samedi 30 septembre 2017

Fausse note

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Madeleine / Havre Caumartin / Auber

Une pièce de Didier Caron
Mise en scène par Didier Caron et Christophe Luthringer
Décor de Marius Strasser
Lumières de Florent Barnaud
Costumes de Christine Chauvey
Son de Franck Gervais

Avec Christophe Malavoy (Léon Dinkel) et Tom Novembre (Hans Peter Miller)

L’histoire : Nous sommes au Philarmonique de Genève dans la loge du chef d’orchestre de renommée internationale, Hans Peter Miller.
A la fin d’un de ses concerts, ce dernier est importuné à maintes reprises par un spectateur envahissant, Léon Dinkel, qui se présente comme un grand admirateur venu de Belgique pour l’applaudir.
Cependant, plus l’entrevue se prolonge, plus le comportement de ce visiteur devient étrange et oppressant. Jusqu’à ce qu’il dévoile un objet du passé…
Qui est donc cet inquiétant monsieur Dinkel ? Que veut-il réellement ?

Mon avis : Pour sa première pièce dramatique, Didier Caron a fait fort, très fort. Jusqu’à présent, il nous avait séduits avec des pièces de mœurs chorales dans lesquelles il glissait subtilement de sérieuses réflexions, cette fois il réduit considérablement la voilure en ne convoquant que deux acteurs sur scène. L’exercice était délicat car il ne pouvait pas se reposer sur le nombre et distraire notre attention avec un ou deux personnages plus amusants que les autres. Là, il s’agissait d’étayer, d’apurer, de gratter la chair au plus près de l’os… Que Didier Caron se coltine au drame n’a en fait rien de surprenant. C’est une suite et un désir logiques. Déjà, dans Le Jardin d’Alphonse il avait abordé quelques thèmes plus profonds comme la relation parents-enfants et les comportements passés inavoués… Il est donc en parfaite cohérence intellectuelle.


Fausse note est une réussite totale. Tant dans sa construction, dans la psychologie de ses personnages et dans ses dialogues. Il nous place dès le début dans un état d’esprit où la curiosité se le dispute au malaise. On sent tout de suite que la visite Léon Dinkel (Christophe Malavoy) n’est pas anodine. Il est trop patelin, trop poli, trop doucereux, trop flatteur pour être sincère. On voit bien qu’il a une idée derrière la tête, on sent venir le coup fourré. Et le moment qu’il a choisi est le plus opportun car Hans Peter Miller (Tom Novembre) est trop fatigué, trop pressé de rentrer chez lui et trop obnubilé par sa récente promotion pour être sur ses gardes. Il est donc très facile pour Dinkel de jouer avec ses nerfs et de le manipuler.

Progressivement, grâce à des informations livrées au compte-gouttes, Dinkel se fait à la fois de plus en plus précis et de plus en plus mystérieux. Si bien que le suspense ne cesse de grandir jusqu’à devenir oppressant tant pour nous que pour ce « pauvre » Miller. Pourtant, la suite est totalement prévisible. Nous ne sommes pas idiots : on devine que c’est le passé en la personne de Dinkel qui vient de frapper à la porte de sa loge. On pressent que la guerre et le nazisme ne sont pas encore très loin pour cette génération.


Au fur et à mesure que les éléments du puzzle se mettaient en place, on voyait poindre une tragédie ancienne, indélébile. Mais la force de Didier Caron est de ne pas nous emmener au dénouement en ligne droite. Il s’ingénie à brouiller les pistes ou, plutôt, à brouiller les sentiments de l’un et de l’autre. Il nous embarque dans une direction puis, soudainement, il en prend une autre, nous laissant décontenancés. On a à peine le temps de comprendre sa logique, qu’il nous sème de nouveau sur le chemin de la compréhension. Il est pervers le garçon ! En fait, il agit sur nous de la même façon, avec le même machiavélisme que Dinkel vis-à-vis de Miller. Il est comme un pêcheur ; il nous a ferrés, et profitant de ce que nous sommes accrochés bien solidement, il laisse parfois un peu de mou pour nous détendre et, sans prévenir, il nous redonne un grand coup de tension dans les branchies. Bonjour le confort intellectuel ! Car, jusqu’au bout, Dinkel et lui vont nous balader…


