samedi 29 août 2015

Fannie Flagg "La dernière réunion des filles de la station-service

Cherche Midi
19,80 €


Le terme qui me vient immédiatement en tête à la lecture de cet ouvrage est « délicieux »…
Fannie Flagg confirme amplement ses immenses talents de conteuse.
C’est un livre écrit par une femme pour les femmes. Qu’elles sont belles et attachantes ses héroïnes !
Ici, l’auteure nous emmène dans deux histoires parallèles. Une, celle de Sookie, se déroule en 2005… La seconde, celle de Fritzi et de sa famille, couvre la première moitié du vingtième siècle.
Il se dégage de ce roman une atmosphère emplie de fraîcheur, de légèreté, de générosité et empreinte d’une grande humanité. Tous les personnages sont positifs, pleins de vie et d’amour pour les leurs et aussi pour les autres.
Certes, on peut trouver parfois chez Sookie une trop grande naïveté et une certaine loufoquerie. Mais la brutale nouvelle de sa vraie filiation à 60 ans, est pour elle un véritable traumatisme. Soutenue par son admirable mari, elle va se lancer à la recherche de ses racines et remonter ainsi le temps.

Au-delà de ce parcours initiatique à l’envers, cet ouvrage prend énormément de profondeur en raison de son aspect sociétal, avec l’intégration des émigrés polonais, et de sa toile de fond historique avec l’engagement des femmes dans l’US Air Force comme pilotes. C’est cet habile mélange de fiction construite sur des faits réels qui fait que ce livre est si réussi. Dès qu’on en a lu les premières pages, on est happé, et on n’a de cesse que de savoir quand et comment les deux destins parallèles de Sookie et de Fritzi vont se rejoindre. C’est d’une efficacité redoutable.
On referme ce livre avec le sourire en se disant que le monde serait formidablement agréable à vivre s’il était composé de tels personnages portant de telles valeurs.

A l’instar de Beignets de tomates vertes, La dernière réunion des filles de la station-service ferait (fera ?) un excellent film.

vendredi 14 août 2015

Christelle Chollet "Comic-Hall"

Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse-Bienvenue

Ecrit et mis en scène par Rémy Caccia
Lumières d’Erwan Champigné
Chorégraphies d’Odile Bastien
Musiciens : Raphaël Alazraki (guitare), Pascal Miconnet, Jérémie Jougniaux (piano)

Présentation : Au début de sa carrière, Christelle Chollet rêvait de faire de la comédie musicale. Elle a passé des dizaines d’auditions, mais n’a jamais été engagée : trop déjantée, trop blonde, trop drôle, trop musclée, trop rebelle, trop décolletée bref, trop, trop…
Pour son troisième one woman show, elle réalise son rêve en créant sa propre comédie musicale : très déjantée, très blonde, très drôle, très musclée, très rebelle, très décolletée bref, très, très…
Comic-Hall, c’est tout Broadway dans 1 m 60 et 48 kilos !

Mon avis : Le tandem Rémy Caccia et Christelle Chollet a encore frappé. Et frappé fort, très fort… Rémy dans l’ombre et la plume à la main ; Christelle dans la lumière et la plume… Et bien non ! La blonde hypertonique a délaissé short, blouson, boa et fanfreluches pour une très élégante queue-de-pie. LA CLASSE…
On se demandait, après ses deux précédents spectacles à succès, dans quel univers elle allait cette fois nous emmener. Elle nous l’apprend dès son entrée en scène. Frustrée de s’être faite bouler aux nombreux castings de comédies musicales auxquels elle s’était présentée, et bien et a décidé de se l’offrir toute seule SA comédie musicale. Toutes frisettes dehors, elle ne nous laisse pas languir. Elle attaque carrément par un gros morceau : New York, New York. Ça lui permet de nous prouver d’emblée qu’elle possède un organe hors du commun en poussant la note à des hauteurs à faire pâlir Liza Minnelli herself. Après cela, la barre vocale ayant été placée tout en haut, elle n’a plus besoin de verser dans la démonstration ou de chercher la performance à tout prix. Cueillis à froid, les spectateurs connaissent le grand frisson dès les préliminaires. Ils sont conquis, ils sont acquis. La Chollet peut désormais s’amuser avec eux et les emmener là où elle veut.

