vendredi 13 avril 2018

Madame Marguerite


Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Tel : 01 45 44 50 21
Métro : Montparnasse-Bienvenüe

Ecrit par Roberto Athayde
Mise en scène par Anne Bouvier
Lumières de Denis Koransky
Costumes d’Elisabeth Tavernier
Décors d’Emmanuel Charles

Avec Stéphanie Bataille

Présentation : Institutrice de CM2 atypique, Madame Marguerite se sent investie d’une mission vitale : vous apprendre l’essentiel de l’existence. Vous prenez place dans la salle de classe de cette femme généreuse, déterminée et parfois un peu folle. Son cours est complètement baroque, tour à tour absurde, tragique, cynique et comique. Vous n’avez pas le temps de vous remettre de vos émotions tant Madame Marguerite vous fait rebondir d’une pensée à l’autre.
Bienvenue dans le monde poétique, vertigineux et drôle de Madame Marguerite.

Mon avis : Pendant une heure, je vous l’assure, j’ai eu 10 ans ! A partir du moment où Madame Marguerite a posé son regard acéré sur moi, je me suis senti comme un petit garçon vivant son premier jour en CM2.
Quels enseignements, si jeune et si influençable, aurais-je tirés de cette heure de cours si intense, si riche et aussi si déstabilisante ? Je pense que c’est une question de caractère(s). Un gamin curieux et suffisamment pragmatique, donc apte à faire le tri, en eût tiré sans aucun doute énormément de connaissances. En revanche, la petite tête blonde un tantinet fragile et impressionnable, en serait ressortie avec un dangereux blocage.


C’est qu’elle est spéciale cette institutrice. C’est une missionnée, une intégriste du savoir. Elle est visiblement avide de transmettre, mais elle s’y prend de façon tellement imprévisible qu’elle fait en permanence souffler le chaud et le froid. Méticuleuse, maniaque, exigeante, tyrannique, elle estime que c’est en choquant et en provocant qu’elle pourra d’une part, faire mieux passer ses messages et, d’autre part, mieux aiguiser les esprits. Sa ligne de conduite est une ligne brisée. En un quart de seconde, en fonction de ses sautes d’humeur, elle passe de l’excellence à la mesquinerie, de l’amabilité à la brutalité, de la poésie à la trivialité. Cette femme est schizophrène. Son désir de bien faire est régulièrement contrebalancé par ses tocs. Elle a en effet quelques obsessions récurrentes comme le sexe ou la religion (Jésus, le Messie, le Saint-Esprit).


Madame Marguerite veut expliquer la vie et ses duretés à ses élèves, y compris en leur annonçant d’abord qu’ils sont mortels. C’est violent. Elle donne la priorité à la biologie, prône l’importance de l’éducation et la nécessité de la lecture. Elle abhorre l’injustice, dénonce les méfaits de la drogue. Tout cela est éminemment positif. Elle veut tout donner quitte à trop donner. Mais sa belle mécanique est en permanence perturbée par son grain de folie. Parfois Madame Marguerite perd les pétales, se détache d’elle-même, se regarde enseigner et se met à parler d’elle à la troisième personne. Cette cyclothymie est impressionnante.


Pour interpréter cette femme paradoxale, pour la rendre crédible, pour la faire exister, il faut une sacrée comédienne. Il faut être soi-même un peu barrée pour parler avec la même sincérité de culture que de cul. Stéphanie Bataille se livre pendant une heure à une prestation d’une rare intensité. Elle est habitée par son personnage. Dès le début, elle dégage une forme d’autorité qu’elle veut souriante mais que son regard inquisiteur contredit. Madame Marguerite n’est pas un personnage cohérent ou linéaire. C’est une rivière qui s’écoule parfois paisiblement et qui se transforme soudain en torrent. Face à elle, on n’est jamais tranquille, jamais longtemps détendu. On reste sur nos gardes. Il en faut du talent pour happer ainsi un public. Même s’il est ramené à son enfance.
Bref, on est au-delà de la performance d’acteur, on est carrément dans l’incarnation.

Gilbert « Critikator » Jouin


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