe un homme d’affaires à qui j’ai trouvé une certaine ressemblance physique avec… Bernard Tapie. C’est un homme sans scrupules (je ne parle plus de Tapie), dénué de sentiments y compris familiaux, c’est un manipulateur qui n’est motivé que par une chose : ne pas perdre d’argent ; même s’il faut, pour cela, imposer un mariage de raison à sa fille, escroquer son soupirant, mépriser son fils, narguer son épouse, et rendre chèvre ce pauvre Simon. Dans ce registre, Lionnel Astier est parfait.
Je n’ai pas détesté non plus la prestation de Rachel Arditi dans le rôle de Patricia, la fille de la maison. C’est une sorte de pimbêche acariâtre et vindicative qui affiche tout au long de la pièce un sacré caractère. Et j’ai trouvé plus qu’honnête le jeu de David Saada qui n’a pas hérité du rôle le plus facile avec le personnage de Simon, un garçon qui n’a rien demandé et qui se retrouve soudain le jouet plus ou moins volontaire d’un maelstrom financier et familial. Il s’en sort bien sans en rajouter… Enfin, si je fais abstraction de la façon ridicule de marcher qu’on lui a demandée, j’ai également souri avec le personnage de Charlotte, la domestique qui fait quasiment partie de la famille.

Mes principaux griefs vont donc à l’encontre des trois derniers protagonistes de ce vaudeville qui, à mon avis, sont les victimes directes d’un parti pris de mise en scène maladroit. On a fait d’Antoine, de Paul et de Palma trois personnages véritablement grotesques. Ce qui leur enlève beaucoup de crédibilité… Pourtant, Eric Berger (le comédien révélé au cinéma dans le rôle de Tanguy) a le profil idéal pour camper ce fils de famille, godelureau suffisant et amoureux transi. Pourquoi lui a-t-on demandé d’adopter cette gestuelle grotesque faite de poses théâtrales, d’entrechats saugrenus et de petits ricanements forcés. Il n’y avait vraiment pas besoin de ces scories superfétatoires. Avec sa seule dégaine d’échalas dégingandé, il était parfait. Il n’y avait pas besoin de charger autant son jeu. Il en perd tout réalisme… Paul, le fils, n’est pas très gâté non plus par la direction d’acteurs. On lui fait jouer un mec un peu con-con qui frôle le pathétique… Et puis il y a le personnage de Palma, celle qui est censée apporter une note d’exotisme à la pièce. Alors elle, elle en fait des tonnes avec un insupportable accent pseudo hispanique et des poses aguicheuses dont on se lasse très vite.

Résumons-nous. Au niveau des mauvais points, j’ai trouvé à cette pièce des accents vieillots et désuets, des rebondissements aussi fumeux que redondants, et une mise en scène qui oscille entre plusieurs genres ce qui la rend si inégale, surtout avec cette touche de burlesque qui amène un sur-jeu. Il faut donc faire quelques concessions !
Au niveau des bons points, les meilleurs dialogues (il y a effectivement d’excellentes saillies et de jolies formules) sont dans les bouches de Valérie Mairesse et de Lionnel Astier (j’ai aimé cette réflexion que Léonard adresse à Simon : « Qu’est-ce qui vous a pris de dire que vous étiez noir ? »). Le rythme est suffisamment soutenu pour qu’on ne s’ennuie jamais.
Enfin, mention spéciale au gallinacée qui justifie le titre de la pièce. Il est absolument magnifique. C’est indéniablement lui qui porte le plus beau costume.

vendredi 6 avril 2012

Lamine Lezghad "Impeccable !"


Théâtre Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 08 92 35 00 15
Métro : République

One man show écrit par Nicolas Bienvenu, Mohamed Bounouara, Lamine Lezghad, Manuel Montéro
Mise en scène par Nicolas Bienvenu

Le pitch : Lamine Lezghad nous plonge dans son univers à travers personnages et situations qui retracent sa biographie plus ou moins rêvée, voire délirée, en s’offrant le luxe de désopiler sans vulgarité et de tailler sans facilité…

Mon avis : Lamine Lezghad… Ah Lamine ! En me rendant au théâtre du Temple découvrir son one man show, j’avais en tête ses remarquables prestations dans l’émission On n’ demande qu’à en rire et sa performance d’acteur dans Le coup de la cigogne au côté de Jean-Marie Bigard. Je savais donc déjà que j’allais me trouver face à un excellent comédien. C’est déjà ça.