Fausse note est un formidable jeu de piste(s), un affrontement en huis-clos particulièrement stressant. Personnellement, j’ai songé plusieurs fois au thème de Il était une fois dans l’Ouest et à la confrontation entre Henry Fonda et Charles Bronson.
C’est là qu’il faut parler de la double prestation de Christophe Malavoy et Tom Novembre. Quelle performance d’acteurs !.Christophe Malavoy joue tout en nuances et sobriété. Il est sûr de son fait, totalement habité par la mission qu’il s’est fixée, il a préparé son plan on ne peut plus méthodiquement. Dans cette bataille, c’est lui qui possède tous les as. Alors, il peut se permettre de la jouer avec un certain flegme. Plus Miller s’énerve, plus il est calme. L’opposition de styles est frappante… En revanche, le jeu imposé à Tom Novembre est bien plus complexe. Il doit être sans cesse en réaction. Il passe par tous les états d’âmes : agacé, contrarié, impatient, en colère, désorienté, impuissant, résigné, vicieux, vaincu… Il est impressionnant dans tous les registres. A la fin, il nous livre une composition qui nous laisse complètement scotchés au fauteuil.
Ce binôme de comédiens est confondant d’authenticité.

Fausse note nous offre une partition parfaite, remarquablement écrite, composée et interprétée. Elle aborde des thématiques aussi fortes que la responsabilité, la relation père/fils, le rapport à la foi (superbe diatribe à ce propos dans la bouche de Dinkel), la vengeance, le pardon, la résilience… Il est interdit d’en dévoiler la fin, ou plutôt les fins, car Didier Caron nous trimballe jusqu’au bout.
Même le titre, Fausse note, donne lieu, vous le verrez, à plusieurs interprétations. En tout cas, elle mérite un10 sur 10.

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 29 septembre 2017

Petites Reines

Editions du Cherche Midi
Broché / 272 pages
19 €

Auteur : Jimmy Lévy

Présentation : Deux femmes aux antipodes du monde, de l’âge, du siècle, de l’humanité, de la survie.
Une adolescente impubère, dans sa tribu primitive aux confins du désert, lutte pour échapper à la tradition sacrificielle qui pèse sur elle depuis sa naissance.
Une vieille dame indigne sur une plage californienne, au crépuscule de son existence, s’acharne à étouffer sa mémoire et à endiguer les marées de souvenirs qui refluent inexorablement.
Deux petites reines, deux tours en feu…

Mon avis : Voici un roman aussi insolite que passionnant. Et très original à plusieurs titres. D’abord par sa construction ; chacune des deux héroïnes s’exprime en alternance. Si bien que chaque chapitre est pour le lecteur un nouveau rendez-vous de plus en plus prenant. Dès le début, l’auteur nous agrippe et on n’a de cesse de savoir ce qui va se passer dans le prochain. Elles sont terribles ces deux Petites Reines ! Chacune dans son genre est vraiment particulière et exceptionnelle.
Ensuite, il y a l’écriture. Alors là, chapeau bas monsieur Lévy ! Le style est alerte ; parfois fait de phrases courtes, de phrases coups de poing et de phrases plus longues destinées aux explications et aux descriptions. Le vocabulaire est riche et précis, le langage très imagé, l’humour dévastateur.
Dès les premières lignes, dès les premiers mots, j’ai été littéralement scotché. Le premier chapitre est un pur délice d’humour noir où un réalisme cru se le dispute avec une véritable candeur. Sincèrement, j’ai rarement lu un texte aussi surprenant et fascinant. Anoua, la Petite Reine, nous embarque dans un monde qui nous est totalement étranger. Un monde d’une rare cruauté mais que, à l’image de la narratrice, on finit par accepter parce que c’est la règle dans cette tribu que l’on devine africaine.