Entourée de deux musiciens héroï-comics, elle va nous raconter sa vie pendant près de deux heures. Pas très autobiographique sa vie. Elle mélange avec ses expériences personnelles avec quelques destinées célèbres. Elle se permet quelques petites licences en inventant une sorte de conte fantastique. Telle le Petit Poucet dans les bois, elle nous balade en semant ça et là une kyrielle de petits détails qui sont pour nous autant de facétieux repères. Des figures familières surgissent au détour d’un arbre. Certaines appartiennent à notre patrimoine enfantin, d’autres sont tout à fait contemporaines. Chaque chemin emprunté possède son tableau d’affichage, sa thématique. C’est après qu’elle emprunte moult sentiers de traverse. Vous, sentiers ? J’en suis fort aise. Et bien chantez maintenant ! Et elle chante. Elle chante en explorant les genres. Comme elle excelle dans tous les registres, elle nous fournit un programme très éclectique. Personnellement, je ne la trouve jamais aussi bonne que dans le répertoire jazzy-swing et dans les ballades. Là, elle me fait toucher le ciel. Pourtant, elle s’avère tout aussi efficace en confrontant plusieurs générations de rappeurs ou dans la bonne vieille chanson française. Mais elle n’aime rien tant que de dénaturer, de s’aventurer là où on n’oserait pas l’attendre. Faire du Guy Béhard rock par exemple… Ou d’hispaniser Mylène Farmer.

Christelle Chollet et Rémy Caccia
Le texte de Rémy Caccia est très intelligent, très malin, truffé de bonnes idées. Il fait montre d’un sens de l’observation très aigu, satyrique, impertinent, et même vanneur. Et toujours drôle. Christelle sait le mettre en valeur avec ses dons de comédienne, son sans de la rupture, son œil qui, comme son cheveu, frise, son sourire tour à tour mutin et enjôleur. Christelle Chollet est une fille facile. Dans le sens noble du terme. Facile en ce sens où elle sait tout faire en donnant l’impression que c’est naturel. Et pourtant, il y en a du travail en amont ! Le terme « bête de scène » est hélas tellement galvaudé, c’est cependant le plus précis que l’on puisse employer pour qualifier sa performance. Tant sur le plan physique que vocal.

Elle est parvenue à un stade où il est temps désormais d’envisager de métamorphoser son nom en « Christelle Showllet ». L’aspect show est tellement évident, confondant, jouissif. Comic-Hall est un spectacle total. Tout le monde, toutes générations confondues, y trouve son compte ; et son conte aussi.
Je ne veux pas en dévoiler plus. Sachez que Christelle peut passer sans transition d’un grand moment de folie pure à une plage d’émotion intense. Dans le premier cas, on se poile, dans le second, on les a grave, les poils…
Je me refuse à être complaisant. J’ai toujours essayé d’être honnête, objectif et sincère dans mes jugements. Mais ça fait belle lurette que je suis devenu un inconditionnel de cette jeune femme pétulante, touchante, généreuse, infiniment drôle et monstrueusement talentueuse. Elle me surprend et me ravit à chaque spectacle. Et pourtant, je la cherche la petite bête. Là, une fois encore, je n’ai trouvé qu’une formidable bête de scène…


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 8 août 2015

Quitte ou double

Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche / Pigalle

Comédie écrite par Jeff Didelot
Mise en scène par Dominique Mérot
Avec Hélène Derégnier (Laure), Philippe Gruz (Jean-Pierre), Jeff Didelot (Arsène)

Présentation : La vie est une partie de poker.
Un anniversaire de mariage qui se passe mal… Un invité de dernière minute… Aux révélations sulfureuses vont succéder les trahisons les plus honteuses…
Dans cette partie où se mêlent argent et sentiments, personne ne jouant vraiment carte sur table, les bluffés ne sont pas toujours ceux que l’on croit !

Mon avis : Pour bien apprécier cette comédie, il faut aimer le jeu. Le jeu sous toutes ses formes. Et, plus particulièrement les jeux de l’amour et du hasard. Ici, ils ne sont pas vraiment compatibles. En effet, Comment Laure pourrait-elle sentimentalement faire confiance à son mari Jean-Pierre, joueur de poker invétéré, qui les a mis sur la paille alors qu’il était à la tête d’une société florissante et que, pendant six-sept ans, ils ont connu la belle vie ? Même s’il lui a promis de ne plus toucher une carte depuis trois ans, le doute subsiste. Il faut reconnaître que Jean-Pierre cumule les vices. En plus de son addiction au jeu, il est menteur (ce qui est utile au poker mais pas en ménage) et volage. C’est un peu le mufle étalon. Quoi que le terme « étalon », d’après son épouse, ne soit pas celui qui lui convienne le mieux… Lassée par les frasques de Jean-Pierre, Laure a décidé que leur dixième anniversaire de mariage serait le signal de l’hallali. Mais, comme dans toute bonne comédie, les choses ne vont pas se passer comme prévu car un troisième personnage va faire irruption et le jeu de construction bien ajusté de la jeune femme va se transformer en chamboule-tout…

