samedi 28 novembre 2015

Mathieu Madénian

Le Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel :
Métro : Montparnasse Bienvenue

Seul en scène écrit par Mathieu Madénian
Mis en scène par Kader Aoun

Présentation : Dans ce monologue aux accents pagnolesques, Mathieu Madénian se livre sans tricher, et nous raconte les péripéties de son quotidien avec une énergie comique qui n’appartient qu’à lui.
De ses déboires amoureux d’éternel adolescent presque marié à ses aventures médiatiques qui l’ont conduit du canapé de Michel Drucker aux colonnes de Charlie Hebdo, tout est prétexte à rire pour ce roi de l’autodérision qui sait saisir ce qu’il y a d’universel dans chacune de ses histoires personnelles, et réussit le tour de force de nous parler de nos vies à tous en racontant sa vie à lui.

Mon avis : Mathieu Madénian a retrouvé son élément ; la scène. C’est bien là l’endroit où il peut le mieux s’exprimer ; encore plus librement. Et, surtout, non enfermé dans des contraintes thématiques de chroniqueur, il peut développer et s’expliquer sur certaines thèses qui lui tiennent plus particulièrement à cœur. Paradoxalement, sur scène, il est moins en représentation. Il est lui-même, plus naturel, plus spontané, moins dans la posture.
Sur scène, Mathieu Madénian est une sorte de jeune fauve qui a envie de s’amuser et de se sentir cajolé par son public. Entre chacun de ses nombreux coups de griffes plus taquins que méchants, il utilise habilement le velours des coussinets pour adoucir l’éraflure qu’il vient de provoquer. Pas toujours quand même, et heureusement.


Après avoir prêté sa scène à son pote, l’excellent Thomas VDB, qui nous narre avec son phrasé et sa gestuelle si personnels ses tribulations de fumeur de joint ou ses errements d’acheteur de livres compulsif, Mathieu Madénian surgit, barbe de deux jours et demi, sourire aux lèvres et œil qui frise. Il est dans l’attitude d’un mec qui va livrer un combat d’un peu plus d’une heure et qui se réjouit à l’avance de l’impact de ses vannes sur son public. Un public qui se révèle bien éloigné en âge de celui qu’il aimait tant provoquer et choquer dans l’émission de Michel Drucker. Ses spectateurs appartiennent en effet quasiment à tous à ce que l’on peut appeler désormais « la Génération Bataclan ». C’est un public friand de vannes, prompt au rire, très à l’écoute, un public qui se conduit plus dans le respect que dans la familiarité. On y déplore ainsi pas la présence de ces vociférateurs idolâtres qui polluent souvent les spectacles d’autres humoristes. Et c’est bien agréable car on ressent une vraie atmosphère d’attention et de partage.

Mathieu Madénian fait du stand-up. Il est très à l’aise dans ce registre où la tchatche est le nerf de la guerre. N’oublions pas qu’il se destinait à une carrière d’avocat. Même s’il comptait se spécialiser dans la criminologie, il adopte sur sa scène (de crimes ?) une double attitude. Il s’érige aussi bien en procureur qui nous fait part de ce qui le révolte, de ses indignations et qui fustige certaines aberrations de notre société qu’il se comporte souvent en avocat de sa propre défense. Il ressent le besoin parfois de se justifier. De son goût pour les blagues racistes par exemple, ou de son appétence (Larousse : désir instinctif qui porte vers tout objet à satisfaire un penchant naturel…) pour l’humour noir et les images trash.

Comme tout Arménien qui se respecte (il vient de Perpinian, cette enclave des Pyrénées très Orientales), Mathieu Madénian est velu. Mais son système pileux est constitué essentiellement de poil à gratter. Sa toison, c’est de la toile émeri. Mais je suis certain que, plus on s’approche de son cœur, elle se mue en fourrure accueillante. Il a beau jouer les provocateurs en se plaisant par exemple à égratigner ses proches ou les personnes qui comptent pour lui, on sent poindre chez lui une authentique tendresse. Et peut-être encore plus aujourd’hui.


De toute façon, il est honnête. Il avoue ainsi que, pour ce qui le concerne, « le gros mot, c’est un outil de travail ». Et il est équipé le bougre ! Ayant déjà beaucoup apprécié son premier spectacle, je lui attribue désormais le qualificatif de « Cynique jovial ». Cet oxymore lui convient parfaitement.
Mathieu Madénian, qui semble adapter sa prestation en fonction de son public (ce qui apporte en plus petit côté improvisation réellement jubilatoire), se raconte. Il nous relate en fait les principaux événements qui ont succédé à ses aventures du premier one man show : ses démêlés avec le FN, les réfugiés, Michel Drucker, ses débuts au cinéma, son premier appartement, son shake up, ses relations avec ses parents, le porno sur Internet, le décès de sa tante, les attentats… On s’aperçoit bien vite que tout ce qui le concerne nous concerne tout autant. Il se veut témoin de son temps. Partant de son propre vécu, il va du personnel à l’universel. D’où l’atmosphère de proximité qu’il établit avec son public.

Et comme il se confirme ce que l’on avait déjà remarqué, à savoir qu’il est un très bon auteur sous plafond et qu’il fait preuve sur scène d’une « belle énergie » communicative, On passe dans cette salle du Grand Point Virgule un très bon moment empli d’un humour régénérateur si nécessaire pour nous aider à traverser une période aussi bouleversée.
Avec les traumatismes qu’il a subis, Mathieu Madénian, sans jamais s’en arroger le droit, nous donne le parfait exemple de ce qu’est un homme, un artiste debout.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 27 novembre 2015

Résiste !

Le Dôme de Paris - Palais des Sports
34, boulevard Victor
75015 Paris
Tel : 01 48 28 40 10
Métro / Tram : Porte de Versailles

Comédie musicale de France Gall et Bruck Dawit
Mise en scène par Ladislas Chollat
Adaptation et co-dialogues de Laëtitia Colombani
Chansons écrites et composées par Michel Berger
Chorégraphies de Marion Motin
Scénographie d’Emmanuelle Roy
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Création vidéos de Nathalie Cabrol
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Avec Léa Deleau (Maggie Bouvier), Elodie Martelet (Mandoline Bouvier), Gwendal Marimoutou (Tennessee), Victor Le Douarec (Mathis), Corentine Collier (Angelina Dumas), Laurent Hennequin (monsieur Bouvier, le père), Benjamin Akl, Jocelyn Laurent, Louya Kounkou (Les Princes des villes), Stéphane Roux (monsieur Dumas)…

L’histoire : Tous les soirs, c’est au club Lola’s que les Papillons de Nuit se réunissent pour chanter, danser et rire jusqu’au bout de la nuit et les Princes des villes, ces flambeurs au cœur tendre, viennent y draguer sous les lumières électriques, tandis que le mystérieux Mathis soulève l’enthousiasme lorsqu’il s’installe à son piano… La célèbre boîte de nuit est tenue par Maggie, son père et sa sœur cadette Mandoline. Ce trio de choc travaille d’arrache-pied pour faire tourner l’entreprise familiale et la sauver de la faillite.
Avec la complicité de Tennessee, fils de cœur de la petite tribu, et d’Angelina, la meilleure amie de Maggie, ils tenteront de sauver ce lieu magique empli d’histoire et de souvenirs. Mais un soir, suite à un événement tragique, l’heure est à la remise en question. Ce drame pousse Maggie à prendre en main sa destinée, l’incite à réaliser ses rêves et à ouvrir son cœur.

