mardi 11 mars 2014

Un Singe en hiver

Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité

Roman écrit par Antoine Blondin
Mise en scène de Stéphane Hillel
D’après le film réalisé par Henri Verneuil, dialogué par Michel Audiard
Adaptation théâtrale de Stéphan Wojtowicz
Lumières de Laurent Béal
Scénographie d’Edouard Laug
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Avec Eddy Mitchell (Albert Quentin), Fred Testot (Gabriel Fouquet), Evelyne Dandry (Suzanne), Gérard Loussine (Landru), Chloé Simoneau (Marie-Jo), Stéphan Wojtowicz (Esnault)

L’histoire : Gabriel Fouquet arrive un soir d’automne dans l’hôtel tenu sur la côte normande par Albert Quentin. Une amitié va naître entre les deux hommes. L’un boit, l’autre ne boit plus…

Mon avis : Sacré défi à relever que de porter au théâtre Un singe en hiver, roman magistral d’Antoine Blondin, et film culte d’Henri Verneuil dialogué, qui plus est, par Michel Audiard ! Ce film a beau dater de plus de cinquante ans, les personnages particulièrement hauts en couleurs d’Albert et Gabriel, respectivement incarnés par Gabin et Belmondo, sont encore gravés dans nombre de mémoires. Il fallait donc tenir compte de tous ces paramètres pour cette adaptation théâtrale.


Disons-le tout net, cette pièce repose uniquement sur les dialogues et le jeu des deux protagonistes principaux, Eddy Mitchell et Fred Testot... L’ambiance est parfaitement recréée. Dès qu’on pénètre dans la salle du Théâtre de Paris, on se retrouve sur un bord de mer typique du Calvados avec ressac et cris de mouettes. Il ne nous suffit plus que de rentrer dans le village à la suite de Gabriel Fouquet par un soir d’orage pour faire connaissance avec Tigreville, son hôtel Stella et ses débits de boisson.
Grâce à un jeu de décors glissants, à l’instar de Gabriel, un garçon qui a de la cuite dans les idées, on va pratiquer l’exercice aventureux des bars parallèles. Et, en dépit de son effarante consommation de Picon-bière, on peut dire qu’en tant que comédien, Fred Testot tient la route ! Il a une vraie présence. Même si, parfois (est-ce volontaire ?), il a des intonations à la Belmondo, il ne le parodie pas. Il possède remarquablement son rôle, psychologiquement et physiquement (quelle démonstration de flamenco !). Moins matamore que Bébel quand il fait le singe en ibère, il tire plus sur la corde sensible. Il se prend certes pour un toréador, mais c’est lui qui porte les cornes. D’où cette souffrance inaltérable qu’il cherche en vain (en vin ?) à noyer dans l’alcool. Heureusement, il a en lui une forme de fierté qui l’empêche de tomber dans la tragédie. Gabriel a la picole buissonnière, réjouissante, partageuse, propice à l’imaginaire. Des qualités qui ne peuvent que séduire cet alcoolique repenti d’Albert.


Albert, c’est Eddy Mitchell… Suite à une promesse fait à sa femme quinze ans plus tôt, Albert s’est rangé des bitures. Il fut pourtant un sacré leveur de coude. Lui aussi avait l’ivresse onirique et flamboyante. Il en a gardé une certaine nostalgie, mais avec le sens de l’honneur d’un ancien fusilier-marin, il a définitivement renoncé à la bibine. Définitivement ? C’était sans compter avec l’irruption dans son hôtel de Gabriel. L’effet miroir est implacable. Albert sent monter en lui une irrésistible bienveillance, une compréhension. Une solidarité même. Et un ardent désir de compagnonnage. Quand on veut rêver de Chine, il est nécessaire de se remettre au jaune, au pastis, quoi…
Eddy Mitchell attaque son rôle en sourdine. Ses gestes et ses mots sont mesurés, contrastant avec les délires et la fougue de Gabriel. Eddy commence son récital par une ballade ; mezzo voce. Puis, on le voit prendre progressivement le rythme, se mettre à l’unisson, pour finir carrément rock’n’roll. Il est très à l’aise dans ce registre-là, celui de la déconne altière, celui des seigneurs de la défonce… Il y est à l’aise comme un glaçon dans le whisky.

L’atout ce cette pièce, ainsi que je l’ai formulé plus haut, c’est la qualité des dialogues peaufinés par Stéphan Wojtowicz. Il a eu la malice de faire un cocktail avec les mots de Blondin et ceux d’Audiard. Il a secoué et il a obtenu du « Blondiard » ! C’est vraiment de la belle ouvrage pour les amateurs de jolies formules à la fois truculentes et pleines de poésie… Stéphan Wojtowicz, qui campe d’ailleurs gaillardement Esnault, le patron du Café Normand…
Bien sûr, les autres rôles sont un peu écrasés par les deux personnages principaux. Mais chacun y apporte une touche personnelle. Les deux femmes sont sympathiques, positives, touchantes, pleines de tendresse et de compréhension. Gérard Loussine est toujours aussi bon et il compose, au moment du bouquet final, un parfait troisième larron.
 Il y a peut-être ça et là quelques petites longueurs (par exemple l’histoire du pull over rapportée par Landru), mais on se laisse facilement happer par cette belle histoire d’amitié et par l’émotion qui nous gagne sur la fin.

J’ai eu le bonheur de fréquenter Antoine Blondin, de lui rendre visite chez lui, rue Mazarine, et d’y petit-déjeuner d’un grand Bourgogne en parlant rugby à côté du canapé ou Guy Boniface avait passé une de ses dernières nuits. Je suis convaincu que, bien que modeste, il eût fortement apprécié cette adaptation de son roman.


Gilbert « Critikator » Jouin

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