Photo : Fabienne Rappeneau
Un peu contre le cours du jeu, Laure va devoir endosser le rôle de dame de cœur et participer tant bien que mal à ce poker menteur entre un valet qui a perdu tout son trèfle et un roi qui pique son argent. Chacun cache plus ou moins bien son jeu d’autant que, désormais, sur le tapis, il n’y a pas que de l’argent car deux d’entre eux veulent aussi miser sur leur pouvoir de séduction.
Pour jouer cette partie à trois, il y a sur scène un brelan de sacrés bons comédiens. Jean-Pierre (Philippe Gruz) et Arsène (Jeff Didelot), totalement dissemblables, forment une belle paire. Leurs différences, et physiques et psychologiques, sont un des atouts de cette comédie et la rendent crédibles. Philippe Gruz joue à la perfection le mec pitoyable, veule, cachottier. Pris au piège de ses dettes de jeu et voulant se refaire in extremis, on peut dire que c’est un gros acculé… Quant à Jeff Didelot, lui, il a le beau jeu. Il joue gagnant-gagnant sur tous les tableaux. Aux yeux de Laure il est l’as des as. Autant son mari lui semble mièvre et inconsistant, autant Arsène lui paraît carré… Hélène Derégnier déploie tout au long de la pièce un très large éventail de jeu. Quelle panoplie ! Elle maîtrise parfaitement tous les paramètres de l’art de la comédie. Elle peut se montrer avec autant de véracité naïve, rouée, coquine, victime, touchante, ridicule, conquérante et, surtout, très, très drôle… Elle a toujours le ton juste.

Photo : Fabienne Rappeneau
Enfin, il y a le texte de Quitte ou double. Il repose évidemment sur les dialogues. On y retrouve la patte de Jeff Didelot. Les échanges sont vifs, souvent acides ; les jeux de mots abondent (il y en a deux ou trois qu’il pourrait éviter, mais il y a de jolies trouvailles), C’est truffé de sous-entendus équivoques et d’insinuations un tantinet salaces (normal, on est entre adultes de plus en plus consentants). On y retrouve également son appétence pour un name dropping de bon aloi et les clins d’œil à l’actualité.
Bref, lorsqu’on assiste à cette pièce à la Comédie de Paris, on a plus envie de « doubler » nos encouragements que de « quitter » la salle. C’est plaisant, sympathique, on ne se prend pas la tête. Un bon spectacle d’été, quoi…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 6 août 2015

Rue de la Belle Ecume

Théâtre Déjazet
41, boulevard du Temple
75003 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Spectacle musical d’après une idée originale de Christian Faviez
Ecrit par Christian Faviez
Composé par Philippe Brami
Arrangé et dirigé par Roland Romanelli
Musiciens : Roland Romanelli ou Pierre Polvèche (accordéon, piano et accordina), Jeff Mignot ou François Combarieu (guitare)
Chant et comédie : Emily Pello, Laurent Viel
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Voix de la radio : Patrice Laffont

Présentation : Rue de la belle écume, le spectacle qui revisite la chanson française…
En ces temps pas si lointains, à la fin du disque, le bras se retirait. Le personnage de la chanson se retrouvait alors seul dans le noir du vinyle. Mais il était là ! Plus vrai que vrai, indubitablement vivant par la grâce et le talent de son créateur. Il était gravé à jamais dans le sillon de la conscience collective.
Un poète meurt, pas sa poésie !
Ce spectacle donne la parole aux personnages de chansons. Comme Proust se souvient de la madeleine, la Madeleine se souvient de Brel ; l’Aigle Noir chante sa rencontre avec Barbara ; le Gorille de Brassens a fait des petits et la Jolie Môme de Ferré a vieilli… Ainsi va la vie de l’autre côté de la réalité comme elle va de ce côté-ci…

Mon avis : Je suis de ceux qui pensent que Guy Béart s’est fourvoyé en affirmant qu’il n’y avait « plus d’après à Saint-Germain des Prés ». Je me range plutôt du côté de Charles Trenet qui proclame si justement que «  longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues ». C’est tout à fait ce qui se passe plus précisément dans la rue de Belle Ecume, quartier populaire bien éloigné du microcosme germanopratin. D’une part hier et aujourd’hui y font bon ménage, mais on y célèbre également avec passion le culte de « l’après ».
Non seulement on y entretient un amour fervent pour nos plus grands artistes et pour les chansons qui sont à jamais rangées dans le grand juke-box de notre patrimoine, mais on y a eu la magistrale trouvaille de faire revivre les personnages qui en étaient l’âme.