Mon avis : Ce que j’ai trouvé bien dans Résiste !, c’est que cette comédie musicale repose une intrigue solide. C’est certes une histoire d’amours et d’amitiés, teintée de beaux sentiments, mais elle repose aussi sur une réalité sociale tout en entretenant un véritable suspense.
J’ai aimé plein de choses. Comme ça, en vrac, j’ai été émerveillé par le premier tableau qui est constitué d’une vue plongeante sur les toits de Paris. On dirait un dessin de Tardi. C’est vraiment superbe… Ensuite, tout au long du spectacle, j’ai apprécié l’esthétique des images et des vidéos projetées et l’utilisation ingénieuse des décors coulissants et pivotants… Les chorégraphies, particulièrement sur Débranche, sont vraiment originales, tout en ruptures, saccadées, même si, par la suite, elles se font quelque peu répétitives… La présence du trio des Princes des villes est une excellente trouvaille. Avec leurs dialogues décalés, leur prestance, leur façon de bouger et leurs costumes pour le moins pittoresques, ils apportent un vrai plus à la faune qui fréquente le Lola’s… D’ailleurs, toutes les tenues de scène, chatoyantes et bigarrées, sont vraiment soignées…


Toujours dans la partie positive de ce spectacle, tous ses principaux protagonistes démontrent qu’ils sont aussi bons comédiens que chanteurs et danseurs. Leur jeu à tous est juste, naturel et crédible. Résister, bien sûr… Mais on ne peut pas résister au charme de Léa Deleau, Elodie Martelet et Corentine Collier. Toutes trois fraîches et jolies, chacune avec sa propre personnalité joue impeccablement sa partition… J’ai également eu la confirmation de l’énorme potentiel de Gwendal Marimoutou. Ce garçon, que j’avais déjà remarqué, sait tout faire. Il se dégage de lui quelque chose d’évident. Je pense qu’il peut légitimement rêver à une jolie carrière…

Sinon, j’ai aimé l’idée de faire de France Gall la narratrice de l’histoire de Maggie, le groupe de cinq musiciens qui jouent en live, la voix grave et bien timbrée de Laurent Hennequin, l’élégance innée de Stéphane Roux, la chorégraphie au ralenti sur Quelques mots d’amour, l’ambiance festive autour de La groupie du pianiste, la façon habile dont sont amenées les chansons Comment lui dire, Ma déclaration et Résiste !, la douce mélancolie qui berce Si maman si et le clin d’œil à Michel Berger via un poste de radio... J’ai également trouvé épatante la gamine qui donne la réplique à France Gall sur les parties narratives de l’histoire.


Les quelques rares reproches que je peux adresser sont de plusieurs ordres :
La musique est vraiment trop forte sur deux titres (Papillon de nuit et La chanson de Maggie)… Enfin, j’ai trouvé que la séquence de fin qui nous montre Maggie dans sa course effrénée vers Le Havre était un peu trop longuette.

Le positif l’emporte donc largement. J’insiste vraiment sur la qualité du casting. Quant aux chansons de Michel Berger, il est inutile de préciser une fois de plus que se sont juste de pures merveilles à jamais gravées dans notre mémoire collective.


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 24 novembre 2015

Cousins comme cochons

Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche / Pigalle

Le dimanche (16 h) et le lundi (20 h)

Une pièce écrite et composée par Nicolas Lumbreras
Mise en scène par Nicolas Lumbreras
Directeur artistique : Pierre Palmade
Avec Emmanuelle Bougerol, Christophe Canard, Constance Carrelet, Johann Dionnet, Lionel Erdogan, Benjamin Gauthier, Nicolas Lumbreras, Rudy Milstein ou Yann Papin

Présentation : Cousins comme cochons, c’est une nouvelle recette de la Troupe à Palmade, une louche de comédie musicale dans une soupière de vaudeville.
Comme tous les mercredis, monsieur Félicien de Tartasse part à la chasse de 14 à 18 heures et, pendant ce temps-là, comme tous les mercredis, sa femme reçoit son amant. Seulement, ce jour-là, monsieur décide de rentrer deux heures plus tôt que prévu…

Mon avis : Bien que ce ne soit pas évident à prime abord, tout l’esprit de cette pièce est contenu dans son titre.
Ainsi qu’ils le chantent eux-mêmes, ils sont « cousins-sins » ; complètement zinzins ! Or, en plus d’être gravement affectées par cette zinzinerie chronique, il s’avère qu’ils quasiment tous, à des degrés divers, cochons. Si Félicien de Tartasse n’en fait pas partie, il se rattrape largement avec d’autres travers mais qui ne sont pas de porc (ou alors de port d’arme). Quant à Bertrand le jardinier, il est sourd, au propre comme au figuré à l’appel des sens…
Madame de Tartasse est une cochonne qui s’assume, son amant est un cochon romantique, Léontine, la servante, est une cochonne en devenir, le notaire est un cochon spasmodique, et le Préfet est un cochon rose… Et on a même droit à un moment à un cochon sauvage, un cousin (lui aussi) de la famille des sangliers.
Si on ajoute à cela quelques cochonneries et autres ébats et mots cochons, vous comprendrez le ton gentiment grivois de cette pièce. Or, si l’auteur, le metteur en scène et les comédiens qui permettent d’arriver à bon port, c’est parce que, dans le cochon, tout est bon. Comme dans cette parodie de vaudeville musical. Il y a certes des goûts et des saveurs différents, mais c’est ce qui en fait son charme.


Effectivement, l’esprit de Georges Feydeau plane sur Cousins comme cochons. Dès que monsieur de Tartasse apparaît et qu’il nous explique sa passion de la chasse, on ne peut que penser à Monsieur chasse. Et qui va à la chasse perd sa place, surtout dans le lit conjugal. On nous a fignolé là un spectacle particulièrement réjouissant, mélangeant avec gourmandise plusieurs genres et donnant la part belle au burlesque. Il faut par exemple prêter beaucoup attention aux "bêtises" qui se passent sur scène en arrière-plan.
Nicolas Lumbreras nous a concocté une mise en scène… de chasse ; de chasse à courre : à cours après moi que j’ t’attrape ; j’t’attrape, nigaud ; nigaud driole ; driole de guerre ; guerre en dentelles, etc… Le résultat est cocasse à souhait. C’est d’autant plus réussi que les comédiens jouent avec un sérieux imperturbable (bien que certains succombent parfois à un vrai fou-rire), des scènes qui ne le sont pas.
On s’amuse tout le temps. Dialogues décalés, allusions coquines, déplacements outrés, gestes appuyés et attitudes volontairement théâtrales, la pièce est truffée de clins d’œil, de clichés, de quiproquos. C’est complètement farfelu, complètement fidèle à l’univers déjanté de la Troupe à Palmade.

Pendant que sa patronne commet quelques écarts de conduite, Léontine, la servante, nous en offre un grand écart pour de vrai. Monsieur de Tartasse est une espèce de Tartarin benêt, infatué et sanguinaire (tout au moins à la chasse). Monsieur Colette est un préfet… miné, mais qui le proclame. L’amant possède tous les attributs physiques d’un prince charmant de dessin animé. Le notaire a visiblement quelques soucis pour gérer sa libido. Et le jardinier nous livre un grand numéro de diction approximative et de gestes
Ajoutez à cela des chansons improbables, des chorégraphies farfelues, un duo entre un lapin et une poule faisane, un étourdissant soliloque en franglais, un travelo militant(e) indigné, un arbre qui pousse la chansonnette, le tout accompagné par un pianiste en live, vous touillez le tout et vous obtenez un spectacle complètement loufoque et jubilatoire interprété à la perfection par une joyeuse bande de doux dingues bien barrés.