Et puis, encore tout décontenancé par ce qu’on vient de lire, on aborde le deuxième chapitre et là, on fait connaissance avec Queenie. Autre personnage, autre style. Queenie c’est une vieille dame sciemment et volontairement indigne. Elle est horriblement cynique, systématiquement impitoyable, délicieusement truculente. C’est une vraie harpie ! Et puis, peu à peu, on découvre ses failles. Encombrée par ses souvenirs, elle a tellement la trouille qu’ils reviennent la hanter que tous les moyens lui sont bons pour tenter de les refouler…


Nous sommes embarqués sur les rails de ces deux destins si dissemblables. Bien que cela nous semble irréalisable, on se demande tout au long si ces diables de parallèles vont finir par se rejoindre. Jimmy Lévy entretient un subtil suspense en ne nous livrant que par bribes de nouvelles informations. C’est très malin. Et horripilant. On est en décalage permanent, en porte-à-faux. A priori, elles n’ont rien en commun ces deux Petites Reines. L’une, Anoua, est au début de son existence, et on va la voir grandir et partir à l’aventure. Elle est constamment dans l’action, la subissant ou la provoquant selon les rencontres et les événements … La seconde, Queenie, est au crépuscule de sa vie. Elle est plus dans la réflexion car ses projets – et elle en a de sérieux – sont évidemment à court terme.


Je suis persuadé que, dans une vie antérieure, Jimmy Lévy a été femme ! Sinon, comment pourrait-il exprimer aussi précisément les arcanes de la pensée féminine. Il a le talent de nous faire s’attacher à ces deux révoltées. On tourne vite les pages pour savoir ce qu’il va advenir d’elles. Et puis on y revient, uniquement pour goûter tout le sel de cette écriture si personnelle, si concrète, si foisonnante. Jimmy Lévy est un vrai écrivain, une plume rare. Je suis sincère. Je ne dis pas ça parce que je le connais depuis longtemps. Mais là, il m’a complètement bluffé. Le premier chapitre m’a mis KO debout. C’est une véritable découverte, un pur enchantement. Malin, brillant et sans concession. Un OLNI (un Objet Littéraire Non Identifié)…

Non à l'argent !

Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

Une pièce de Flavia Coste
Mise en scène par Anouche Setbon
Scénographie de Sophie Jacob
Costumes de Juliette Chanaud
Lumières de Jean-Luc Chanonat
Musique de Michel Winigradoff

Avec Pascal Légitimus (Richard), Claire Nadeau (Rose, la maman), Julie de Bona (Claire), Philippe Lelièvre (Etienne)

L’histoire : Pourquoi continuer à s’engueuler dans une HLM quand on peut enfin s’engueuler dans un château ? Richard, qui tourne le dos à 162 millions, va devoir s’expliquer ; et plus vite que ça ! Sa femme, sa mère et son meilleur ami ne le lâcheront pas.
La soirée risque d’être agitée…

Mon avis : Cette pièce a provoqué en moi un sentiment mitigé. J’ai ressenti comme une espèce d’effet yo-yo. C’est-à-dire une succession de hauts et de bas. Cette sensation vient en fait uniquement de son écriture.
Disons-le tout net : sans la performance formidable de ses comédiens, je crois que j’aurais décroché. Bien sûr, il n’est pas aisé d’écrire une pièce sur ce thème (le refus d’un très gros gain au Loto) sans éviter les clichés et les lieux communs. Alors, en dépit de quelques fulgurances de bon aloi, l’intrigue tourne un tantinet en rond.
Mais, heureusement, il y a les comédiens.
Ils sont tellement justes dans leurs personnages respectifs que chacun de nous peut se projeter en eux et comprendre leurs réactions. En effet, on se sent tous impliqués. Comment réagirions-nous si nous étions d’un côté à la place de Richard et, de l’autre, à celle de Claire, Rose ou Etienne ?



A tout seigneur tout honneur : Pascal Légitimus. Il est le pivot de la pièce, celui par qui la discorde arrive. Pensez, il vient d’apprendre à sa mère, à sa femme et à son meilleur ami qu’il a décidé de ne pas empocher les 162 millions d’euros qu’il a gagnés au Loto !... A force d’explications, Richard réussit à se montrer convaincant. Philosophiquement parlant, les arguments qu’il avance sont tout à fait acceptables… La prestation de Pascal Légitimus est sans défaut. Son plaidoyer, sa "Loto critique", sont solide (« Je suis un homme comblé », « L’argent est devenu une fin alors que c’était un moyen », « Ça fout les relations en l’air »)… Il n’y a rien à redire. Son jeu est sobre et tout en finesse. S’il avait eu le malheur de surjouer, on serait tombé dans la caricature. Or, tout au long de la pièce, son personnage reste parfaitement crédible. Mieux, en dépit de son entêtement à refuser le chèque, son choix, son utopie et sa dignité forcent le respect. Et on ne peut que ressentir beaucoup de sympathie pour la fierté de ce cerf acculé par un trio de fauves qu’il a rendus féroces. Son jeu est si précis qu’il nous fait oublier l’humoriste. Une superbe performance.

