jeudi 10 novembre 2016

Les Epis Noirs "Flon Flon ou la véritable histoire de l'humanité"

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Ecrit et composé par Pierre Lericq
Mis en scène par Manon Andersen et Pierre Lericq
Lumières de Véronique Claudel
Son de Philippe Moja

Avec Manon Andersen (pipeau, malle, voix), Svante Jaccobson (contrebasse), Marwen Kammarti (violon), Pierre Lericq (guitare, voix), Fabien Magni (guitare, accordéon), Lionel Sautet (accordéon, malle, voix)

Présentation : Dieu crée Boucieu-le-Roi. Il s’emmerde, alors il crée Manon, une Eve un peu cloche et en cloque d’Alexandre, pantin dégingandé, amoureux. Puis, Dieu crée le Mal (le mâle ?) et l’interprète lui-même.
Pierre, proxénète à Paris, vient visiter son frère Alexandre dans son village d’Ardèche. Il séduit sa femme, Manon, enceinte. Il l’enlève. Il la met sur le trottoir. Elle l’aime. Elle aime aussi son mari…

Mon avis : Groupe inclassable, Les Epis Noirs sont de retour sur leur scène fétiche, la Gaîté Montparnasse avec un spectacle parfaitement rôdé et particulièrement ambitieux puisqu’il a la prétention de nous raconter en une heure et demie l’histoire de l’Humanité… Heureusement pour nous, Pierre Lericq, auteur complètement mégalo (il se prend pour Dieu !) a le sens de l’ellipse. En effet, il nous fait passer en un éclair de la Genèse au 21ème siècle. En clair, mélangeant sans vergogne les mythologies, il nous transfère de l’Eden aux Champs Elysées ! Or, en dépit de ce saisissant raccourci, il parvient à nous brosser un portrait plutôt fidèle de notre humanité. Dans ce qu’elle a de pire d’abord, puis dans ce qu’elle peut générer de positif. De toute façon, comme Il est Dieu, Il peut tout se permettre !


Il est gratiné son Dieu. Pour ne pas dire diabolique. Comme il s’embête depuis l’ennui des temps, il décide de se métamorphoser en homme. Ou plutôt en mâle. Et comme ce n’est pas un bon Dieu, son mâle, possessif pervers et jaloux, se complaît à faire le mal tout autour de lui. Mais ce n’est pas très glorieux car ses deux créatures, Manon et Alexandre, sont de faibles proies. Manon est ce qu’on peut appeler avec un petit sourire entendu « une brave fille ». C’est une gourdasse, quoi ! Mais elle est vachement gentille. Elle a beau se faire exploiter, maltraiter, mépriser, elle ne sait rendre que de l’amour… Quant à Alexandre, il est lui aussi un naïf, un doux rêveur, un être inoffensif ; un bon gars, quoi !
Leur force d’inertie, toute involontaire qu’elle soit face au Mal, va finir par épuiser toutes les velléités de leur bourreau. C’est là la morale de l’histoire. L’amour reste plus fort que la haine.


Ça, c’est le synopsis. Après, il y a la narration. Et la forme présentée par Les Epis Noirs, le spectacle en lui-même, ne se raconte pas, il faut le voir et l’écouter. Ce sont des Epis phénomènes. Ils chantent, ils dansent, ils jouent de la musique. Paroles farfelues, gestuelle improbable, chorégraphies extravagantes, postures théâtrales, attitudes grotesques… Ils n’ont peur de rien, et surtout pas du ridicule.
Manon, une fois de plus est impayable. Faisant fi de toute féminité, elle assume son personnage avec une incroyable débauche d’énergie. Il faut la voir jouer de la malle. TrEPIdante, complètement habitée, son corps et ses yeux ne lui appartiennent plus, elle est comme en transes… Dans ce registre de la folie burlesque, elle est parfaitement épaulée par Lionel Sautet, qui incarne Alexandre. Véritable athlète, on a l’impression que ses membres sont indépendants. C’est un mélange de Buster Keaton et de Pierre Etaix avec la tête de Benoît Hamon. Il a une présence comique sidérante. Quelle vitalité !


Et puis il y a le deus ex machina, le démiurge, Pierre Lericq. Il tient avec un sérieux inébranlable son rôle de Dieu sans foi (eh oui, c’est un paradoxe qui donne à réfléchir) ni loi. C’est le méchant de l’histoire. Il n’a de bon que sa science divine du jeu de mot et la qualité de ses calembours. Et quelle voix ! J’ai été particulièrement touché par ses accents bréliens lorsque Dieu se lamente sur sa solitude. Un grand moment de chanson.
Mais des morceaux de bravoure, il y en a à la pelle dans ce spectacle où l’on passe du tableau le plus déjanté à une plage chargée de tendresse et d’émotion ; où l’on passe d’une ambiance slave ou celtique à une ballade empreinte de douceur. Ces arythmies sont la force de ce spectacle. On n’est pas tout le temps dans le délire. C’est comme dans la vie. Et puis, tout est conçu pour en arriver à un dénouement heureux qui ouvre grand son cœur à une humanité triomphante.

A ces trois hurluberlus précités, il faut ajouter les trois musiciens qui les accompagnent à la fois avec talent, complicité, humour et une pêche communicative.
Raison pour laquelle, venant une salle debout, conquise par tant de générosité, les applaudissements que les Epis quêtent n’explosent pas en vain…


Gilbert « Critikator » Jouin

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