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 21 novembre 2015

Jean-Marie Bigard "Nous les femmes"

Les Folies Bergère
32, rue Richer
75009 Paris
Tel : 08 92 68 16 50
Métro : Grands Boulevards / Cadet

Seul(e) en scène écrit par Jean-Marie Bigard, Fabien Delettres, Jérôme Barou

Présentation : L’humoriste fête comme il se doit son dixième spectacle. Pour l’occasion, il donne la parole à la gent féminine. Il endosse donc un costume de femme et fait son premier one woman show… Les hommes vont en prendre pour leur grade, et lui le premier !

Mon avis : Nous les femmes, le dixième spectacle de Jean-Marie Bigard est, en fait, un deux en un car, pour le prix d’un billet, vous avez droit à deux artistes sur la scène des Folies Bergère.
En première partie est en effet programmée une « artiste » qui effectue à plus de 60 ans ses premiers pas dans l’univers du one woman show. Je pense que le prénom qu’elle nous propose est un pseudo. En réalité, j’ai l’intime conviction que cette brave dame n’est autre que Jeanne-Marie la sœur jumelle cachée de Jean-Marie Bigard… Cela n’engage que moi bien sûr, mais il y a trop d’éléments qui m’ont amené à le subodorer. Leur gémellité est autant comportementale que verbale. Sous la robe d’un rouge éclatant qui fait mal aux yeux, se cache une matrone de fer au langage fleuri, forte en gueule et en indignations. Une authentique virago, quoi (Petit Larousse : femme d’allure masculine, autoritaire et criarde) !


Après nous avoir raconté ses trois mariages, tout en prodiguant quelques « sages » conseils à sa nièce de 18 ans, elle commence à régler ses comptes avec la gent masculine. Bien que néophyte dans le métier, elle frise visiblement l’orgasme quand elle se fait huer par le public masculin. Ne mâchant pas ses mots, pleine de bon sens et se réfugiant derrière une logique irréfutable, elle évoque les nombreux sujets de conflit opposant les deux sexes. Et, lorsqu’elle va jusqu’à aborder le problème de la sodomie, ce n’est pas sans fondement…
Pourtant, en dépit de ces propos gaillards, elle laisse parfois filtrer une vraie tendresse, particulièrement à l’adresse de feu son troisième mari.
Vous l’aurez compris, pour un coup d’essai, cette artiste débutante a réussi un coup de maîtresse (femme). Et elle mérite amplement les applaudissements nourris qui accompagnent son départ en coulisses.


Pour la deuxième partie, c’est Jean-Marie himself qui reprend la main. Fort de cette transposition (du missionnaire), il s’appuie sur les propos de sa devancière pour énoncer une sorte de mea culpa plus ou moins sincère quant à son attitude parfois un peu abrupte vis-à-vis des femmes. Mais, passé ce court moment de faiblesse, le mâle se rengorge de nouveau du jabot, et le naturel reprend le dessus. Bigard fait du Bigard. Même s’il consacre un long chapitre à sa double paternité, son langage, imagé et vert, est toujours aussi peu châtié. Notre chevalier paillard repart à l’assaut de toutes les barrières érigées par la bienséance. On retrouve tous les mots de son glossaire si personnel, ces mots qu’il est le seul à se permettre de proférer sur scène. En fait, il fait ce que son public attend de lui. Il faut entendre les réactions pâmées et les apostrophes enamourées des plus virulents de ses bigardolâtres.
En fin de spectacle, Jean-Marie se réapproprie un registre dans lequel il excelle, celui des analyses de proverbes et d’expressions.
Voilà. Nous les femmes est un spectacle 100% Bigard. Jean-Marie reste un extraordinaire et truculent conteur. C’est pour ces qualités orales hors pair qu’il restera dans les annales…


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 20 novembre 2015

Baptiste Lecaplain "Origines"

Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Edgar Quinet / Gaîté / Montparnasse

Seul en scène écrit par Baptiste Lecaplain, Benjamin Guedj
Mis en scène par Aslem Smida

Présentation : « Si j’étais fort en résumé, je ne ferais pas des spectacles d’une heure et demie ! Alors, venez voir Origines. C’est mieux, on aura plus de temps »…

Mon avis : Hier soir, le Petit Montparnasse était, pour le cas, plein comme un œuf pondu par une poule élevée en liberté dans le bocage normand. L’envie de rire et de partager était la plus forte. Et, dans ce domaine, j’ai été comblé au-delà de tout. En remontant à ses Origines, en nous racontant sa prime jeunesse, Baptiste Lecaplain réveille en nous notre part d’enfance. Le fait est que, pendant pratiquement deux heures, j’ai ri comme un gamin à l’évocation de ses souvenirs et à sa façon complètement surréaliste et cartoonesque de les narrer.
Dire que Baptiste Lecaplain bouge bien est un doux euphémisme. Il occupe la scène comme personne. Sa débauche physique est impressionnante. Sa gestuelle est aussi efficace que ses mots. Pas étonnant qu’il possède une ligne et un tonus de sportif de haut niveau. Il n’a pas besoin de passer au sauna pour éliminer.



C’est un petit garçon que nous avons devant nous. Dans tout ce qu’il raconte, il y a indubitablement une grande part de vécu, raison pour laquelle on s’intéresse vraiment à ses propos. Son spectacle est admirablement construit ou, plutôt, déconstruit. Son sens de la rupture est étourdissant. Avec un sens très abouti de la rupture, il jongle avec les évidences en les déformant soudain, en les maltraitant. A lui tout seul, il est plusieurs. Il crée des dialogues aussi réalistes que farfelus. A tout moment, le burlesque fait irruption. Il nous entraîne dans des digressions invraisemblables, tient des propos saugrenus, utilise des images ou des métaphores extravagantes.

Il y a de nombreux personnages dans Origines : ses parents, bien sûr, la boulangère, un prof machiavélique et pervers, une petite copine, un camarade bien déjanté, une psy, etc… Il les campe tous, les fait vivre devant nous à un rythme fou. Mais il va encore plus loin. Dans son spectacle, il y a un invraisemblable bestiaire. J’espère qu’il y a un préposé à sa ménagerie dans les coulisses. En effet, il fait apparaître à ses côtés un chat, un lion, un zèbre, une taupe, des éléphants, un kangourou, des vaches, un chien, une souris, un crabe, et j’en oublie… Et, le pire, c’est qu’on les voit se matérialiser et qu’on y croit. Il y a par exemple cet inénarrable discussion totalement absurde avec un cobra qui fait hurler la salle de rire ; à un point tel que l’on ne parvient même plus à comprendre ce qu’il dit. C’est d’autant plus surréaliste et barré qu’il semble en pleine improvisation.


Un vrai gamin vous dis-je. Mais pas un sale gosse. Il y a tellement de tendresse, de candeur, de fraîcheur, d’humilité, d’honnêteté et, surtout, d’autodérision qu’on a en face de nous un personnage réellement attachant. Timide, bègue, amoureux transi, rebelle de pacotille, rêveur impénitent, comment ne pas l’aimer ? On pense parfois à l’univers du Petit Nicolas.

