samedi 11 avril 2015

Constance "Partouze sentimentale"

Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 32 22
Métro : Blanche / Pigalle

Ecrit et interprété par Constance
Mis en scène par Patrick Chanfray
Costumes de Julia Allègre
Musique originale de Marie Reno

Présentation : « Si tu viens tu te feras violer les oreilles et les yeux, mais ne t’inquiète pas, je mettrai de la poésie et de l’humour dans mes mots pour que tu n’aies pas mal.
Pendant ce spectacle, tu verras mes sentiments coucher les uns avec les autres et tu verras qu’ils sont très souples. Tu pourras me pénétrer pendant une heure quinze et je te promets de me donner toute entière à toi. Ce sera cérébralement bucolique et cochon ! Viens si tu es ouvert aux expériences. Viens aussi si ton esprit est étroit car j’essaierai de l’élargir…"

Mon avis : Constance aime les oxymores. Elle nous en sert quelques uns forts croustillants durant son spectacle, mais c’est surtout le titre du dit-spectacle qui en est le meilleur exemple. « Partouze sentimentale » ? Accoler ces deux mots contient déjà quelque chose qui interpelle. A priori, on laisse ses sentiments au vestiaire lorsqu’on se déloque pour procéder à quelques ébats échangistes de bon aloi. Mais c’est là un des nombreux paradoxes ce cette artiste. C’est ce qui en fait la particularité et le charme. Constance est une provocatrice patentée.

Son spectacle est construit avec une impressionnante rigueur. Peut-être s’est-elle inspirée de la chanson de Renaud, « Dans mon HLM », en tout cas son idée est imparable. Elle a érigé un immeuble de huit étages avec, pour chacun d’eux un sentiment approprié. Pour accéder à chacun d’eux, elle n’utilise pas la censure sociale, loin de là. Elle emprunte l’escalier de sévices avec une jubilation sadique.
Huit étages : huit personnages. Et quels personnages ! Aucune de ces femmes n’est une loque à terre, au contraire, ce sont des déjantées qui s’assument parfaitement. Chacune a droit à son accoutrement, à ses tics, voire à ses tocs, à sa voix propre, à sa folie… Formidable comédienne, Constance leur donne à chacune une véritable identité. Elles existent devant nous, nous inquiètent, nous font rire, nous font peur… Elles ne nous laissent jamais indifférents. Constance sait tout jouer avec une appétence gourmande pour le jusqu’au-boutisme. Elle saute à pieds joints par-dessus le borderline et nous entraîne dans une contrée digne des pires mécomptes de fées.


Tout autant que l’étourdissante créativité de ses interprétations et son jeu spectaculaire, il faut saluer chez Constance la qualité de l’écriture. Dans chacun de ses sketchs, il y a du sens et du fond. Dans celui sur l’ambition, elle utilise à merveille l’art du contre-pied… Dans celui sur la joie, elle incarne l’exubérance niaise… Dans celui sur la culpabilité, elle se vautre dans l’humour noir comme une cochonne dans sa fange. Celui qui a pour titre « la dévotion » est, de loin, le plus osé (Notre Père qui êtes aux (da)cieux). Elle n’aura droit à aucune sœur Constance atténuante. Même à confesse, on n’accepterait pas qu’elle fasse pénistence. Là, vraiment, Sister acte… Elle profite ensuite de l’étage où loge l’amour pour nous livrer en quelque sorte une leçon de séduction agrémentée d’un fascicule « L’Homme, mode d’emploi » qu’il n’est pas recommandé de mettre entre toutes les mains… Lorsqu’elle traite de la passion, elle se métamorphose en une grande bourgeoise précieuse et obsédée textuelle… Pour ce qui est du sketch sur la patience, j’attends encore… Et elle termine en nous offrant un gros bouquet de pleurs qui sied parfaitement à la tristesse en incarnant une bécasse qu’on croirait sortie tout droit des oiseaux qui se cachent pour sourire…


En fin de spectacle, en fine renarde, elle nous démontre que son ramage est nettement supérieur à son plumage. Mais l’un associé à l’autre cela donne un vrai moment de music-hall à deux pas du Moulin Rouge.
En ce vendredi soir, la salle de la Comédie de Paris était bourrée comme un œuf. Preuve par l’œuf, s’il en est besoin, que Constance a su gagner son public en dehors de toute complicité médiatique. Les deux spectacles qu’elle a concoctés sont de très haute volée. Elle est unique dans ce registre. Elle chante, elle danse, elle jongle avec les voix, s’affuble de tenues improbables, fait des grimaces de gamine de CP, bref, elle s’amuse autant que nous. Elle est vachement gonflée, la donzelle !
C’est une adorable sale gosse qui prend un plaisir malin à tirer les sornettes pour réveiller en nous certains troubles enfouis dans notre cortex. C’est vrai qu’elle nous donne envie de monter la rejoindre dans cette « partouze sentimentale » et de faire joyeusement l’humour avec elle.


Gilbert « Critikator » Jouin

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