Même avis en ce qui concerne Julie de Bona pour ce qui est de la justesse de jeu dans le rôle de Claire. On comprend ses réactions, jusque même les plus extrêmes (à propos de son bébé entre autres). Toutes ses attitudes sont logiques. Ses colères, ses cris, ses indignations, qu’elle compense parfois avec quelques chatteries et flatteries pour faire infléchir son idéaliste de mari, sont tout à fait cohérents. Energique, virevoltante et sautillante, sans pour autant perdre une once de son charme, elle fait preuve d’un sacré tempérament. Un sans faute !


Philippe Lelièvre va en surprendre plus d’un avec son personnage d’Etienne, le meilleur ami et associé de Richard. Pour tous ceux qui, comme moi, l’ont adoré quand il était « Toujours givré », il révèle un éventail de comédien extrêmement large. Comme Pascal Légitimus, il a laissé au vestiaire son costume de comique. Il fait toujours rire, certes, à travers quelques phrases bien percutantes, mais il sait aussi nous émouvoir lorsqu’il se livre par exemple à cette jolie tirade sur l’amitié. Il ne tire jamais la couverture à lui pour faire son numéro ; il se fond avec beaucoup de rationalité et de crédibilité dans le collectif. Il est excellent de bout en bout.

Et puis il y a Claire Nadeau, dans le rôle de Rose, la vieille maman indigne. Elle est tout simplement magnifique. Flavia Coste, l’auteure, a placé dans sa bouche les répliques les plus hilarantes, les plus dévastatrices. Elle réussit la performance d’être continuellement drôle pendant une heure et demie, avec sa gestuelle si particulière et ses mimiques désopilantes. En mère délurée, un peu désabusée et souvent cynique, elle accomplit un numéro de grande classe. Il ne faut pas la lâcher des yeux tant son jeu est inventif. Il suffit d’entendre les commentaires des spectateurs à la sortie pour comprendre combien ils ont été foldingues de sa démonstration.

Avec deux artistes rompus au one man show comme Lelièvre et Légitimus qui démontrent qu’ils possèdent également au plus haut l’esprit de troupe, Non à l’argent ! est une pièce très agréablement chorale. La complicité qui unit ce quatuor passe largement la rampe et fait plaisir à voir. Grâce à leur jeu irréprochable, ils sont capables de faire un succès de cette pièce douce-amère, qui traite le blé en merde et met l’oseille en coin.

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 15 septembre 2017

Gérémy Crédeville "Parfait (et encore je suis modeste)

Théâtre du Marais
37, rue Volta
75003 Paris
Tel : 01 71 73 97 83

Seul en scène écrit par Gérémy Crédeville
Mis en scène par Benjamin Guedj, Stéphane Casez

Présentation : Il aurait pu faire de la radio mais, hélas, il n’avait pas le physique pour…
Dans Parfait (et encore, je suis modeste), Gérémy Crédeville nous prouve que l’élégance peut côtoyer le trash à travers le personnage de G., caricature du beau gosse qui pense que tout lui réussit, qui caresse des rêves d’Olympia comme on caresserait un cheval gentil. Ah oui, il y a aussi de l’absurde dans ce spectacle…

Mon avis : Gérémy Crédeville, un vent venu du Nord pour apporter beaucoup de fraîcheur dans le domaine du stand-up… Gérémy ? Oui, vous avez bien lu. Gérémy avec un « G », un « G » comme gonflé, gracieux, goguenard, garnement, gommeux, gondolant, grivois, gaulois, gaguesque, galant… Non, pas galant ! Pas vraiment. Ou alors, il faudrait que la gent féminine soit particulièrement maso.
Quand je parle de fraîcheur, je pense aussi à nouveauté. Depuis trente ans, j’en ai vu arriver des humoristes. Tout de suite, on décèle s’il y a un vrai potentiel, une forte personnalité, un ton, du fond, de l’originalité, pour leur prédire une longue carrière… C’est le cas de Gérémy Crédeville. Il nous cueille dès le début. Sa première demi-heure est un véritable feu d’artifices.