Origines est un spectacle total, très, très visuel. Il donne l’impression parfois de partir dans tous les sens, alors qu’il est parfaitement maîtrisé. Il est remarquablement écrit avec une utilisation aussi savoureuse qu’efficace de gimmicks et de clins d’œil. Et surtout, il ne cesse d’aller crescendo jusqu’à un final hallucinant.
Avec une folle générosité, en prise directe avec le public, Lecaplain nous fait rire non stop pendant près de deux heures. Son humour, ses mimiques, ses déplacements sont très personnels. Il a vraiment son propre univers. Ce Baptiste-là, je m’en ferais bien une religion.

Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 19 novembre 2015

Eddy Mitchell "Big Band"

Polydor/Universal Music
Sortie le 23 octobre 2015

Non, non, non, Eddy Mitchell n’est pas mort, il « big bande » encore !...
Et j’en suis ravi.
Que voulez-vous, j’ai toujours aimé Eddy Mitchell. Ça fait plus de cinquante ans que ça dure. Les trois premiers 45 tours que j’ai pu m’acheter ont été ceux de Richard Anthony avec Nouvelle Vague, de Johnny Hallyday avec Laisse les filles et des Chaussettes Noires avec Tu parles trop… J’avais même eu le bonheur, débarquant de ma province, d’aller voir ces derniers sur scène à la Mutualité.

J’aime tout chez l’artiste Eddy Mitchell : sa voix, sa gestuelle très étudiée, son éventail musical, ses goûts cinématographiques, son humour second degré et, surtout, les mots de son parolier fétiche, Claude Moine.
Big Band est son trente-sixième album studio. Ça en représente des chansons ! Or, il parvient à chaque fois à se renouveler. Et, comme il puise une bonne moitié de ses thèmes dans l’actualité, il est toujours en phase avec son époque.
Cette fois, il effectue une sorte de retour en arrière en choisissant une couleur musicale spécifique, le big band, qui a connu son plein essor entre les années 1930-1960 avec des orchestres dirigés par des chefs aussi starifiés que Duke Ellington, Count Basie ou Glenn Miller.
Quand on évoque ces grandes formations, on voit aussitôt des images de musiciens très élégamment vêtus, assis derrière le pupitre et se levant lorsqu’il s’agissait de se livrer à un solo. Et qui dit Big Band dit cuivres. Ils sont en effet prédominants. S’appuyant sur une section rythmique élémentaire, ils apportent chaleur, sensualité, ambiance, swing ; une couleur qui n’appartient qu’à eux.

Dans ce domaine, l’album d’Eddy est parfaitement conforme à ce qui se pratiquait alors. Dans ce climat tour à tour feutré ou pêchue, Eddy est comme un poisson dans l’eau. Il est dans son élément. Il « croone » grave.
Inutile donc de s’étendre sur la qualité musicale évidente et irréprochable de l’album (il a été enregistré à Los Angeles avec de grosses pointures américaines et réalisé par l’inamovible et talentueux complice de toujours Pierre Papadiamandis) pour ne s’attarder que sur les chansons.

Photo : Eric Feferberg/AFP
Claude Moine a encore frappé juste. Big band ne contient que de bons textes, originaux, variés, nostalgiques, drôles… Je trouve même que sa plume s’est encore affinée. Et Eddy Mitchell a aujourd’hui suffisamment de métier et de distance pour les interpréter en leur donnant toute leur saveur.
L’album ouvre sur un titre qui prend hélas actuellement un sens encore plus fort : « Il faut vivre vite car la mort vient tôt ». On sent que cette exhortation est sincère. Quel que soit son origine, sa fonction, son métier, son sexe, ses hobbys ou ses vices, il faut profiter de la vie. Eddy y pratique un name dropping de bon aloi. Enfin, il termine chaque couplet en faisant allusion à My Way dont, ne l’oublions pas, la première phrase est « And now, the end is near »…

Après cette injonction quasi philosophique, plusieurs thèmes sont abordés.
1/ Il y a la nostalgie.
Sur une ambiance langoureuse de piano bar, Tu ressembles à hier ressemble à la longue plainte teintée d’ironie d’un amoureux déçu par le Paris d’aujourd’hui… Dans Un rêve américain, que l’on sent très autobiographique, il projette une passerelle entre Paris et L.A. ou San Francisco. Mais ses projets de départ restent velléitaires. Il décrit très finement le contraste entre la petite parisienne vie étriquée et les grands espaces américains idéalisés…
2/ Il y a l’amour.
Dans Un cocktail explosif, il se la joue gros matou malicieux qui propose sa potion magique pour provoquer un agréable abandon amoureux… Cette attitude, il la développe dans Si j’étais vous, petit coup de drague sympa. Le matou se métamorphose en nounours protecteur, passeur de baume sur les blessures de cœur. Il se hausse certes un peu du col, mais la proposition semble néanmoins fiable… Quant à Avec des mots d’amour, elle lui permet de mettre en avant une fragilité bonhomme due à la solitude. Sa tentative de rapprochement avec l’absente est teintée d’une résignation fataliste. Chanson lucide sur l’érosion du temps.


3/ Il y a la société.
Dans Combien je vous dois, il s’amuse des phénomènes de mode (yoga, méditation, défense de l’environnement, pollution). Ou l’art de se soigner soi pour sauver l’humanité. Tout cela pour finir en consultation chez le psy… Il enfonce le clou avec Je n’ai pas d’amis. Il y avoue ne pas avoir succombé au diktat des réseaux sociaux. Chanson en forme d’autoportrait dans laquelle il assume avec honnêteté son passéisme… Comme son titre l’indique, Journaliste et critique est un pamphlet acide adressé à ces frustrés qui pratiquent une certaine forme de journalisme de bas étage et qui s’arrogent le pouvoir d’avoir droit de vie et de mort sur une œuvre artistique.
4/ Et il y a l’Histoire.
Quelque chose a changé est une magnifique chanson hommage à la parole de Martin Luther King et aux retombées de son message de paix et de tolérance. Chanson humaniste, quasi militante, traitée un peu façon gospel.


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 18 novembre 2015

Yves Jamait "Je me souviens..."

Disques Wagram
Sortie le 16 octobre 2015


Je tiens Yves Jamait pour un de nos tout meilleurs auteurs-compositeurs-interprètes de cette dernière décennie.
Il est à l’image de ces vins spécifiques issus de ce qu’on appelle les « vendanges tardives ». Leur définition s’applique parfaitement à son œuvre : « Ces raisins plus mûrs donnent des vins  riches en sucre et en alcool, aux goûts puissants, souvent moelleux… ». Vous substituez le mot « vins » par « chansons » et vous obtenez du Jamait tout cru. A l’instar de ses précédentes productions (cinq albums en dix ans), le millésime 2016 est encore d’une haute teneur et d’une belle tenue.

Yves Jamait est un chanteur de proximité. Il ne nous parle que de ces choses qui émaillent notre quotidien, de ces sentiments qui nous chatouillent la tête et nous gratouillent le cœur. Son écriture – remarquable – est imagée, simple tout en étant riche, concise, précise, sans fioritures tout en restant formidablement poétique. Le garçon en a sous la casquette ! A l’écoute de ses chansons, on sent que chaque mot a été choisi (élu ?) après mûre réflexion. Chaque texte est un jeu de mécano dont chaque pièce est un élément essentiel pour que l’édifice soit à la fois solide et esthétique. C’est fignolé, raboté, souligné, ciselé. C’est de l’artisanat, quoi, dans ce que ce terme a de plus noble.