Une heure et quart plus tard, j’étais resté sur ma faim. Disons, pour être honnête, que j’avais grignoté et que j’étais loin d’être rassasié. Je m’explique… Lamine Lezghad a tout pour lui. Il est élégant, terriblement charismatique, très sympathique, et immensément doué dans tous les domaines. Il a les fossettes rigolardes. Il est toujours dans le bon tempo, il danse à ravir. Il est classe, quoi ! Dès son entrée en scène, qui est plutôt amusante, le public, la trentaine réjouie, est déjà chaud. Il est venu parce qu’ils l’ont vu à la télé et qu’ils en veulent un peu plus. D’ailleurs Lamine ne perd pas de temps pour rendre hommage à Laurent Ruquier et aux bienfaits qu’a apporté cette émission au petit monde des humoristes…
Le show qu’il nous propose est un habile cocktail entre le stand-up (pour le premier tiers) et les sketchs. Dans le prologue, Lamine se raconte. Il évoque avec énormément d’autodérision son métissage arabo-français, son enfance à Alger, son adolescence à Nîmes. Il émaille ses propos de nombreuses digressions. Il en ressort une sorte de bric-à-brac où alternent les bonnes vannes et les blagues un peu faciles, voire éculées (trouver qu’il y a beaucoup de Chinois à Pékin et dire qu’ils sont « débridés », c’est du niveau CM2). Dans cette première partie, j’ai trouvé que son jeu – en tout point excellent – méritait un texte plus en adéquation avec son talent. C’est parfois vraiment trop potache. Certes le public, qui lui est acquis, rit de bon cœur. Mais lorsqu’on possède un tel potentiel, on se doit d’être exigeant.

De fait, les quatre premiers sketchs, pour amusants qu’ils soient grâce justement à son aisance et à son capital sympathie, ne m’ont pas emballé plus que cela. Les idées sont bonnes (le maire qui bénit une union mixte arabo-juive, le régisseur africain qui découvre le monde de la corrida à Nîmes, l’animateur en milieu hospitalier, son entretien d’embauche) mais leur exploitation n’atteint pas un niveau de qualité suffisant. Ils lui permettent de faire étalage brillamment de sa facilité à prendre les accents (chinois, arabe, africain, juif pied-noir, antillais…). Mais ils sont plutôt convenus et souvent prévisibles. C’est la différence entre le prêt-à-porter et la haute couture.

Et puis soudain, à partir du cinquième sketch, que l’on pourrait intituler « J’ai arrêté d’être Arabe », il semble touché par la grâce, ou plutôt par la fée Ecriture. Là il est au niveau auquel on l’attend. Il y a tout dans ce sketch. Un super angle, un bon traitement, et il nous offre en prime une hallucinante séance d’exorcisme. Je me suis enfin régalé. Finis les amuse-gueule, place aux plats de résistance. Je les mets au pluriel car le suivant est aussi roboratif. Il s’y livre à une parodie de spermatozoïde que n’aurait pas désavouée Woody Allen. Au niveau de la gestuelle et donc du visuel, c’est du grand art… Quant au rappel, il n’est guère qu’un prétexte à jouer avec le public et à le taquiner. C’est également un bon moment.

Voilà ce que j’ai à dire d’Impeccable !, le one man show de Lamine Lezghad. Ce garçon a tout pour aller très loin et très haut. Il lui manque juste un peu plus de rigueur dans les textes. Il lui faut trouver des auteurs plus incisifs, plus caustiques. On peut tout se permettre avec un tel interprète. Quand on a un stradivarius à sa disposition, on ne lui fait pas jouer Viens boire un p’tit coup à la maison. Si tout était du niveau des cinquième et sixième sketchs, on toucherait à la perfection… Je me permets d’être un peu sévère car on n’a pas le droit de gâcher tant de talent. Mais, en dépit de mes critiques, je ne me suis jamais ennuyé car le garçon a une sacrée présence. Il faut même aller le voir pour imaginer tout ce qu’il est en mesure de nous offrir.

dimanche 1 avril 2012

Arnaud Tsamère "Chose promise"


L’Européen
5, rue Biot
75017 Paris
Tel : 01 43 87 97 13
Métro : Place de Clichy

One man show écrit par François Rollin, Arnaud Joyet et Arnaud Tsamère
Mis en scène par François Rollin et Arnaud Joyet

