samedi 18 juin 2016

Bigre

Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers / Saint-Lazare

Un mélo burlesque de Pierre Guillois
Co-écrit avec Agathe L’Huillier et Olivier Martin-Salvan
Mis en scène par Pierre Guillois
Décor de Laura Léonard
Lumières de Marie-Hélène Pinon
Costumes d’Axel Aust

Avec Pierre Guillois, Agathe L’Huillier, Jonathan Pinto-Rocha

Présentation : Il était une fois, aujourd’hui, trois petites chambres de bonnes haut perchées sous les toits qui dominent Paris. Un gros homme, un grand maigre et une blonde pulpeuse sont voisins de couloir. L’histoire serait joliment romantique si ces trois hurluberlus n’avaient comme particularité de tout rater. Absolument tout. Les catastrophes s’enchaînent, les gags pleuvent, tandis que ces trois fantoches s’accrochent à tout ce qui ressemble à l’amour, à la vie ou à l’espoir.

Mon avis : Sur l’échelle de Richter du rire, j’accorde à Bigre une magnitude « forte » ; c’est-à-dire de 6 à 6,9 (sur 9) : « peut provoquer des dommages sérieux, seuls les édifices adaptés résistent près du centre »… Evidemment, les « dommages sérieux » concernent principalement notre rate qui, sous l’effet de secousses de rires brusques et répétés,  peut se dilater, ainsi que nos zygomatiques si souvent sollicités.
Bigre est bigrement difficile à analyser. Tout est dans son sous-titre puisque cette pièce est définie comme étant un « mélo burlesque ». Il est vrai que, si on y pense après, à tête reposée, cette pièce est un mélange de comédie réaliste à l’italienne façon Les Monstres et de nonsense britannique digne des Monty Python genre Le Sens de la vie. En effet, si on se montre très attentif, ici le tragique côtoie en permanence le comique. Mais ce dernier l’emporte largement parce que son auteur a tout fait pour ne pas noircir le trait et pour que ses trois antihéros nous soient plus attachants que pathétiques.
Leur quotidien n’est pas drôle en soi, leur vie est plutôt tristounette mais ce sont leurs maladresses qui, en déclenchant des situations invraisemblables, vont provoquer nos fous-rires. Et pas qu’un peu…


Pour moi, le décor est le quatrième personnage de cette pièce. Les trois minuscules chambrettes contiguës en coupe, le couloir qui les réunit et le toit qui les abrite vont servir non seulement de cadre mais également d’acteurs tant on dirait qu’ils sont animés d’une vie propre. Tout autant que la maîtrise drolatique des trois comédiens, c’est l’ingéniosité des gags, des effets spéciaux et d’une bande-son insensée qui vont nous faire parfois atteindre des sommets dans le registre du burlesque.
Le début est plutôt plan-plan. Il nous permet de faire connaissance avec nos trois hurluberlus et leurs intérieurs respectifs. La première chambre (côté jardin) est occupée par celui qui est présenté comme étant « le gros ». Elle est d’une propreté éclatante, truffée de gadgets modernes, ce qui indique un propriétaire méticuleux, maniaque et un tantinet coincé… Au milieu réside « le maigre ». Sa turne est un foutoir invraisemblable. Tout y est en désordre mais tout est conçu pour être pratique. Ce bordel organisé lui permet astucieusement un minimum de gestes dans un minimum d’espace… Le côté cour est occupé par « la blonde pulpeuse ». C’est un intérieur très féminin, plus coloré, avec télévision et vasistas qui donne accès sur le toit… Et puis, sur tout le devant de la scène, c’est le couloir, sorte de no man’s land où ils peuvent se croiser ou se retrouver.


Soudain, passées ces premières dix minutes de présentation, les choses se délitent brutalement. Les catastrophes s’enchaînent, tout devient cataclysmique. Les gags-gigogne se succèdent dans un maelstrom incontrôlable. Tout leur échappe. Tels des pantins dépassés, ils subissent les agressions d’objets alors doués d’une âme maléfique. La météo elle-même y va de sa contribution. Les éléments se déchaînent contre eux ajoutant encore à leur précarité.
Face à cette avalanche de désastres, ils vont réagir chacun à leur manière. Parfois égoïstement, voire méchamment, mais parfois aussi en s’entraidant et en jouant la carte de la solidarité. Si bien que des sentiments vont naître : hostilité, jalousie, mesquineries, mais également altruisme, amitié, amour. Ces chassés-croisés apportent une note de profonde humanité à une pièce qui aurait pu ne se vouloir que farce. C’est sa valeur ajoutée.

La difficulté lorsqu’on ambitionne de surprendre tout le temps à grand renfort de gags nécessitant des astuces techniques et une grosse machinerie, c’est qu’il est pratiquement impossible d’être dans le top pendant une heure et demie. Si les quatre-cinquièmes de Bigre sont souvent à hurler de rire, il y a quelques moments qui ne m’ont pas vraiment amusé. Je pense plus particulièrement à la séquence des jeux vidéos ou à celle du karaoké sur « J’ai encore rêvé d’elle ». Mis à part ces deux petits bémols personnels, on peut dire que, à l’instar de tout le public, j’ai applaudi de bon cœur à cette performance ahurissante pleine de folie, de créativité et aussi… de tendresse. Car Bigre, c’est aussi une belle histoire d’amitié.


Gilbert « Critikator » Jouin

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