N’ayant pas le livret à ma disposition, je n’ai pas pu disséquer les textes à l’envi comme j’en ai la maladive manie. Je me suis donc contenté d’écouter le CD promotionnel en en goûtant la substantifique moelle. Je me suis laissé porter par mes sensations… Aujourd’hui, après plusieurs écoutes, je me souviens que j’ai beaucoup, beaucoup aimé Je me souviens.


Bien qu’il s’en défende, j’ai trouvé son album empreint d’une belle nostalgie. Cinq titres au moins en sont totalement imprégnés : Le temps emporte tout, Je me souviens, Les poings de mon frère, Je ne reviendrai plus, Le bleu… Quant au facteur temps, il est quasiment omniprésent. Le temps dans toutes ses formes : passé, présent, avenir. Parfois même, comme dans Je ne reviendrai plus, il tourne à l’obsession. J’ai aimé aussi ce retour vers l’enfance (Le temps emporte tout, Les poings de mon frère) à la fois chargé de tendresse et d’amertume… Et lorsque j’ai essayé de synthétiser mon ressenti, les trois mots qui se sont immédiatement imposés à moi ont été « ode à la vie ».

Par ordre d’apparition, j’ai particulièrement été séduit, ému ou amusé par :
Le temps emporte tout. C’est un peu son Mistral gagnant à lui. Images sépia d’une enfance apparemment plus que modeste. La grosse gomme du temps qui efface tout, le constat véhément que « Tout fout l’ camp », le souvenir de révoltes velléitaires, mais un réaliste carpe diem en conclusion : « La vie, c’est maintenant ». Tout cela sur un arrangement très riche qui va crescendo.
Toi. Un bijou que je qualifie de reggae-tzigane. Quelle ambiance, quel débit, quel violon, quel solo de guitare ! Chanson ultra-positive sur les vertus curatives de l’amour. Cet amour sincère et franc qui vous redonne goût à la vie. Ça swingue grave et ça donne la pêche.
J’en veux encore. Hymne à la vie. Cri de colère et de résistance. Il faut profiter de chaque instant qui passe, siroter son verre jusqu’à la dernière goutte, jusqu’à plus soif, et renouveler son désir, muer son appétit en fringale et se nourrir du moindre témoignage d’amour et de ces beaux moments qu’offre la tendresse filiale.
Réalité. De nouveau ambiance reggae pour une chanson ironique et satirique de la téléréalité et plus particulièrement des télés crochets. Dénonciation malicieuse de ce leurre télévisuel où le candidat, manipulé, n’est qu’un jouet aux mains des productions audiovisuelles et des médias.
Salauds. Une de mes deux préférées avec Toi. Superbement écrit, ce texte déclinant toutes les variétés de « salauds » est réellement jouissif. Ils sont partout ! Et puis, quelle ambiance ! C’est une formidable chanson de fin qui se termine en fanfare avec un chant choral particulièrement festif et fédérateur. Comme Réalité, ce titre devrait prendre toute sa saveur sur scène car c’est une chanson de partage.


Là, ce ne sont que les chansons que j’ai subjectivement le plus appréciées. Car j’ai tout aimé. J’ai trouvé dans chaque chanson un motif (textuel, thématique ou musical) quelque chose qui excite mon intérêt :
La vacherie subliminale et implacable de Je me souviens (pratique la mémoire sélective) ; la remarquable écriture de J’ai appris avec ses variations sur les effets du temps ; la sensation de vide, de souffrance et de désolation de D’ici, qui m’a fait penser au Désert des Tartares de Dibo Buzzati ; l’hommage vibrant et la réhabilitation d’un instrument méprisé parce que populaire, l’Accordéon ; le joli climat plein de pudeur et de tendresse de cette déclaration d’amour qu’est Les poings de mon frère ; dans Je ne reviendrai plus, tout est dit en une seule phrase : « maintenant, je vis », oubliés les erreurs commises, les espoirs brisés, les remords, les mauvais choix et ne pas ressasser « ce qu’on a fait naguère » ; l’écriture subtile, saupoudrée de très bons jeux de mots phonétiques (« laissant l’autre et l’un seul ») et de double sens (« la dernière bière ») ; l’écriture encore, particulièrement raffinée de Le bleu, avec énumération de toute la palette de ce ton pour ne finalement la réduire qu’en ce vêtement symbole de la classe ouvrière, le bleu de travail, ce compagnon de toute une vie modeste.

Ajoutez, tout au long de cet album, des ambiances musicales très colorées et variées, arrangées avec un soin extrême et, enfin, une interprétation en tout point habitée et vous obtenez avec Je me souviens, un des plus beaux albums de la cuvée 2015. A déguster sans aucune modération.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 13 novembre 2015

Valérian Renault "Laisse couler"

Abacaba / Musicast
Sortie le 6 novembre 2015

Voici là de la belle et bonne chanson française ! Et c’est bien réjouissant.
Dans Laisse couler, l’album de Valérian Renault, il y a tout ce qui fait la richesse de notre patrimoine : une belle langue avec des mots ciselés et précis servie par une diction parfaite, une voix chaude et rauque, très en avant, aux multiples inflexions, tour à tour caressante, tendre, indignée, révoltée, et des mélodies prenantes aux arrangements sobres mais classieux faisant la part belle à l’utilisation des cuivres… Il y a dans cet album habité, investi, remarquablement interprété, tout pour plaire à qui sait écouter, à qui aime se laisser surprendre puis séduire.
Voici, pour chaque titre, ce que j’ai noté à la volée, spontanément, sans aucun exercice de style. Rien que du ressenti…


1/ A l’enfant. Chanson réaliste mais optimiste et encourageante. Il faut vivre sa vie en espérant de beaux lendemains, savoir sortir de l’enfance sans trop d’encombres. Surtout si vous grandissez avec certaines différences handicapantes… En même temps, Valérian Renault ne se montre pas angélique pour autant. La vie n’est pas facile. Mais si l’on fait de ses faiblesses une force, si on sait se battre et s’imposer, tout est possible… Chanson rassurante.
2/ Joueuse. Dénonciation et rejet des ces « joueuses », de ces filles qui s’amusent avec les sentiments des autres. Par leurs comportements, elles se distinguent, se démarquent et deviennent inutiles. Lui n’est pas dupe face à la vanité de ces séductrices professionnelles si nuisibles. Jolies variations entre le « je » et le « jeu ». Superbe guitare. C’est un peu une leçon de savoir aimer contre un manque de savoir vivre.
3/ Laisse couler. Sans doute ma préférée… La voix se fait soudain rauque. Il sa fait joueur à son tour, mais avec la vie. Truffé d’allitérations esthétiques. Chanson positive, véritable hymne à la vie d’un qui se la coltiner en épicurien. Superbe arrangement, magnifique présence des cuivres.
4/ Cassandre. Les mystères de l’avenir. L’inconnu pour horizon. On essaie tous de se le dessiner, de le prédire, tout en sachant que c’est illusoire. Valérian y stigmatise en même temps ce funeste retour de la haine… Sa conclusion : comment réussir à à faire vivre sa propre petite flamme sur un tas de cendres… J’ai été ému par ses accents « bréliens ».
5/ Au jardin. Très jolie mélopée pleine de sensualité. L’éveil de l’amour. Ode à) la nature et à l’abandon. Très poétique, très imagé ; richesse des rimes… Belle trouvaille que le doublage des voix. Douceur des cuivres qui dérivent langoureusement pour se métamorphoser en fanfare festive. Là, j’y ai trouvé un petit côté Brassens tant dans le ton que dans la mélodie.
6/ Montalbanaise. Chanson plus légère, joyeuse, carrément truculente même. Construite un peu en forme de dialogue. Cet hommage à la province relate, en fanfare, une tranche de vie de deux bras cassés, sortes de Butch Cassidy et le Kid version Sud-ouest. C’est un conte drolatique empreint d’une certaine désinvolture fataliste. Belle chanson de scène.
7/ Berceuse. Ambiance boîte à musique. Sensibilité. Voix sur le fil, fragile, tout près de se briser. Ecriture quasi féminine. C’est d’abord tendre, chaud, lumineux, plein d’espoir avant de basculer dans le drame. Fin brutale qui nous laisse coi.