Le pitch : Patrice Valenton, modeste professeur d’économie, monte sur scène pour honorer une promesse faite solennellement à un ami très bourré logiquement décédé dans un stupide accident de voiture…

Mon avis : Arnaud Tsamère fait partie des quelques fleurons révélés par l’émission de Laurent Ruquier. A l’instar de quelques uns de ses condisciples (Constance, Olivier de Benoist ou Jérémy Ferrari), il apporte une réelle personnalité, avec un univers et un ton qui n’appartient qu’à lui. Ces humoristes-là ne copient personne et on peut être assuré qu’ils ont signé un sacré bail avec la scène.
Si, grâce à l’énorme effet loupe que provoque la télévision, Arnaud Tsamère remplit – à juste titre – les salles, ça fait déjà un petit bail qu’il exerce ses talents… Titulaire d’une maîtrise de Droit des Affaires (eh oui), il eût sans doute accompli une honorable carrière de commercial dans l’exportation s’il n’avait pas un jour assisté à un match… d’improvisation. Cette discipline devient sa bulle d’oxygène. Avant de devenir carrément l’air dont il avait besoin pour vivre. Lui aussi, comme Jamel Debbouze, est un enfant de « Papy » (Alain Degois). Après avoir joué au théâtre au sein d’une troupe, il écrit son premier one man show et se lance dans l’exercice périlleux mais exaltant du solo.

Aujourd’hui, c’est donc un garçon nanti d’un bon gros bagage qui sévit actuellement sur la scène de l’Européen avec son second one man show, Chose promise… Introduit (en voix off, j’entends) par son producteur, Raphaël Mezrahi, Arnaud Tsamère effectue une entrée tranquille, le cheveu hirsute, tout de noir vêtu, avec un sac plastique à la main. En fait, ce n’est pas l’humoriste qui fait ainsi son entrée, c’est un quidam lambda, un certain Patrice Valenton. Lequel nous explique qu’il est là devant nous pour honorer une promesse qu’il a faite à Rémi, un copain d’enfance accidentellement décédé. Tout le long de la soirée, il ne va cesser de nous rappeler qu’il n’est pas comédien, qu’il ne faut pas s’étonner si son spectacle est « décousu ». Après tout lui, Patrice Valenton, il est prof de sciences éco. Cette schizophrénie entre l’artiste et son personnage lui permet toutes les audaces, toutes les maladresses, tous les à-peu-près. Il adore se lancer, tel le prof qu’il est censé être, dans les explications. Stakhanoviste de la digression, il a besoin de donner des précisions à tout bout de champ. Il se délecte à nous entraîner là où on ne l’attend pas. Il se livre à quelques savoureuses élucubrations puis revient tout naturellement au fil de son histoire. Arnaud Tsamère, c’est le champion du contre-pied. Il jongle avec les effets et a le dribble imprévisible.

Chose promise est un excellent spectacle, original et complet. Arnaud Tsamère maîtrise parfaitement tous les paramètres de l’humour. Déjà dans sa manière de bouger, parfois flegmatique, parfois débordant d’énergie, parfois semblable à un échassier mazouté, il est très à l’aise avec son corps. Il lui demande d’ailleurs beaucoup. A l’issue de son spectacle, il doit avoir perdu quelques centaines de grammes. Son humour lui aussi est très large et très diversifié. Il a le sens du visuel (sketch du ventriloque), un goût prononcé pour l’humour noir, un excellent contact avec le public qu’il n’hésite pas à prendre à témoin… Et il faut itou saluer la qualité d’une écriture qui fleure bon les conseils avisé de l’émérite Professeur Rollin.

Le spectacle est fort bien articulé. Après la longue et relativement sage introduction explicative de sa promesse et le portrait croquignolesque de son ami Rémi, il aborde aux deux-tiers de son show un tout autre registre en interprétant seul tous les protagonistes d’un vaudeville datant de 1929. Il se livre là à une prestation complètement délirante. Quelle virtuosité ! Quel tonus ! C’est réellement ébouriffant… Quant au rappel, il constitue lui aussi un fameux morceau de bravoure, qui semble totalement incontrôlé et qui est agrémenté de surcroît d’effets spéciaux et d’un spectacle pyrotechnique. Il a mis les moyens le Raphaël Mezrahi ! On sent qu’il y a du budget. Mais nous aussi, devant tant de générosité, on en a pour notre argent.