mercredi 23 décembre 2015

La fille de son père

Théâtre de L’Archipel
17, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 73 54 79 79
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une comédie de Bruno Chapelle et Camille Saféris
Mise en scène par Bruno Chapelle
Avec Bruno Chapelle (Claude), Pascale Michaud (Jennifer), Camille Saféris (Thierry Flach), Marie-Aline Thomassin (Patricia de Personne), Olivier Yéni (de Personne)

Présentation : La fille de son père est un vaudeville sur l’ascenseur social, un Feydeau à la sauce d’aujourd’hui.
Jennifer rêve de faire de la télé, mais quand on est la fille de personne, ce n’est pas gagné ! Heureusement, le hasard et les quiproquos font parfois bien les choses… et, paradoxalement, c’est la fille d’un certain « Personne » qui va permettre à Jennifer de devenir quelqu’un… mais ça c’est trop difficile à expliquer.

Mon avis : Franchement, en me rendant au théâtre de L’Archipel à pas comptés, je craignais une petite arnaque. En effet, je savais que sous le titre de La fille de son père se cachait en réalité une pièce que j’avais vue il y a sept ans qui s’appelait alors Merci Jean-Claude. J’appréhendais donc la présentation d’un plat réchauffé…
Or, passées les dix premières minutes, j’ai complètement oublié la première version pour suivre sans déplaisir les péripéties survoltées de ce quintette au jeu parfaitement rôdé. Bon, d’accord, il ne faut pas être trop difficile sur la recherche de réalisme dans un scénario qui ne repose que sur un patronyme qui prête aisément à l’ambiguïté : Personne. C’est effectivement facile de jouer avec ce nom. A partir de là, les quiproquos abondent.

C’est la folle énergie déployée par les cinq comédiens et leur investissement total à tenir le cap de leurs personnages qui a annihilé en moi toute réticence. Une fois qu’on a digéré et oublié la grosse ficelle du vocable « Personne », on s’aperçoit que cette pièce en dit long sur les mœurs, non seulement du petit monde de l’audiovisuel, mais aussi sur les turpitudes de l’âme humaine en général. Ce qui est intéressant, c’est de découvrir les ressorts psycholiques sur lesquels les différents protagonistes vont rebondir.
Thierry Flach est arriviste, opportuniste, veule jusqu’à l’obséquiosité… Monsieur de Personne est affairiste, arrogant, cassant mais, sous ce vernis que ripoline le pouvoir, se cache un faible et, surtout, un pervers… Jennifer, elle, elle est cash. C’est une ambitieuse qui est prête à tout pour parvenir à ses fins, y compris en (ab)usant de ses charmes… Patricia, de son côté, est motivée par sa haine et son mépris envers son père. Intelligente et fine mouche, elle se sert opportunément de la situation pour régler ses comptes… Quant à Claude, l’artisan, il est la mouche du coche, le trublion qui, en se mêlant de tout, va amplifier les malentendus et la discorde.

Dans l’esprit et dans le rythme soutenu de la pièce, on pense inévitablement à une comédie de boulevard. Les portes, et même les fenêtres, tiennent une place considérable. Les incompréhensions et les rebondissements s’enchaînent à toutes vitesse, dans une loufoquerie assumée, les traits de caractères sont exacerbés… On est dans un monde de dingues.

Si cette pièce peut recevoir l’aval du public, elle le devra avant tout à ses comédiens. Chacun, faisant fi de tout sens du ridicule, est à fond dans son personnage. La seule finalité est de faire rire. Et, dans ce domaine, c’est réussi car ils sont tous les cinq vraiment gratinés. Ce ne doit pas être si évident de jouer sérieusement des individus aussi déjantés.