8/ Tes hanches. Chanson remarquablement écrite, qui va crescendo dans une ambiance qui frise parfois la country music. Pleine elle aussi de sensualité autour du fantasme du mystère de l’Autre, de son jardin secret, cet endroit où l’on ne peut pas pénétrer. Question métaphysique universelle à laquelle a collaboré Charles Aznavour.
9/ Petite vallée. Chanson à haut débit. Valse entraînante. Déclaration d’amour à la France et à ses paysages. Evoque son parcours et son envie d’écrire, de chanter et de partager. Là encore, j’ay ai retrouvé de troublants accents « bréliens ».
10/ T’es belle. Déclaration d’amour à l’être aimé. Intensité. Mots simples et réalistes. Traite en même temps de ce qui est beau mais qui nous reste inaccessible. Constat d’impuissance imprégné de fatalisme.
11/ Le lien. La peur d’aimer, partagée. Supplique. Déclaration d’amour filial. Interrogation et véhémence. Chanson forte, émouvante, qui nous parle et nous concerne tous. Arrangement discrets avec cuivres pudiques

J’ai tout aimé, tout dégusté avec cet appétit que l’on a lorsqu’on découvre un plat nouveau qui nous exalte avec ses saveurs accomplies. A la fois plaisir de la découverte et confort de se retrouver dans un climat qu’on aime, heurté, envoûté, amusé, séduit par les intonations d’une voix modulable et souple comme un instrument. Magnifique album.
Il ne faut surtout pas le « laisser couler », au contraire, il faut qu’on lui permette de naviguer sur toutes les ondes pour qu’il effectue sereinement ce long voyage qui mène au succès et à la popularité.


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 11 novembre 2015

L'ImpassE

Théâtre Clavel
3, rue Clavel
75019 Paris
Tel : 01 42 38 22 58
Métro : Pyrénées

Ecrit et mis en scène par Julien Romano
Avec Julien Romano, Jonathan Bruzat, Karen Peyrard

Présentation : Inspirée d’une histoire vraie qui pourrait l’être…
L’ImpassE relate un fait divers mettant en scène deux frères et une femme que tout oppose mais que le destin a décidé de réunir pour la seconde fois de leur vie.
Manque d’amour, fautes inavouées, destins bousculés…
Entre maladresse, incompréhension, rancunes, violence et désarroi, cette pièce est une invitation à la remise en question.
La remise en question de nos valeurs, de ce que nous sommes.
Surtout, elle nous fait nous poser une question essentielle : « Ce qui nous arrive est-il écrit d’avance, ou est-ce que nos choix peuvent changer nos vies ? »

Mon avis : âpre, brutal, tendu, étouffant… Ce sont les qualificatifs qui s’imposaient à moi au fur et à mesure que cette pièce se déroulait. On ressort du théâtre Clavel les muscles endoloris par la crispation et l’esprit un tantinet perturbé. Mais aussi avec la forte impression d’avoir assisté à quelque chose de fort, qui donne à réfléchir et, aussi, à une sacrée performance d’acteurs.

Un square, des feuilles mortes qui jonchent le sol, deux de ces banals bancs verts, un lampadaire suranné, une poubelle, une corbeille à papiers et une palette abandonnée… Le décor, on ne peut plus anonyme, est planté. Un de ces bancs est occupé par une jeune femme enceinte plongée dans la lecture d’un livre. Perché sur le dossier du second, un jeune homme passablement énervé grille une clope. Dès l’arrivée du troisième protagoniste, tout va soudainement s’accélérer.


On comprend très vite que ces deux garçons sont deux frères, que nous sommes témoins de leurs retrouvailles après dix années passées en prison par l’aîné. Mais on constate aussi très vite que ce sont deux êtres frustres, deux laissés pour compte par la société, deux écorchés vifs qui, dès qu’ils ne trouvent pas les mots pour s’expliquer, n’ont pour seul échange que les coups… L’aîné est une grenade dégoupillée. Lorsque sa violence explose, spectaculaire, disproportionnée, elle est incontrôlable. Et comme le cadet n’est pas en reste dans ce domaine, les provocations et les pugilats se multiplient… Tout cela, en la présence de la jeune femme, de plus en plus inquiète, de plus en plus terrorisée. Mais pourquoi ne s’enfuit-elle pas, se demande-t-on ? Il doit y avoir une raison...

La tension ne cesse de grimper. Le climat est de plus en plus oppressant. Nous sommes en présence de deux bêtes sauvages. Leur engagement physique est total, extrême. Les mots sont crus, injurieux… Après une courte plage de calme durant laquelle la jeune femme, profitant de l’absence du cadet, tente d’apaiser l’aîné en instaurant un dialogue à la fois idéaliste et moralisateur, la violence reprend ses droits, implacable, inéluctable, jusqu’à, évidemment, l’irréparable et l’indicible. Soudain, alors que l’horreur est à son paroxysme, la mise en scène se fait toute en esthétique, avec recours au ralenti et soutien de la douce mélopée de ce superbe gospel traditionnel qu’est In His hands. Magnifique trouvaille permettant d’édulcorer ce qu’on n’a pas envie de voir. Mais qu’on voit quand même…


Impasse, perd et manque… Le titre de la pièce ne cesse de nous hanter. L’intrigue va donc inévitablement finir dans un cul-de-sac, atteindre ce fameux point de non-retour ? Et bien oui ! Ou non… Y aurait-il une toute petite ouverture salvatrice tout au fond de cette impasse ? C’est là qu’intervient le problème du choix. Cette pièce hyperréaliste traite des injustices de la vie, de ses inégalités. Les cartes étant distribuées, n’y a-t-il aucune solution, aucun moyen pour en changer la donne ? Il y a un message dans cette œuvre radicale. Le manque d’amour est générateur de désespérance, de souffrance et, partant, de violence. Or, c’est la femme, la mère d’abord, puis la compagne, qui est la matrice de cet amour. C’est à travers elle que peut intervenir la rédemption.