D’abord, il est servi par son physique GBB : grand, beau, blond. Ajoutez à cela un timbre de voix grave, profond, velouté, enjôleur, une voix qu’il s’amuse souvent à rendre aigue pour créer un dialogue avec un personnage féminin… Gérémy ne nous prend pas en traître. Tout est dit dans le titre de son spectacle : Parfait (et encore je suis modeste). Alors, il y va à fond. Pratiquant en permanence l’abus de confiance (en lui), il ne fait pas dans la demi-mesure. Il n’y peut rien, c’est comme ça ; c’est à prendre ou à lécher (comme une vitrine attrayante). Ebouriffé autant qu’ébouriffant, ce garçon a tous les talents. J’ai rarement entendu autant de trouvailles dans un stand-up. Comédien accompli, excellant dans la pratique du mime, il sait tout faire avec son corps et avec son visage.


Cette qualité d’expression(s), il la met toute entière au service d’un texte particulièrement ciselé et abouti. Images aussi audacieuses qu’irrésistibles, blagues à jet continu, digressions loufoques, apartés impertinents, sens de la répartie avec le public, vocabulaire riche et précis, autodérision réjouissante, saine gaillardise, petits crochets en absurdie … délicieusement irrévérencieux, il est tout à la fois le chevalier paillard, un pédant de Molière, Jean-Pierre Marielle dans Les galettes de Pont-Aven, Jean-Paul Belmondo dans Le Magnifique… Parfois, on même l’impression qu’il est plusieurs !

Je ne veux pas dévoiler toutes les arcanes de ce seul en scène absolument jubilatoire. J’y ai vraiment pris plus d’une heure de plaisir, tant pour l’originalité des vannes, la valeur du texte et la qualité du visuel.
J’ai ri, j’ai re-ri, et gérémy ça tout au long du spectacle.
Je prends aujourd’hui tous les paris : ce garçon se hissera très vite sur la scène de l’Olympia.

Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 11 septembre 2017

Sylvie Vartan "La plus belle pour aller chanter"

La plus belle pour aller chanter
Editions Gründ
Collection « Passion Musique »
Auteur : Benoît Cachin
Format : 215 x 280
288 pages
Prix : 29,95 €

Sylvie Vartan, 73 ans, 56 ans de carrière, fait partie intégrante de notre vie.
C’est une Panne d’essence en 1961 qui, paradoxalement, l’a conduite sur l’autoroute du succès. Depuis, ses chansons ont jalonné notre existence. Certaines sont définitivement installées dans le répertoire du grand juke-box de notre patrimoine artistique : Si je chante, La plus belle pour aller danser, Par amour par pitié, 2’35 de bonheur, Comme un garçon, La Maritza, J’ai un problème, Qu’est-ce qui fait pleurer les blondes ?, Nicolas, L’amour c’est comme une cigarette

Sylvie Vartan, ce sont 64 albums, 1500 chansons, 40 millions de disques vendus.
Et bien ces 64 albums, Benoît Cachin les présente, les commente, les décortique, les analyse dans un magnifique ouvrage superbement illustré, La plus belle pour aller chanter. Chaque opus est accompagné de sa pochette originale et agrémenté d’une photo d’époque inédite ou rarement diffusée. Il faut rappeler que ces photos sont signées Jean-Marie Périer, Pierre et Gilles, Marianne Rosensthiel, Claude Gassian, pour ne citer que les plus prestigieux. De plus, Sylvie Vartan conclut chacune de ces décennies avec ses souvenirs de l’époque, ses rencontres avec les différents auteurs et compositeurs. C’est très riche en anecdotes rares. Ces cinq entretiens sous-titrés « Le regard des Sylvie », se dégustent comme autant de bonbons délicieusement acidulés.

Que ce soit sur le plan esthétique ou textuel cet ouvrage exhaustif est une totale réussite.

