jeudi 19 octobre 2017

La Tribu de Pierre Perret "Au Café du canal"

Irfan (Le Label) / Editions Adèle

Sortie le 20 octobre 2017

Pierre Perret et les Ogres de Barback est une vieille histoire d’admiration métamorphosée en amitié. La jeunesse des quatre frères et sœurs Burguière a été bercée par ses chansons (à noter que Pierre Perret a écrit « Celui d’Alice », bien avant de faire la connaissance d’une des sœurs Burguière. Il n’y a donc aucun lien de cause à effet) et le destin ne pouvait que leur permettre de se rencontrer. Entre eux, la complicité a été immédiate. Alors, histoire de marquer les soixante de carrière de leur maître et ami, les Ogres ont eu l’idée la plus logique qui soit : lui offrir en cadeau un album de reprises de quelques unes de ses chansons. Mais l’événement étant d’ampleur, ils ont battu le rappel d’une flopée d’artistes partageant leur amour pour le Pierrot. Ils ont donc constitué une « Tribu ». Une tribu pour un tribute, quoi de plus naturel ?

Pas facile de ne devoir choisir que 15 titres dans un répertoire aussi riche qui s’apparente véritablement à une Œuvre. Pierre Perret a écrit et composé plusieurs centaines de chansons parmi lesquelles nombreuses sont celles qui font définitivement partie du patrimoine de la grande variété française. N’ayons pas peur d’un néologisme audacieux : « Pierre Perret est l’auteur de chansons que l’on peut qualifier d’« imperretsables ». Son amour de la langue, son vocabulaire léché et imagé, son immense tendresse, son goût tout aussi immense pour la gaudriole… Il est unique dans son genre.

C’est donc un réel bonheur que de retrouver sa verve et sa plume si personnelles dans ce CD qui n’est en fait qu’un vibrant hommage en quatorze chapitres. Les Ogres et leurs complices d’un album ont conservé bien respectueusement la substantifique moelle de Pierre Perret, mais ils l’ont accommodée à leur sauce. Ils y ont mêlé leur ADN, viscéralement festif, et leur esprit « Musique du voyage » et l’ont instillé à leurs partenaires pour faire de ce disque un grand moment de partage, de fraternité et de réjouissance.
Cet album-hommage devrait - s'il en était besoin - asseoir encore un peu plus le papa de Lily (une Lily qui a eu 40 ans cette année) dans la... "perretnité".


Les Ogres de Barback sont des carnassiers, des gloutons, des amateurs de bonne chère comme de bonne chanson française. Ils se jettent sur la nourriture mais ils la mastiquent lentement et longuement pour en savourer le goût et toute la subtilité des si nombreuses saveurs dont le chef Perret a saupoudré ses chansonnettes. Et qu’il a, évidemment, liées avec le fameux accompagnement qui a fait son succès : sa sauce aigre-douce au miel et au piment.

Chaque titre est intéressant. Aucun ne ressemble volontairement à un autre. Les seules choses qui soient homogènes dans cet opus sont : des arrangements sobres, colorés et variés, des voix très devant (indispensable pour bien goûter la qualité des textes, même si on les connaît par cœur), une réelle volonté de réappropriation (les interprétations sont très personnelles).

Tout à trac, je vous livre mes impressions :
-   Ma p’tite Julia. Un délice de douceur et de tendresse. Pierre Perret chante quasiment a cappella en alternance avec un slameur inattendu qui s’appelle François Morel sur les magnifiques envolées de l’accordéon de Lionel Suarez. Elle vient en deuxième position dans mon hit-parade.

-     Mimi la Douce. Superbe voix éraillée et accent quasi « parigot » du Toulousain Magyd Cherfi (Zebda). A souligner la beauté de la flûte et une musique allant crescendo, d’abord douce et discrète puis de plus en plus « fanfaresque ».

-    Estelle. Rythme trépidant sur une ambiance reggae remarquablement arrangée. Ça avance tout le temps. La joie de chanter de Tryo est évidente et perceptible. A noter la jolie délicatesse des chœurs.