L’ImpassE ne dure qu’une heure. Heureusement tant elle est éprouvante. Si elle est aussi à conseiller c’est pour l’investissement total, l’engagement physique impressionnant de deux comédiens qui ne font pas dans la demi-mesure. On les sent véritablement impliqués, habités par une « fureur de vivre » (coucou James Dean !). Or, en fait, ces deux petites frappes ainsi que la jeune femme, sont des êtres angoissés par la peur de l’avenir. Et la peur n’est jamais bonne conseillère. Et où est Dieu dans tout cela ?
On n’en sort pas indemne ; on se sent le cœur un tantinet cabossé, mais… Mais, outre la certitude d’avoir assisté à un intense moment de théâtre et de jeu, on se dit qu’il serait peut-être bon de faire un peu plus attention à son prochain et d’en prendre soin. Refusant l’impasse, la main passe. Et elle se tend vers l’Autre d’autant plus facilement qu’on y met son cœur dessus.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 6 novembre 2015

Michel Drucker "Une année pas comme les autres"

Editions Robert Laffont
21,50 €


Le texte de présentation qui figure sur la quatrième de couverture de Une année pas comme les autres commence par cette phrase : « Michel Drucker change »…
Pour moi, il ne « change » pas, il continue tout simplement à évoluer. L’homme est toujours resté le même, mais il s’est continuellement enrichi de rencontres et d’expériences qui l’ont amené à être celui qu’il est aujourd’hui. Et, je prends tous les paris que, l’an prochain, il sera encore différent parce qu’encore plus libre et plus fort d’un tout nouvel exercice, le seul en scène. Et je vous fiche mon billet qu’il nous réserve encore d’autres surprises pour l’avenir…
Après une quinzaine d’interviews officielles et de quelques entretiens privés, j’ai appris à la connaître. Et, en toute sincérité, plus je le pratique, plus je le comprends et plus je l’estime.

Une année pas comme les autres… En cinquante ans de carrière, je pense qu’aucune des années qu’il a vécues professionnellement n’a été semblable à la précédente.
Mais il est vrai que ce livre millésimé 2014-2015 est particulier. Il est surtout touchant. Touchant parce qu’il est vrai, parce qu’il est de l’ordre de l’intime et parce qu’il est dénué de tout artifice et très peu encombré de paillettes. Michel Drucker s’y exprime en toute franchise ; un peu comme s’il pensait tout haut et nous faisait part de ses réflexions.


Ce livre témoigne du quotidien d’un homme qui a presque toujours été obsédé par le travail et le désir de rendre la copie la plus propre, la plus parfaite possible. C’est le réflexe d’un ancien cancre. En échec scolaire, il a considérablement souffert de la comparaison avec deux frères particulièrement brillants. Alors, quand il a été en mesure de travailler, il n’a eu de cesse que de prouver. Il a bossé, bossé, bossé, de la façon la plus scolaire qui soit. Heureusement, il avait reçu un sens des valeurs qui allait le servir tout au long de sa carrière. Il l’explique dans son livre : « Abraham, (NDLR : son père) tout en me hurlant dessus parce que je n’apprenais rien à l’école, m’a enseigné l’humain »…
Tout Michel Drucker est défini en ce mot. Il est en empathie chronique. Une qualité indispensable lorsque, comme lui, on pratique un métier qui est basé sur la relation humaine, sur l’écoute de l’autre. En fait, ce sont là les qualités que l’on attend d’un médecin, profession de son père et de son frère Jacques. Michel possédait en lui dès le départ les aptitudes intellectuelles ; il ne lui manquait plus que ce formidable ingrédient déclencheur qu’est la passion pour qu’il puisse, les extérioriser et les exprimer.

Cet ouvrage relate les 365 jours d’un homme toujours pressé, toujours occupé, toujours sollicité, et bien content de l’être. On a l’impression que, s’il cessait soudain d’être en mouvement, il se figerait instantanément et tomberait en poussière. Même la nuit, il cogite. Chez lui, l’hypocondrie et l’angoisse sont deux des principaux moteurs. Il en a fait des alliées, des forces. C’est que, aujourd’hui, il se connaît bien, le bougre !... Il suffit de lire ce qu’il écrit page 47 dans le chapitre dédié à Isia : « Cette chienne est à la fois solide et fragile… comme son maître ». Pas besoin d’épiloguer.


Je ne veux pas tout dévoiler de Une année pas comme les autres. Il aborde tant de sujets qui lui sont à la fois très personnels et d’autres qui appartiennent au domaine plus public. Il est truffé d’anecdotes, d’analyses, de révélations. Il y exprime ses convictions autant que ses doutes. Et surtout – j’y reviens – il est essentiellement tourné vers l’humain. Il prône la bonne éducation, la courtoisie (passage consacré à Gad Elmaleh) et, avant tout, à la culture et à l’entretien de l’amitié avec cet émouvant fil rouge qu’est sa relation avec un Michel Delpech qui se sait condamné par la maladie ; il y a aussi ces très belles pages autour de Jean-Pierre Adams ou celles rapportant sa fréquentation des hôpitaux. Car Michel Drucker est un cas « clinique » dans le sens figuré du terme. En toute logique, grâce à ses connaissances acquises auprès des plus grands professeurs, il est devenu le médecin du PAF. Il possède dans ce domaine une érudition incroyable. Il connaît ainsi par cœur le glossaire des médicaments. Si bien que ses diagnostics, très, recherchés et font autorité.
Il y a également, mais je n’en dirai pas plus car il faut « l’écouter » le raconter : ce bouleversement qui n’est intervenu qu’au cours de cette « année pas comme les autres » : la prise de conscience de sa judéité.

En conclusion, ce livre est la transposition et le reflet d’une vie unique, incomparable. Celle d’un homme qui nous accompagne quasiment au quotidien depuis un demi-siècle ; un homme qui a su rester simple, honnête et réellement modeste…
L’ancien cancre est devenu aujourd’hui, presque malgré lui, mais en toute légitimité, une véritable institution. Tel est Michel Drucker… Télé Drucker !


Gilbert « Critikator » Jouin

Vincent Dedienne "S'il se passe quelque chose..."

Café de la Danse
5, passage Louis-Philippe
75011 Paris
Tel : 01 47 00 57 59
Métro : Bastille

Seul en scène écrit par Vincent Dedienne, Juliette Chaigneau, Mélanie Le Moine, François Rollin
Interprété par Vincent Dedienne
Mis en scène par Juliette Chaigneau et François Rollin

Présentation : « Bonjour ! Je m’appelle Vincent Dedienne et je suis la personne qui boit un chocolat chaud/thé vert bio/soupe à l’oignon sur l’affiche !
S’il se passe quelque chose, c’est une promesse. La promesse de passer ensemble un drôle de moment, à la frontière du théâtre et du Guatemala.
S’il se passe quelque chose, c’est aussi comme un dîner entre amis. C’est prévu de longue date, préparé avec amour et gourmandise, et ça commence à 20 h 30.
S’il se passe quelque chose, c’est mon premier spectacle. A table ! (Et si vous n’aimez pas, je vous ferai une salade). »

Mon avis : Vincent Dedienne qualifie S’il se passe quelque chose comme étant son « premier spectacle ». C’est à la fois vrai et faux. Faux car il l’avait déjà présenté un an plus tôt, en octobre 2014, au Petit Hébertot. A cette époque, je me souviens que ma critique avait été plutôt négative en dépit des indéniables qualités du jeune homme.
Or, depuis cette première expérience, une année s’est écoulée. Une année durant laquelle il m’a littéralement enthousiasmé par ses portraits joyeusement insolents, décalés et brillamment écrits dans l’émission de Canal+, Le Supplément (en clair le dimanche vers 13 h). Raison pour laquelle j’ai eu fortement envie de le revoir sur scène au Café de la Danse. Et je ne le regrette pas. Loin de là !