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 19 décembre 2015

Une nuit au Grévin

France 5
Diffusions :
-          Dimanche 20 décembre à 22 h 35
-          Dimanche 27 décembre à 15 h 35

Un documentaire-fiction réalisé par Patrice Leconte
Directeur de la photographie : Jean-Marie Dreujou
Ingénieur du son : Paul Lainé
Monteuse : Joëlle Hache
Avec Albert Delpy (le quidam), Talid Ariss (Thomas), Charles Berling (le narrateur)

L’histoire : Afin de découvrir les secrets du Grévin, le jeune Thomas décide de se laisser enfermer, l’espace d’une nuit, dans le célèbre musée…

Mon avis : En tournant ce film - car c’est autant un film qu’un documentaire -, Patrice Leconte a réalisé un rêve d’enfant : jouer au passager clandestin le temps d’une nuit pour s’offrir un voyage onirique dans le temple des célébrités, de l’Histoire et de la magie, le Grévin. Ce n’est pas Leconte des mille et une nuits, mais celui d’une seule nuit, une nuit fantasmagorique, mystérieuse, étrange, mais également pleine de jolies surprises et, surtout, formidablement instructive.


Thomas, 11 ans, qui incarne Patrice Leconte enfant, se laisse enfermer un soir dans le musée. Il a toute une nuit devant lui pour en découvrir les arcanes. Mais le Grévin n’est pas un endroit comme un autre. On peut y faire des rencontres inattendues, mais toujours bienveillantes. Bien sûr, il ne faut pas se faire surprendre par une ronde. Si vous dégagez des ondes positives, alors toutes les folies sont permises. D’aimables fantômes peuvent vous tenir compagnie un instant, le Palais des Mirages s’anime soudain rien que pour vous, l’Académie du Grévin vous invite à sa table pour vous faire participer à la sélection des prochaines personnalités, les différents ateliers vous livrent tous les secrets de fabrication des fameuses statues de cire, et vous aurez même le rare privilège d’assister aux séances de pose de quelques personnalités…


Cette « fiction documentarisante » a tous les ingrédients pour séduire le plus grand nombre. D’abord, on a tous un peu fantasmé sur l’interdit que brave le jeune Patrice/Thomas. Ce qu’il va vivre l’espace d’une nuit est à la fois une aventure et un apprentissage. On y répond à toutes les questions que l’on peut se poser sur le Grévin. On s’aperçoit que ce musée est une énorme machine aux nombreux rouages ; mais aussi que cette usine à rêves fait appel à un formidable investissement humain. Il y a ceux qui pensent et qui projettent et ceux qui réalisent. Tous ces maillons sont interdépendants les uns des autres.


Servi par des images particulièrement soignées, étayé par de rares documents d’archives, ce film est une superbe vitrine pour le Grévin. Lorsqu’il se termine, on n’a qu’une envie : courir sur les Grands Boulevards, au numéro 10 du boulevard Montmartre, pour s’offrir un petit voyage enchanteur avec un regard et une âme d’enfant.


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 16 décembre 2015

Madiba, le Musical

Le Comédia
4, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 38 22 22
Métro : Strasbourg Saint-Denis

A partir du 21 janvier 2016

Spectacle musical de Jean-Pierre Hadida et Alicia Sébrien
Mis en scène par Pierre-Yves Duchesne
Chorégraphies de Johan Nus
Lumières et scénographie de Sébastien Lanque
Direction vocale de Stéphane Métro
Direction musicale de Kevin Jubert
Avec James Noah (Nelson Mandela), Juliette Behar (Helena Van Leden), Manu Vince (William Xulu), Jean-Luc Guizonne (Sam Onatou), Falone Tayoung (Sandy Xulu), Roland Karl (Peter Van Leden), Lunik (Le narrateur)…

Présentation : Jamais un homme n’a été aussi présent pendant son absence. Nelson Mandela est resté 27 ans prisonnier, isolé, loin des siens mais si proche de la cause qu’il défendait…
Pour lui rendre hommage, ce spectacle musical retrace l’histoire d’amour, au départ impossible, de deux êtres qui, dans la lumière de Mandela, vont combattre pour leurs idéaux…
Leur histoire va s’inscrire dans une des plus belles pages de l’humanité.