-   Je suis de Castelsarrasin. C’est ma préférée. Les chanteurs Mouss (Zebda), Hakim et Lo Barrut et leur fort accent du Sud-Ouest se marient agréablement avec la suavité d’Olivia Ruiz. Ils chantent comme frères et sœur, avec un bel esprit de famille. La construction de ce titre est redoutablement efficace. Ça commence sur un ton plutôt nostalgique avec une grosse contrebasse ; puis les cuivres font leur apparition ; soudain, olivia élève le ton. Les chœurs (mélodieux) et les tambours s’en mêlent. Et tout cela finit dans une espèce de gospel mâtiné de cassoulet dans lequel tous les ingrédients précédents se mélangent. C’est ma-gni-fique !

-    Lily. En intro, les chœurs en dialecte africain (Eyo’nlé Brass Band) se répondent en écho. Puis l’accordéon somptueux de Lionel Suarez s’immisce pour accompagner subtilement l’interprétation véhémente et engagée d’un Féfé visiblement investi.

-     Ma nouvelle adresse. Encore une autre ambiance façon big band (The Very Big Experimental Toubifri Orchestra). La voix écorchée de Loïc Lantoine s’installe habilement entre les parenthèses tour à tour sobres et fêtardes. A noter un petit clin d’œil à la ritournelle enfantine de « Sonnez les matines ».

-    L’oiseau dans l’allée. Version créole traitée façon chorale (Danyèl Waro, Rosemary Stanley, Jidè Hoareau, René Lacaille). C’est audacieux, très agréable à entendre. Belles interventions des cuivres et des percussions. Mention spéciale à la superbe voix de Rosemary Stanley.

-   La Vivouza. La cornemuse donne d’emblée une connotation celtique. Deux belles voix chaudes et viriles (Christian Olivier et Benoît Morel) qui se succèdent et s’entrecroisent joliment. Peu à peu, l’ambiance devient de plus en plus martiale pour redescendre et finir en douceur.

-    La petite Kurde. Intro en Arabe. Idir nous fait cadeau d’une version pleine d’émotion et de sensibilité. Il s’investit tellement que sa voix en devient parfois tremblante. Trouvaille judicieuse que ces pincements de cordes qui ajoutent à la mélancolie. Superbe.

-     Mon p’tit loup. Cette fois, c’est l’accent africain de Flavia Coelho qui nous embarque dans un voyage exotique. Sur une ambiance reggae remarquablement concoctée et interprétée par le Eyo’nlé Brass band, on entend l’espoir dans sa voix. Vocalement et musicalement, c’est une vraie réussite.

-    Celui d’Alice. La voix très chantante et mise très avant d’Alexis HK, sa diction parfaite nous force à l’écoute. Il y a dans son interprétation une certaine majesté empreinte de respect qui sublime la beauté de l’écriture.

-    Tonton Cristobal. Cette fois, nous faisons escale en Amérique du Sud. L’arrangement, d’une réelle densité, est vraiment fignolé. L’accent marseillais ajoute une saveur d’aïoli sans les tortillas. Ça dépote et c’est plein de fantaisie.


-    Le zizi. Quel duo ! Le couple composé de François Morel et Didier Wampas, pour inattendu qu’il soit, se révèle particulièrement croustillant. Là où le premier met du sourire et de la jovialité dans sa voix, le second apporte son énergie légendaire et sa truculence parigote. Résultat : on découvre deux zizis, deux versions, deux interprétations dans la même chanson ! Et la fin est complètement folle. Ce zizi-là est vraiment couillu.

-    Fillette, le bonheur c’est toujours pour demain. C’est la chanson qui synthétise la vocation de cet album car il réunit Pierre Perret et les Ogres de Barback. Qu’il est doux d’entendre Pierre Perret dans un registre où il excelle : la tendresse. On distingue une variété d’instruments originaux qui ajoute à la beauté intrinsèque de ce titre. C’est de la mélancolie positive. Une chanson « à s’en faire péter les cages à miel » !



-     Au Café du canal. Toute la « Tribu » s’est rassemblée pour terminer cet album en apothéose. C’est une sorte de résumé des 14 précédentes chansons. On retrouve sur ce tango ces voix si caractéristiques et ces accents si ensoleillés qui nous ont enchanté et qui donnent toute son originalité à ce concept. Ce titre en est la parfaite synthèse.

Gilbert "Critikator" Jouin

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