J’ai d’abord retrouvé tout ce que j’avais apprécié la première fois : son pull jaune col en V, son aisance, son débit ultra rapide, sa parfaite élocution, son écriture riche et soignée, sa générosité (voir critique du 9 octobre 2014). Mais, surtout, même s’il a gardé l’essentiel de la trame de cette toute première prestation, on sent qu’il a énormément travaillé sur l’efficacité. Il s’est débarrassé des plus grosses scories (particulièrement le sketch lourdingue et incongru du petit marquis) pour ne garder que l’essentiel. Sur le plan de l’écriture, il a su tailler dans le vif, au scalpel, supprimant ainsi tout le gras superflu pour ne conserver que la bonne chair et le nerf… Comme toute la salle, en grande partie composée de jeunes de 20 à 30 ans (il affiche complet tous les soirs), je n’ai cessé de m’amuser et de rire à ses propos. Il a toujours autant d’aisance, il est toujours aussi heureux d’être sur scène, mais il a pris du métier, de l’assurance. Il propose désormais un spectacle jubilatoire et percutant dans lequel il n’y a plus rien à jeter.


Après une entrée réellement inattendue que je qualifierai d’« au poil », il se livre à un exercice dans lequel il excelle : le portrait. A part que, cette fois, il s’agit du sien. Il s’en donne à cœur joie, jonglant avec son sens inné de l’autodérision, son amour de l’absurde, sa propension à passer du coq à l’âne, son utilisation (très maîtrisée cette fois) du comique de répétition et, surtout, son aptitude à illustrer son discours d’images tour à tour cocasses, truculentes ou cruelles. Tout en se comportant en mec sûr de lui, on sent parfois poindre une profonde fragilité chronique, ce qui le rend encore plus attachant.
Ensuite, se partageant à un rythme endiablé entre sketches et stand-up, il se livre à un véritable festival au terme duquel il recueille une salve d’applaudissements qui dure longtemps, longtemps. Et lui, en position de révérence et la main sur le cœur, il reçoit cet hommage sincère et spontané avec satisfaction bien sûr, mais aussi avec le regard émerveillé d’un enfant qui reçoit sa récompense pour un travail bien fait.

Tombé raide dingue de Muriel Robin à 7 ans, on sent qu’il l’a presque à son insu vampirisée. Pour être encore plus précis, il est en quelque sorte l’enfant naturel que Muriel Robin airait pu avoir avec Pierre Palmade. Il est leur parfaite synthèse, leur projection tout en affirmant sa propre personnalité car il est avant tout Vincent Dedienne.
Et c’est en tant que tel qu’on peut affirmer que ce garçon ira loin, très loin. A Dedienne que pourra…

Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 3 novembre 2015

Le Grand Gala

Hier, dans le cadre du FUP (Festival d’hUmour de Paris), une soirée de gala a priori unique a été organisée pour célébrer feu le Pranzo, petit cabaret qui a donné leurs chances à de nombreux aspirants humoristes. Nombre des artistes qui s’y sont fait les dents et appris leurs gammes ont répondu présents à l’appel de son créateur, Emmanuel Smadja, dit « Manu ».

Si l’on tient compte d’un trio et d’un duo, ils ont été seize à se succéder sur la fameuse scène de la rue de la Gaîté. Très honnêtement, j’ai passé une excellente soirée. Le niveau d’humour était d’une grande qualité. Les numéros, les univers respectifs, les attitudes, éclectiques et variés, ont offert un panel très représentatif de ce qu’est la scène comique française aujourd’hui.
Voici un petit compte-rendu de ce qui s’est passé hier soir dans l’ordre d’apparition des artistes…

Les DDD (Les Drôles de Mecs). Leur singularité c’est de se livrer à des évolutions hip-hopiennes sur une bande-son très originale sans jamais avoir l’air d’être dans la performance et de se prendre au sérieux. Effet comique garanti.
Vérino. On ne le présente plus. Il sait tout faire. Il est naturellement drôle, et dans ses gestes, ses expressions et son appétence pour l’humour noir. Son sketch sur la baguette de pain disponible 24/24 est un petit bijou de comédie surréaliste.


Baptiste Lecaplain. Il est aussi drôle que touchant car il a l’art de se mettre en scène en se racontant. Fin observateur, ce Zébulon sympathique nous met complètement dans sa poche en abordant des thèmes qui lui sont très personnels tout en étant universels.
Christine Berrou. Sacré personnage, la Christine ! Utilisant à merveille sa voix encore pré-pubère, elle nous embarque dans ses digressions hilarantes, ses réflexions faussement maladroites. Tout en pratiquant allègrement l’autodérision, elle balance avec des airs de Sainte Nitouche quelques scuds plutôt crus, qu’elle élude illico avec une savoureuse malhonnêteté.
Sanaka & Farid Chamekh. Leur fonds de commerce, c’est la vanne. Ils adorent se chambrer, ça va à toute vitesse. Leur façon de se mouvoir est une vraie chorégraphie ressemblant à parodiant un duel dont les fleurets seraient les mots.


Bérangère Krief. Elle est aujourd’hui à un sommet dans la hiérarchie des jeunes femmes humoristes. Son sketch sur la journée inversée est une superbe et imparable trouvaille aussi bien écrite qu’interprétée.
David Smadja. Communicant facile, tchatcheur très convivial, il a créé son style en s’appuyant sur la musique. Après avoir interprété un rap fort bien troussé, il campe un inénarrable timide à l’accent indo-pakistanais absolument jouissif.
Guillaume Batz. Alors lui, il m’éclate. Dans le domaine de l’autodérision, il est inégalable. D’un courage et d’une lucidité qui forcent le respect, il nous fait rire en se moquant de lui-même. Ce garçon attachant est vraiment (handi)capable de tout.
Sophie Girard. Sous de faux airs nunuche qu’elle maîtrise à ravir, cette grande et belle jeune femme est aussi à l’aise dans l’humour absurde avec la déchirante épopée de la petite dernière frite d’une barquette, que dans la relation ironique et imagée de l’état dans lequel se mettent certaines femmes addict à la mode.
Kyan Khojandi. Interprétation tout en subtilité tant dans la qualité de l’écriture que dans son jeu. Ses observations sur le thème de « Quand t’es gamin », marquées du sceau de l’évidence, sont réellement rafraîchissantes, et l’évocation de son père est tout à la fois émouvante et souriante.


Florent Peyre. Je le tiens pour un des artistes les plus complets de cette génération estampillée « On n’ demande qu’à en rire ». Il a tout pour lui. Utilisant à bon escient ses facultés physiques hors normes, il possède un sens du mouvement très cartoonesque. Son sketch un brin mégalo de découvreur de talents et de producteur est un vrai régal.


Kev Adams. Que dire désormais sur lui ? A 24 ans, il fait déjà preuve d’une maturité stupéfiante. Il est visiblement né pour faire rire ses contemporains. Il est facile, chaleureux, généreux. La narration de ses « premières fois » est aussi pertinente que désopilante.


Arnaud Tsamère. Ce garçon est fou ! Il débarque de galaxie étrange et indéterminée que l’on appelle « Absurdie ». Il est en décalage permanent. Le loufoque est son langage. Inutile d’essayer de le suivre dans ses réflexions de traverse, il nous égare et nous largue à chacune de ses démonstrations qui restent immanquablement en suspens. Je suis un fan absolu de cet énergumène.

Bref (comme dirait Kyan Khojandi) à l’issue d’une telle représentation on ne peut que devenir
Pranzoophile car on s’aperçoit que ce minuscule cabaret a enfanté de sacrées bêtes de scène.
Et, chose réconfortante, Manu Smadja nous a appris que ce rassemblement d’humoristes connaîtrait bientôt d’autres éditions. Voilà qui promet de bons moments en perspective car il y a d’autres pépites qui sont sorties de cet écrin.


Gilbert « Critikator » Jouin