Mon avis : Le 14 décembre a été présenté sur la scène du Comédia un show case destiné à annoncer la prochaine programmation dans cette salle (21 janvier 2016) du spectacle musical Madiba.
A l’issue des speechs liminaires de ses auteurs, Jean-Pierre Hadida (Livret et musiques), Alicia Sébrien (Livret) et de son metteur en scène, le sémillant Pierre-Yves Duchesne, la troupe, présente en son entier, nous a dévoilé quelques chansons et tableaux extraits de ce spectacle.


On ne pouvait rêver meilleure entrée en matière que l’interprétation en zoulou de l’hymne national d’Afrique du Sud, Nkosi Sikelel’iAfrika. On est tout de suite dans l’ambiance. Une ambiance aussi recueillie que fervente et pleine de dignité… Puis Lunik, le narrateur de cette histoire divisée en trois époques principales, slameur et rappeur, est venu scander ses mots de révolte que des danseurs rythmaient en frappant des chaises sur le sol. Effets sonore et visuel garantis !

Ensuite, nous avons découvert Soweto, une superbe chanson magnifiée par une chorégraphie particulièrement athlétique. Et le show s’est clôturé avec un de ses titres majeurs, Freedom (Madiba), une chanson qui mélange très harmonieusement le gospel et le rap… Un sans faute !


En toute objectivité, je pressens que Madiba, le Musical, va être un grand et beau spectacle. Tous les ingrédients sont réunis pour que cette comédie musicale soit un succès : jolies mélodies, rythmes variés, chants tribaux et modernes, chorégraphies originales, costumes chatoyants, héros charismatiques. En fait, pour synthétiser, vous allez assister à une sorte de Roméo et Juliette à la sauce métissée. Mais un Roméo et Juliette qui, légitimé et adoubé par la figure tutélaire de Nelson « Madiba » Mandela, un des plus grands hommes du vingtième siècle, a toutes les chances de connaître une happy end.
Enfin, un petit mot pour souligner l’inventivité des décors : ce seront des dessins qui prendront naissance et couleurs au fur et à mesure de l’action. Ça, c’est du jamais vu… C’est une idée ingénieuse pour illustrer à la fois naïvement et artistiquement la beauté et la variété de cette « nation arc-en-ciel ».


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 7 décembre 2015

Je suis né le jour de mon anniversaire

A la Folie Théâtre
6, rue de la Folie Méricourt
75011 Paris
Tel : 01 43 55 14 80
Métro : Saint-Ambroise

Une pièce de Thierry Mourjan
Mise en scène par Thierry Mourjan et Christine Casile
Musique de Thierry Mourjan
Avec Maud Imbert

Vendredi et samedi à 19 h 30 (jusqu’au 5 mars 2016)

Note d’intention : « Je suis né le jour de mon anniversaire »… ou les interrogations humoristiques et candides d’un fœtus qui hésite à venir au monde.
Il bénéficie d’une position unique – elle ne se représentera plus – pour engager une réflexion sur la liberté, sa liberté de « naître ou ne pas naître… »
Mais dispose-t-il réellement des libertés ? Peut-il se permettre, comme il l’envisage, de ne pas « donner suite » ? Est-il seul en cause dans cette prise de décision ?
Il pressent, à juste titre, qu’il ne peut rester éternellement dans cette bulle qui le protège et son intuition lui laisse supposer que selon l’espèce à laquelle on appartient, son lieu de naissance, etc…, la vie peut prendre des tournures bien différentes.
Fort de son (in)expérience, le fond de sa pensée pourrait se résumer ainsi : « le jeu en vaut-il bien la chandelle ? »