Tous les Copains vont irrésistiblement l’adorer. Ils vont ressentir à la lecture de chaque page au moins 2’35 de bonheur. Et comme il y a 288 pages ! Vous pouvez calculer le temps de pur ravissement qui vous est ainsi offert…

vendredi 8 septembre 2017

Calogero "Liberté chérie"

Liberté chérie
Polydor / Universal Music France


Liberté chérie : septième album solo de Calogero. 7… Chiffre symbolique s’il en est. Mais pour ce qui concerne Calogero, je ne retiendrai que les sept notes qui font la Musique. La Musique avec un « M » majuscule. La Musique qui nourrit un des titres-phare de ce nouvel opus, Je joue de la musique.
Sept albums en dix-huit ans, ce n’est pas une super production, mais c’est à chaque fois une production super. Super et superbe. En gros, il sort un CD tous les trois ans et, à chaque fois, c’est un événement.
Calogero… Je l’ai connu avec plein de cheveux ! Je l’ai rencontré pour la première fois le 22 mai 1990. Il allait sur ses 19 ans et il était le leader charismatique et angélique des Charts. Il était habité par la passion. Et comme il était déjà bourré de talent et d’inventivité, il était sûr qu’il ferait carrière. Mais, pour paraphraser Brassens, « Le talent sans le travail n’est qu’une sale manie »… Calo a bossé ; bossé dur, très dur pour atteindre cette forme de perfection qui fait que chacune de ses chansons, nous paraissant évidente, nous embarque imparablement, nous émeut, nous charme, nous donne à penser, nous distrait, nous réjouit.

Liberté chérie est un album particulièrement accompli. Toujours en référence à Tonton Georges, « y’a rien à jeter, sur l’île déserte il faut tout emporter ». Il n’a fait appel qu’à deux auteurs, deux sacrées plumes, qui savent faire sonner les mots et teinter la réalité de poésie : Paul Ecole pour huit chansons, Marie Bastide pour quatre (Pierre Riess n’intervenant que sur un seul). Il en ressort treize titres à la portée universelle, des titres qui nous touchent tous. Dans cet album, il y a surtout du positif, du lumineux et beaucoup d’humanité. Il y a juste ce qu’il faut de nostalgie légère et un zeste de mélancolie. C’est un dosage parfait. Et puis, comme toujours, il y a une vraie élégance.
Enfin, il y a la voix incomparable de Calogero. Il fait ce qu’il veut avec elle, il sait lui donner toutes les intonations. Tout comme il sait jouer de la musique, il sait jouer avec sa voix. Il n’interprète aucune chanson de la même manière. Il imprime à chacune une couleur vocale et un climat particuliers. Ses interprétations sont empreintes de sensibilité et d’intelligence. Si bien qu’aucun titre ne nous laisse indifférent.

1/ Voler de nuit est un clin d’œil appuyé à Antoine de Saint-Exupéry, pionnier de l’Aéropostale. Calogero n’oublie pas qu’il fut un temps, à la fin des années 80, un « petit prince » de la chanson. Sur une musique volontairement aérienne, cette chanson prend de la hauteur. Du ciel, tout s’uniformise, les inégalités s’effacent (« vu d’avion, on a l’air tous les mêmes ») ; il est plus facile ainsi de faire passer un message de paix et de solidarité.

2/ Je joue de la musique est une profession de foi, une déclaration d’amour à la Musique. Elle est tout pour lui : son refuge, son oxygène, son point d’ancrage. Bref, elle est toute sa vie, son âme sœur. Son refrain nous entre grave dans la tête et, à l’instar du bout de scotch du capitaine Haddock, on ne peut plus d’en défaire… Son amour pour la musique, il ne veut pas le vivre en égoïste, il veut le partager en une sorte de communion.

3/ 1987 n’est pas une année anodine. C’est l’année de naissance des Charts. C’est là que tout a commencé il y a trente ans. Pourtant, il n’y a aucune nostalgie (« Y’a rien que je regrette »). Au contraire, c’est frais, sautillant, léger. Et c’est truffé d’images, d’objets, de name dropping et d’actualités d’époque. Là aussi, il ne garde pas ses souvenirs pour lui seul car il interpelle celles et ceux de sa génération à grands coups de « Tu t’ souviens »…

4/ Julie est une chanson étonnante. Sur une musique martiale, percutante, elle raconte l’histoire d’une solitude, d’une vie étriquée. Scandée comme un métronome, elle rythme le temps qui passe. L’arrangement est aussi fort qu’original. Heureusement, la chanson se termine sur une petite lueur d’espoir. Nombre de jeunes femmes se reconnaîtront en Julie.

