jeudi 15 octobre 2015

Enorme !

Théâtre de Paris
Salle Réjane
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81

Une pièce de Neil Labute (Fat Pig)
Adaptée par Marie-Pascale Osterrieth et Charlotte Gaccio
Mise en scène par Marie-Pascale Osterrieth
Décors de Pierre-François Limbosch
Lumières de Laurent Castaingt
Costumes de Charlotte David
Musiques de Jacques Davidovici
Avec Charlotte Gaccio (Hélène), Julie de Bona (Julie), Bertrand Usclat (Thomas), Thomas Lempire (Quentin)

L’histoire : Quentin voudrait sortir avec Julie, qui voudrait être avec Thomas, qui la mène en bateau. Jusqu’au jour où Thomas tombe amoureux fou d’Hélène, une jeune femme brillante, drôle, sexy, mais qui est ronde… très ronde. Combien d’insultes devra-t-il entendre avant de se lever pour défendre la femme qu’il aime ? Obligé de se justifier auprès de ses collègues de bureau, sera-t-il prêt à assumer ?

Mon avis : J’avais beau être accoutumé à ce que l’on distribue TOUJOURS d’excellentes pièces dans la salle Réjane du Théâtre de Paris, j’avoue que j’étais un peu tiède en y venant car le thème de Enorme ! ne me semblait pas très attractif. Or, la programmation de la salle Réjane perdure dans son sans-faute en mettant cette pièce à l’affiche puisque j’ai passé une fois encore un vraiment bon moment. Et, au vu des bravos enthousiastes qui ont accompagné les saluts à la fin, je n’étais pas le seul à avoir ressenti ce plaisir.

A cela, il y a plusieurs raisons…
D’abord, il faut saluer le remarquable travail d’adaptation effectué par Marie-Pascale Osterrieth et Charlotte Gaccio de Fat Pig, la pièce de Neil Labute bardée de récompenses à Broadway et à Londres. Elles ont eu le talent d’en faire une comédie à la française, avec des dialogues vifs et percutants, saupoudrés de quelques allusions et clins d’œil « bien de chez nous ».


Ensuite, il y a la distribution. Là aussi, c’est un sans-faute. On a du mal à imaginer d’autres comédiens à la place tant ils incarnent leurs personnages à la perfection. A certains moments, ils sont tellement habités qu’on n’a plus l’impression qu’ils sont en train de jouer.
Dans le rôle d’Hélène, Charlotte Gaccio est absolument épatante. On peut dire que les gènes ont été bien transmis, et par la maman (dans le jeu, le sens de l’humour, la sincérité et l’art de se réfugier dans l’autodérision), et par le papa (dans la capacité à manier la plume et les mots). On sent qu’elle a mis beaucoup – sinon tout – d’elle-même dans ce personnage, dans ce qu’elle dit et dans sa psychologie. Hélène est quelqu’un de foncièrement attachant. Elle est lucide, cash, malicieuse, pleine de joie de vivre (ah, ce joli rire perlé si communicatif !), charmeuse, taquine et, surtout, elle s’assume. Elle se protège néanmoins à grand renfort de pirouettes et de blagues, jusqu’à ce qu’on la découvre totalement désarçonnée de se voir courtisée.
Hier soir, dans le rôle de Thomas, Bertrand Usclat était remplacé par Guillaume Pottier. Ce dernier m’a complètement bluffé. Quelle palette de jeu, quelle finesse, quelle justesse ! Il était complètement dedans. Il ETAIT Thomas, un jeune homme performant dans son travail, mais très emprunté, voire coincé, dans ses relations avec les femmes. Il est doux, rêveur, mal assuré, intègre. Il faut voir la précision de ses gestes lorsqu’il est dans l’embarras ; ce qui, hélas pour lui, arrive très souvent.


Thomas a la (mal)chance de compter sur la présence au bureau de Quentin, un collègue qui est son contraire absolu. Quentin a l’art de se faire détester. Il est vanneur, cynique, sûr de lui, mufle. Il se mêle de tout, il trahit sans vergogne et sans remords bref, il est le félon type. Thomas Lempire l’interprète avec un naturel désarmant. Il est celui qui met du poil à gratter dans ce qui ne pourrait être qu’une gentille romance. Mais il est aussi la personne qui synthétise le regard quasi général que nous portons sur les individus en surcharge pondérale, un regard qui, avouons-le, est souvent sans complaisance. Il dit tout haut ce que la plupart d’entre nous pensent tout bas. Son rôle est primordial car il est déclencheur.
Quant à Julie, elle est également indispensable au bon équilibre de la pièce. Elle, elle a tout pour elle. Joli minois, plastique irréprochable, rouage important au boulot, elle devrait être heureuse et épanouie. Or, c’est une romantique, une sentimentale et, pire encore, une femme amoureuse qui va se sentir bafouée. Julie de Bona est impeccable dans ce rôle délicat de femme en souffrance qui essaie tant bien que mal de sauver les apparences. Alors, elle rentre dans le tas avec une fougue et une véhémence impressionnantes. C’est un véritable robinet à paroles, une mouche qui virevolte, qui agace jusqu’à ce qu’on ait envie de l’écraser. Quel tempérament !

Enfin, et c’est la troisième grande qualité de ce spectacle, il donne à réfléchir. Il nous place tour à tour dans les deux camps. Celui des gens physiquement « normaux », représentés par Julie et Quentin, et dans le camp d’Hélène qui exprime son ressenti. Pour les premiers, on évoque l’incommodité que l’on a à s’adresser naturellement à quelqu’un d’enveloppé, on énumère les ostracismes, les lieux communs et les idées reçues… Quant à Hélène, elle exprime ses difficultés à se faire accepter par les autres, sa hantise de leurs jugements, sa conscience que l’on n’aime guère « s’afficher avec une grosse », son exigence d’honnêteté vis-à-vis d’elle…
Beaucoup de vérités sont ainsi assénées, souvent crûment. Enorme ! est une pièce « rondement » menée où l’on rit les trois-quarts du temps (grâce aux dialogues et au jeu hyper-précis des comédiens) mais qui donne aussi à réfléchir. Il s’en dégage beaucoup d’émotion, mais sans jamais tomber dans la mièvrerie ou le pathos… Pour toutes les raisons que je vous ai développées, c’est une pièce qui vaut vraiment le coup d’être vue.


Gilbert « Critikator » Jouin

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