vendredi 28 septembre 2012

A la française !


Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Tel : 01 53 96 70 00
Métro : Champs-Elysées Clémenceau

Un spectacle écrit et mis en scène par Edouard Baer
Costumes de Nathalie Saulnier
Lumières d’Alain Poisson et Nicolas Gilli
Musique de Julien Baer
Avec (par ordre d’entrée en scène) : Leila Bekhti ou Léa Drucker (Sofia), Lionel Abelanski ou Jean-Michel Lahmi (Le type du ministère), Christophe Meynet (Chris), Patrick Boshart (Pat), Edouard Baer (Edouard), Atmen Kelif (Arouet), Alka Balbir (Marianne), Guilaine Londez (Suzanne), Philippe Duquesne ou Vincent Lacoste (Fils de), Jean-Philippe Heurteaut (Le pianiste)

L’histoire : Edouard Baer est chargé par le Ministère des Affaires Etrangères de redorer l’image de notre cher pays en perte d’influence… Une occasion unique : la soirée d’ouverture du G20 à Paris… Un léger contretemps : c’est demain et, étonnamment, Edouard n’a rien préparé.
Une nuit. Une nuit durant laquelle Edouard, sa troupe, ses amis, anciens, nouveaux ou de hasard, doivent faire surgir la solution de leur imagination. Une France moderne, enthousiasmante, une France qui ré-enchanterait le monde, c’est quoi ? C’est où ? C’est comment ?...

Mon avis : C’est le cinquième spectacle écrit et mis en scène par Edouard Baer et c’est, sans conteste, le meilleur. Les trois précédents, pour débordants de fantaisie et de délire qu’ils aient été, s’étaient révélés quelque peu disparates. Ils s’apparentaient plus à une auberge espagnole où chacun amenait son manger et les plats n’avaient pas tous la même saveur, même si on y faisait souvent Miam Miam... A la française ! est un divertissement parfaitement abouti, tout en donnant perpétuellement l’impression de ne pas être maîtrisé. Mine-de-rien, malgré la folie douce qui y règne, on sent qu’il y a une vraie rigueur. Cette fois, ça ne part pas dans tous les sens. Le talent d’Edouard Baer est de jouer de son apparente incapacité à gérer un grand bazar, alors que tout est cohérent. Chaque pièce de ce puzzle foutraque s’emboîte malicieusement.

Ça commence bien sûr comme un joyeux foutoir. Chacun ne sait pas vraiment pourquoi il ou elle est là, et ce n’est pas Edouard Baer, le prétendu déus ex machina, qui ne va pas les aider à y voir plus clair car lui-même ne sait fichtrement pas comment il va honorer la mission qui lui a été assignée par un représentant du Ministère des Affaires Etrangères : monter devant les représentants du G20 réunis à Paris un spectacle vantant les beautés et le mérite de la France… Vaste programme dont Edouard n’a pas écrit la moindre ligne. Et nous sommes à la veille de l’évènement… Heureusement, il est doté d’un optimisme à tout épreuve et, surtout, il peut compter sur sa troupe de comédiens pour l’aider dans cette folle entreprise.

On retrouve alors avec le plus grand plaisir l’univers absurde, burlesque et cocasse qui est l’image de marque d’Edouard Baer. Ce qu’il écrit, joue et fait jouer n’appartient qu’à lui. Il a un style inimitable, une écriture aussi racée que pleine de fantaisie, et sa manière de jouer est unique. Il a en plus ce cadeau inné qu’est sa voix au timbre chaud, onctueux, reconnaissable entre toutes… Et puis, autre signe de talent, et non des moindres, il sait s’entourer. Personne n’est là par hasard. Chaque membre de cette troupe hétéroclite est à son image : il se distingue par une façon de jouer la comédie sans en avoir l’air. Ils sont tellement simples et naturels, qu’on n’a pas l’impression qu’ils campent un personnage et qu’ils interprètent un texte.