Mon avis : Le décor est tout blanc. La tenue de scène de l’artiste est blanche elle aussi. Cette option n’est pas anodine ; elle fait sens : nous nous trouvons en fait face à la première page blanche et vierge du Grand Livre de la Vie. Après, cette fameuse vie va colorier notre décor et nous-mêmes de différentes teintes plus ou moins gaies, plus ou moins sombres. Mais ça, ce sera après…
Derrière le truisme, au demeurant plaisant, qu’est la phrase-titre, va se dérouler un texte d’à peine plus d’une heure sur les questions que se pose un fœtus (d’où le masculin du « né ») au moment de franchir le pas. En fait, tout est ici histoire de choix… Ce fœtus est un peu comme un mot que l’on a au bord des lèvres (aux sens buccal et obstétrique) et que l’on hésite à sortir. On ignore tout sur ce qui va s’enclencher derrière.


Ce qui est amusant, c’est que nous, dans le public, on sait. On sait que toutes les interrogations, les supputations, les tergiversations qui turlupinent notre fœtus, pour légitimes qu’elles soient, ne sont que tracasseries intellectuelles. Nous, on sait déjà qu’il n’y a aucune alternative. Il va falloir y aller, quoi qu’on craigne, quoi qu’on redoute. Et c’est notre connaissance de notre vécu qui va nous amener à nous intéresser, à nous amuser ou à nous émouvoir des différents soucis existentiels de cet embryon.
Bien que tout cela ne soit que pure fiction, on se plaît à suivre les élucubrations d’un fœtus qui fait l’œuf. Et qui le fait intelligemment, brillamment…

Naître ou le néant… Choisir la vie ou retourner au néant. Si on choisit la vie, ce qui est quand même l’option de loin la plus généralisée, qu’est-ce qu’elle nous réserve ? Qu’est-ce qui nous attend ? Il y na tellement de paramètres à intégrer. On ne peut que penser à la chanson de Maxime Le Forestier : « Etre né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard… Est-ce que les gens naissent égaux en droits à l’endroit où ils naissent ?... ». Ces questionnements un tantinet métaphysiques sont aussi légitimes que compréhensibles.


Ce monologue fœtal est remarquablement écrit. On ne s’ennuie pas une seconde. Tant grâce à la grande qualité du texte qu’au jeu remarquablement subtil de Maud Imbert. Avec son joli timbre de voix et sa frimousse angélique, elle a une façon à la fois douce, inquiète et malicieuse de nous faire partager sa procrastination. Ce futur bébé est un pinailleur-(presque)né. Il balaie large. Ses nombreux doutes et digressions sont autant d’évidences qui nous donnent à réfléchir… Même s’il n’égrène que des lieux communs, et il ne saurait en être autrement, sa façon de nous les livrer n’est pas commune.
Ce qui est également judicieux dans la structure de ce spectacle, c’est qu’elle se divise en plusieurs chapitres thématiques. Ainsi, ça ne part pas dans tous les sens et c’est très facile à suivre. Dans chacune de ces parenthèses, Maud Imbert nous offre toute une palette de jeu, de sentiments. Epatante de bout en bout, le spectacle qu’elle nous livre est de l’ordre de la performance d’acteur.

Ce débat originel est original. Nombre de fois certaines réflexions ou saillies candides provoquent un petit rire d’approbation (n’oublions pas que nous, on sait, et que nous ressentons une réelle compassion devant tant de naïveté). Et l’on sait aussi que la curiosité sera toujours plus forte que l’appréhension et la peur de l’inconnu. A peine l’enceinte franchie, on va éprouver un grand sentiment de liberté habité par une profonde avidité d’affronter les mystères de ce chemin qui s’ouvre devant nous.
Ici, la fin (de la pièce) est un début. La mise en scène est pertinente. Soudain, le rythme s’accélère, notre fœtus n’a plus le temps de penser, embarqué qu’il est dans un maelstrom incontrôlable… La métamorphose de Maud Imbert est spectaculaire. Elle s’anime. Elle a choisi… Mais l’avait-t-elle vraiment le choix ?


Gilbert « Critikator » Jouin