5/ Fondamental est ma chanson préférée. L’écriture est volontairement souchonienne. Ce titre résume ce qui remplit et habille une vie. Ce qui constitue notre bagage personnel : les odeurs, les chansons, les vêtements, les prénoms, les photos… tout ce qui nous a accompagné. C’est doux, émaillé de jolies sonorités et le refrain est magistral.

6/ A perte de vue fait également partie de mes gros coups de cœur. Poétique et tendre, cette chanson prend un aspect obligatoirement descriptif puisque le narrateur devient les yeux de l’auditeur. C’est par ses mots, ses images, que ce dernier peut se représenter un décor bucolique à souhait. Le titre prend ici tout son (double) sens. C’est une ode à la nature magnifiés par ce constat : « On ne voit bien qu’avec le cœur ».

7/ On se sait par cœur, c’est la complexité de la séparation mise en abîme. Le texte (de Pierre Riess), embelli par de jolies allitérations, est remarquable. Tout ce qui unit et peut désunir un couple y est jeté, brassé, analysé pêle-mêle avec, en leitmotiv, cette terrible épée de Damoclès que représente « le dernier pas ». Pas facile de savoir prendre la bonne décision…



8/ Premier pas sous la lune est elle aussi chargée de symboles. Contrairement à Voler de nuit, nous sommes cette fois au ras des pâquerettes. La seule solution pour essayer de prendre de la hauteur, c’est de se lever, d’avancer un pied, puis l’autre et de se lancer dans la vie, d’oser partir à l’aventure et, pourquoi pas, dans l’espace.

9/ Comment font-ils, pour moi, rejoint et complète On se sait par cœur. Cette fois-ci le thème de la séparation est vu de l’extérieur. En prenant en compte l’érosion du temps qui passe dans un couple, existe-t-il des recettes pour le faire durer ? Sur une mélodie lancinante, défilent toutes les questions que l’on se pose à ce sujet. Et, hélas, il n’y a pas de réponse.

10/ Le baiser sans prénom vient en deuxième position dans l’ordre de mes préférences. Quelle belle écriture et quelle jolie mélodie. Sur une valse qui tourne comme un manège est évoqué le souvenir d’un baiser. Mais quel baiser. C’est LE baiser ; le baiser idéal parce que magnifié par son côté unique et éphémère. Amplifiée par le fantasme, l’interprétation est pleine de tendresse. Et quel refrain !

11/ Liberté chérie est un superbe hommage à Paris et à ses amoureux. Tout de suite, j’ai pensé à Doisneau (surtout après le Baiser) et, évidemment, il arrive dans le troisième couplet. Dans cette chanson, Paris est représentée comme la capitale de l’amour. L’amour y est partout. Le moindre endroit, le moindre quartier suinte l’amour. C’est une chanson qui pourrait y booster encore plus le tourisme !

12/ Ma maison est construite un peu dans le prolongement de Fondamental. C’est du moins le même état d’esprit puisqu’on y évoque la force des souvenirs. Mais elle est encore plus personnelle (autobiographique ?). Elle est d’une terrible force suggestive. Dans cette maison vide et abandonnée, avant, il y avait de la vie, il y avait des enfants qui riaient, il y naissait des rêves… Il y a tant de tendresse dans la voix de Calo !

13/ Le vélo d’hiver est une touchante évocation d’un endroit dédié au sport et à la fête qui est devenu par les pulsions maléfiques du destin le symbole d’une tragédie innommable : la déportation. Marie Bastide y évite brillamment l’écueil du pathos. Elle a su habilement s’attarder sur ce qu’il y avait de festif sans s’appesantir sur ce qu’il y a eu de dramatique. Mais en terminant sur cette image elle rend son trait bien plus fort. C’est bien de terminer l’album sur cette chanson forte.

Gilbert "Critikator" Jouin