Pendant près de deux heures, je me suis laissé emporter dans cette folle odyssée avec un bonheur croissant. La mise en scène, très dépouillée, est ingénieuse. Elle n’est pas là pour accaparer notre attention avec des effets superfétatoires, mais pour mettre en valeur les différentes saynètes ou tableaux. Ça fourmille de trouvailles, de gags désopilants… Mais ce qui le plus emballé, c’est la qualité du texte et, partant, des dialogues. Il nous a fait un Edouard d’honneur. Le texte est d’une richesse incroyable. Ça foisonne de partout. J’ai ressenti cette sensation extrêmement rare du rire intelligent. C’est truffé de jeux de mots, de répliques savoureuses, de formules étonnantes de finesse, d’allusions sur l’actualité, de clins d’œil à la politique… L’expression qui me revient systématiquement telle un leitmotiv, c’est « sans en avoir l’air ». Sans en avoir l’air, Edouard Baer instille dans son discours des petits messages pas du tout subliminaux, mais au contraire bien concrets. Il aborde sans en avoir l’air des thèmes aussi forts que la religion, l’intégration, la tolérance, la démocratie. Les choses sont dites, et bien dites, mais enrobées de sucre et de sourires. Ça passe d’autant mieux. Et on se les garde longtemps en bouche.

En même temps, il réussit le tour de force de nous présenter une sorte de kaléidoscope de ce que représente pour lui la France, pays on ne peut plus riche sur tous les plans, culturel, historique, gastronomique… Avec lui, l’habit fait le (patri)moine. Tout est présenté sous forme d’esquisses, ce qui apporte encore plus d’images et de rythme.
Et puis chacun des protagonistes de ce spectacle, à commencer par lui, a été doté d’un profil psychologique fort bien dessiné.
Edouard – le personnage – est un doux rêveur. Il ne supporte pas le conflit, il préfère se retrancher dans une charmante mauvaise foi. Il n’est pas tout à fait sorti de l’enfance. La preuve, en guise d’antistress, il a encore recours à son doudou, Papinou. Ce n’est pas un teddy baer mais un porcelet en peluche qui s’anime et qui parle. Edouard est aussi un poète, décalé certes, mais un poète ; à la Cyrano. Pétri d’humanité, il aime les gens qui l’entourent, or il est trop lunaire pour le leur dire. Mais ça se voit tellement !

Autour de lui, c’est un peu le monde des Bisounours… Sofia, son assistante, fait tout son possible pour l’épauler. Elle se conduit en femme amoureuse, elle est toute à sa dévotion… Le type du Ministère se dévoile peu à peu. Dépassé par les évènements, il fait apparaître une grande fragilité et cherche en permanence du réconfort… Chris est un peu l’homme à tout faire. C’est un brave garçon, très dévoué, d’humeur égale. C’est un artiste, mais il n’est pas encore assez mature pour assumer ses dons et affirmer sa personnalité… Pat, lui, est un doux anar. Il a la subversion chronique, l’anticonformisme systématique et un sens de la fraternité viscéral… Arouel est un personnage à part. Il est en décalage permanent. Lui aussi est un artiste. Il déborde d’imagination, d’inventivité et de drôlerie, mais il a un problème ; il ne pense qu’à chat ; ce qui le rend vulnérable et touchant… Marianne est un « rêve éveillé ». Elle est tellement heureuse de quitter son piédestal pour se confronter à la vraie vie, qu’elle se même à l’aventure avec une grande générosité… Suzanne, elle, est naïve et romantique. Elle est très attachante, altruiste, parfois même émouvante… Et enfin, il y a le « Fils de… ». Au début, il se montre capricieux, détestable et infatué. Puis, gagné par l’atmosphère de gentillesse ambiante, il se glisse progressivement dans le moule…

Je n’ai qu’une petite – minuscule – réserve : je n’ai pas trouvé les paroles des chansons à la hauteur du texte de la pièce. Elles sont trop simplistes, surtout celle qui s’intitule « Les vins ». Sur un sujet aussi riche et varié, les rimes auraient pu être d’un bien meilleur cru. En revanche, rien à dire sur les mélodies, elles sont pimpantes et efficaces.
Ce sera là mon seul hiatus car A la française ! est un spectacle absolument enchanteur à tout point de vue. Pendant deux heures, la salle était secouée des hoquets des spectateurs, au détriment parfois de certaines réparties couvertes par les rires provoqués par la réplique précédente. En tout cas, Edouard Baer nous le confirme : nous avons la chance de vivre dans un bien beau pays. Il est bon de nous le rappeler quelques fois…

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