Quelle superbe idée que de redonner vie à la Madeleine que Brel a attendue en vain. Le tram 33 a continué sa route sans eux et les frites chez Eugène ont refroidi dans leur assiette. Aujourd’hui, celle-qui-n’est-pas-venue a 75- ans et elle raconte la vie qu’elle a eue loin du Grand Jacques… Et cette coquine de Paulette, la fille du facteur, qui faisait tourner les têtes et tirer la langue à ses cinq prétendants en pédalant plus énergiquement qu’eux, elle se souvient bien de cette époque pleine d’insouciance et de son petit préféré, Ivo…
Cet astucieux procédé, on peut le décliner à l’envi. Rue de la Belle Ecume, on se contente d’en développer une douzaine. Mais quelle douzaine : Brel, Piaf, Ferré, Brassens, Vian, Trenet, Dalida, Montand, Fernandel, Barbara, Bécaud, Aznavour. Et quelles chansons aussi ! De celles qui comptent, qui ont marqué, marquent et marqueront plusieurs générations.

Je me suis senti bien Rue de la Belle Ecume. Il y flotte le doux parfum de la nostalgie. On ressent l’émotion partagée de tous ceux qui y ont fait halte pour un soir. Mais on y rit aussi. Je pense que Tonton Georges eût follement apprécié de savoir que la brève idylle d’un soir à l’abri d’un « maquis » entre son Gorille et le juge a eu un fruit… En revanche, Fernandel eût sans doute moins apprécié la propre version de Félicie à propos de leur soirée. Il n’y tient pas le beau rôle. La vengeance a posteriori de la jeune Bourguignonne est aussi savoureuse que légitime. C’est bien d’avoir un deuxième son de cloche…
Et ainsi de suite… Chaque chanson possède son épilogue et il ne faut pas tout dévoiler car la Rue de la Belle Ecume est peuplée de gentils fantômes.

Cette « écume » qui vient nous rafraîchir les idées est en fait celle qui, portée par la bise, vient de la Mer de Charles Trenet pour humecter délicatement les plages de nos chers vieux vinyls. Ecume des jours pour laver l’honneur du Déserteur de Vian ; écume des nuits pour permettre à un Aigle Noir de tenter d’apaiser les élancements d’une horrible blessure…

Je n’ai guère que deux petits (minuscules) reproches à adresser à l’auteur, Christian Faviez. Tous ses textes sont impeccables. Mais, en bon pinailleur que je suis, j’aurais aimé que Madeleine nous explique plus en détails pourquoi elle n’est pas venue au rendez-vous… Et puis je pense qu’il eût été plus poignant que les confidences de L’Aigle Noir évoquent plus explicitement le drame qui a amené Barbara à écrire cette métaphore…


Mais, si notre passage Rue de la Belle Ecume nous laisse au cœur et à l’âme un souvenir encore plus profond, on le doit surtout à un quatuor d’artistes absolument épatants. Pierre Polvèche et François Combarieu, les deux musiciens qui officiaient hier à la place de Roland Romanelli et Jeff Mignot sont en tout point remarquables.
Et puis il y a les deux chanteurs. J’avoue avoir pris une claque. Pour paraphraser André Manoukian : « Ils m’ont fréquemment fait dresser les poils »… Tous deux, très complices et complémentaires, possèdent des voix rares, une diction parfaite et un sens aigu de la comédie… Laurent Viel est un artiste de music-hall complet. Il est sensible, drôle, totalement habité par ses personnages, très à l’aise avec son corps. J’avais déjà assisté à ses tours de chants et il n’a fait que confirmer l’immense talent que je lui connaissais.
Quant à Emily Pello… Ah, Emily ! Je suis tombé sous le charme. Elle a une présence, une prestance et un tempérament absolument étourdissants. Non contente de faire ce qu’elle veut avec sa voix, de nous émouvoir ou de faire le pitre, elle dégage une sensualité qui aurait indubitablement séduit Brassens. Sa « Vénus callipyge », c’est elle.

En conclusion, si vous ne savez pas où aller dans Paris en ce mois d’août, courez Rue de la Belle Ecume au Déjazet. Vous y vivrez sincèrement un grand moment d’émotion et de plaisir purs…


Gilbert « Critikator » Jouin